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base de la véritable sagesse humaine. Voltaire disait des bouddhistes « Ces peuples ne nient ni n'affirment Dieu; ils n'en ont jamais entendu parler. Prétendre qu'ils sont athées, est la même imputation que si l'on disait qu'ils sont anti-cartésiens: ils ne sont ni pour ni contre Descartes. Ce sont de vrais enfants; un enfant n'est ni athée ni déiste; il n'est rien ! »

VII

Une autre fois, le prince Siddhartha amène la parabole du malade. Ce sont, en effet, des paraboles toutes ces rencontres, réelles ou inventées, que le futur Bouddha se ménage pour se confirmer dans sa résolution d'échapper au tourbillon des transmigrations et des existences matérielles. Il veut arriver à une sorte d'ataraxie stoïcienne, n'avoir plus ni crainte ni désir. Il croit savoir que sans l'attachement aux choses, l'être ne revêtirait pas, ne prendrait pas un certain état moral qui le mène à renaître de nouveau, à se plonger dans le relatif, le fini, le contingent, l'imparfait, le tumultueux. Son. quiétisme doit aller jusqu'au nirvâna, jusqu'à la suppresston de tout mouvement, de tout changement, et il pourrait dire plus sérieusement et tout à la fois plus absurdement qu'Horace :

.....

Qui cupiet, metuet quoque; porro

Qui metuens vivit, liber mihi non erit unquam.

Mais cet affranchissement par l'ascétisme n'est, en dernière instance, que l'anéantissement absolu. Avec de pareilles tendances, quand le prince Siddhârtha rencontre un homme brûlé de la fièvre, le corps tout amaigri et tout souillé, sans compagnons, sans asile, respirant avec une grande peine, tout essoufflé et paraissant obsédé de la frayeur du mal et des approches de la mort, il n'a d'autre conclusion que le recours au néant.

R. T.

7

« La santé, dit le jeune prince 1, est donc comme le jeu d'un rêve, et la crainte du mal a donc cette forme insupportable! Quel est l'homme sage qui, après avoir vu ce qu'elle est, pourra désormais avoir l'idée de la joie et du plaisir? »

Le véritable sens de ces paroles se retrouve dans l'exhortation d'un génie qui apparaît en songe au futur Bouddha, et qui le pousse à remplir enfin sa mission, en lui disant :

« Celui qui n'est pas délivré ne peut délivrer; l'aveugle ne peut montrer la route. Aux êtres, quels qu'ils soient, brûlés par le désir, attachés à leurs maisons, à leurs richesses, à leurs fils, à leurs femmes, fais désirer, après les avoir instruits, d'aller dans le monde errer en religieux. >>

M. Liebrecht nous montre l'apologue du malade dans le Barlaam (page 27 de la traduction allemande). Malgré toutes les précautions du roi Abenner, un jour la négligence des serviteurs fait que le jeune Josaphat rencontre dans sa promenade deux hommes, dont l'un était lépreux, l'autre aveugle. Etonné, ému de pitié, il veut connaître la cause de cette misère. Comme il n'était plus possible de dissimuler, les serviteurs répondent que cela provient d'éléments corrompus et de sucs viciés.

Tout le monde est-il sujet à cette corruption?

Non pas tout le monde, prince, mais ceux dont la santé est altérée.

- Mais, sait-on d'avance qui doit devenir malade? Ou bien, cela arrive-t-il sans qu'on y songe?

Nul homme, répondent les serviteurs, ne peut prévoir l'avenir; cela dépasse la nature humaine et n'appartient qu'aux dieux.

Et cette fois encore, le prince Josaphat rentra triste et rêveur dans ce palais où son père avait accumulé tous les enchantements de la vie.

1 Barthélemy Saint-Hilaire, p. 14.

La rencontre d'un moine mendiant est pour la destinée religieuse de Josaphat et de Siddhartha également décisive.

« Le futur Bouddha sortait par la porte du nord, pour se rendre au jardin de plaisance, quand il vit un bhikshou ou mendiant, qui paraissait dans tout son extérieur, calme, discipliné, retenu, voué aux pratiques d'un brahmatchari (étudiant les Védas et voué à une chasteté absolue), tenant les yeux baissés, ne fixant pas ses regards plus loin que la longueur d'un joug, ayant une tenue accomplie, portant avec dignité le vêtement de religieux et le vase aux aumônes.

> - Quel est cet homme, demanda le prince.

-Seigneur, répondit le cocher, cet homme est un de ceux qu'on nomme bhikshous; il a renoncé à toutes les joies du désir et il mène une vie très-austère; il s'efforce de se dompter lui-même et s'est fait religieux. Sans passion, sans envie, il s'en va chercher des aumônes.

>> - Cela est bon et bien dit, reprit Siddhartha. L'entrée en religion a toujours été louée par les sages; elle sera mon recours et le recours des autres créatures; elle deviendra pour nous un fruit de vie, de bonheur et d'immortalité.

>> Puis le jeune prince, ayant détourné son char, rentra dans la ville sans voir Loumbinî; sa résolution était prise. »

De tout temps dans l'Inde, ce pays qui inventa le chapelet, le moine mendiant a été placé à côté, souvent même au-dessus du brahmane studieux. Toutefois, lorsque le bouddhisme s'étendit et se propagea, il opéra une réaction en faveur du monachisme quelque peu délaissé, de même qu'il arriva dans une autre religion, à l'époque de saint Dominique et de saint François, les plus désespérés amateurs de la pauvreté, comme s'exprime Bossuet. Chose à remarquer ici, ce fut cette réaction ascétique qui pro

1 Barthélemy Saint-Hilaire, p. 15.

duisit en Europe le développement des contes dévots à l'instar du Barlaam, et dans l'Inde l'appropriation bouddhique des plus vieilles légendes et similitudes des brahmanes.

Les Védas déjà connaissent les anachorètes. C'est aux ermites des forêts qu'on doit les grands poëmes, les débuts de la philosophie et, à vrai dire, tout le développement intellectuel de l'Inde, avec ses qualités comme avec ses défauts. Le noviciat ascétique se faisait sous la direction d'un vieil anachorète; on changeait de nom, on se munissait seulement d'une peau d'antilope servant à la fois de vêtement et de couche, d'un pot à l'eau, d'une boîte aux aumônes, d'une tête de mort, d'un bâton, et l'on se retirait dans une hutte ou dans une grotte. Le bouddhisme ne détruisit rien de tout cela, il venait seulement accomplir la loi en l'étendant à toutes les castes sans distinction. En même temps il développa aussi l'idée brahmanique des peines volontaires, des macérations, de tout ce qui peut enfin diminuer l'expiation des purgatoires indiqués par tout le douzième livre des lois de Manou, et notamment au no 54:

54. «

Après avoir passé de nombreuses séries d'années dans les terribles demeures infernales, à la fin de cette période les grands criminels sont condamnés aux transmigrations suivantes, pour achever d'expier leurs fautes, etc. » C'est un tableau de renaissances successives dont on retrouve plus d'un trait dans Platon, dans Virgile et, en général, dans toute l'antiquité gréco-latine.

Le bouddhisme était si essentiellement un renforcement de l'élément monacal dans le brahmanisme, que même après la rédaction définitive des écritures canoniques dans ce qu'on appelle les trois grands conciles, on ne comptait guère que des moines parmi les véritables bouddhistes. Le roi Açoka lui-même, qui vers l'an 320 avant notre ère traita avec Ptotémée pour la protection des missionnaires bouddhistes et qui, maître de toute l'Inde jusqu'à la pointe méridionale de Ceylan, était une

sorte de moine couronné faisant sculpter sur des rochers gigantesques des sermons en manière d'édits pour stigmatiser l'antique peine de mort, dernier reste de la loi du talion, et proclamer l'égalité religieuse des hommes.

Il ne faut donc voir qu'une circonstance des plus naturelles, des plus ordinaires dans cette révolution opérée dans la vie du futur bouddha, rien que par l'apparition d'un moine mendiant.

Il est tout aussi naturel que ce soit un moine mendiant, nommé Barlaam, qui venu des déserts du Sennaar 1, opère la conversion du prince Josaphat. Mais comme le roman grec dont il s'agit ici est avant tout une œuvre de propagande, on conçoit que l'auteur emploie près de la moitié de son œuvre (du chap. VI au chap. XXI) pour rapporter toutes les conversations et paraboles catéchistiques échangées entre Barlaam et Josaphat. Non-seulement on y expose par raisons ou par comparaisons les théories du renoncement, du libre arbitre, du rationabile obsequium, d'un Dieu personnel révélé par la création tout entière, du culte des images, de la prière, mais on traite aussi de la distinction entre l'orthodoxie et les hérésies. Dans cette longue partie, le cadre bouddhiste est en quelque sorte perdu de vue. En revanche, on y accumule de curieuses paraboles qui ont instruit et amusé tout le moyen âge de l'Europe après avoir instruit et amusé tout le moyen âge de l'Asie.

<< Tu as bien fait, dit le vieux Barlaam au jeune prince, tu as agi royalement, en ne tenant pas compte de mon humble et misérable apparence et en t'attachant à une espérance cachée. Il arriva un jour qu'un roi très-puissant, très-redouté, traîné dans un char tout brillant d'or et suivi d'une riche escorte, rencontra deux hommes couverts de haillons et de boue, et dont la figure était pâle et amaigrie. Ayant aussitôt reconnu dans cette misère la trace des mortifications les plus sévères, il s'élança de son char pour s'agenouiller aux pieds de ces religieux, les

1 En avant de la jonction du Tigre et de l'Euphrate?

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