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la Belgique indépendante avec les puissances étrangères fut connue depuis sous le titre de Protocole n° 1. On a reproché à De Potter d'avoir donné avec ses collègues dans le piége que la conférence de Londres tendait à la Belgique par ce protocole no 1, qui voulait nous amener à reconnaître la conférence comme arbitre en dernier ressort entre nous et la famille de Nassau.

De Potter se justifie dans ses « Souvenirs personnels >> en faisant remarquer que par cette première communication, la conférence ne faisait que manifester le désir que les puissances éprouvaient d'arrêter le désordre et l'effusion du sang; et qu'offrir leur concours pour faciliter la solution des questions entre la Belgique et la Hollande, moyennant que les hostilités fussent préalablement suspendues. La réponse du gouvernement provisoire, datée du 10 novembre, ne contient, fait observer De Potter, qu'un remerciement aux puissances pour leur entremise toute philanthropique, une acceptation de l'armistice proposé, tous les droits des deux parties restant saufs. Cela ne constitue en rien une acceptation d'arbitrage. « Si, con>> tinue De Potter, la conférence a fait de cette réponse » un abus coupable, cela ne saurait rendre cet acte mau» vais en lui-même. La diplomatie, cet art infernal d'em» ployer la parole pour dissimuler la pensée, abuse de » tout, et elle n'a pas même besoin d'occasion ni de pré» texte pour le faire. »>

Il nous semble assez inutile d'insister ici sur la justification de De Potter. Sa retraite des affaires publiques trois jours après la réponse du gouvernement provisoire au protocole n° 1, et l'intervention immédiate du Congrès national dans le règlement de toutes nos affaires, déchargent entièrement De Potter des conséquences qu'on a laissé tirer, après lui, du seul document diplomatique qu'il eût signé. A envisager d'une manière absolue la question qui s'y rattache, on peut dire que De Potter avait raison de regretter que la révolution belge eût laissé prendre aux puissances l'arbitrage exclusif de ses affaires.

Mais à moins de continuer révolutionnairement tout ce qui avait été commencé, jusqu'à une solution complète de toutes les difficultés par la force révolutionnaire, ce qui devenait déjà d'une possibilité très-problématique au 10 novembre 1830, il fallait bien admettre que ces difficultés, intéressant d'ailleurs l'Europe tout entière, ne se règleraient pas sans l'intervention de l'Europe. Notre pays pourra sans doute se trouver encore dans des circonstances où l'intervention de nos voisins nous deviendra nécessaire. Ce que l'exemple de 1830 devrait nous enseigner à cet égard, c'est à payer d'abord de nos propres moyens, assez pour garder voix au chapitre où nos affaires doivent en définitive toujours se régler. Ce que nous voudrons énergiquement, nous finirons toujours par l'obtenir de l'impossibilité où tous nos grands voisins se trouvent de s'entendre assez entre eux tous à formuler une autre volonté qui nous contrarie. Apprenons des souvenirs de 1830 à ne pas nous lasser si vite, à ne pas céder si tôt. Apprenons en même temps des Suisses en 1846, 1849 et 1857, et peut-être, tout à l'heure, des Suisses en 1860, ce que les petites nations gagnent à savoir d'abord s'affirmer à propos. Nous pourrions facilement ainsi déjouer les résultats, prochains peut-être, d'une politique que De Potter prétendait en 1839 (voir ses « Souvenirs personnels >>) avoir présidé à la constitution de la Belgique telle qu'elle est aujourd'hui. Voici comme il s'exprime à cet égard, et nous terminerons par cette citation ce que nous voulions dire de De Potter considéré comme diplomate. Il raconte qu'un personnage français mis en rapport avec lui pendant qu'il était encore membre du gouvernement provisoire lui disait :

« Qu'il était bien fâcheux que la Belgique eût fait sa révolu>>tion dans des circonstances si critiques pour la France; que >> ce mouvement intempestif avait jeté les provinces belges » dans un provisoire dont elles ne sortiraient que lorsque le » gouvernement français se trouverait en mesure de les faire

» jouir du seul définitif qui pût leur convenir, la réunion à la » grande nation voulue tout à la fois par la nature, la politique » et le vœu des deux peuples; que le provisoire qui convenait » le mieux, était le règne du prince d'Orange, auquel les Belges >> ne s'attacheraient jamais de bon cœur, et que par conséquent >> ils seraient toujours prêts à échanger pacifiquement contre » le décret d'incorporation.....

» Je suis intimement convaincu aujourd'hui, ajoute De Potter, » que la politique de la France, d'où résulta la proposition. » expresse d'alors, est encore sa politique, mais cachée actuel»lement. Elle veut un état provisoire, par Léopold, comme » elle l'a voulu par le prince d'Orange : un état définitif quel» conque peut seul déjouer ses projets. >>

Nous voici arrivés à la fin de la carrière politique de De Potter. Le Congrès national s'ouvrit le 10 novembre 1830, le jour même de la réponse faite par le gouvernement provisoire au protocole no 1 de la conférence de Londres. L'action véritablement démocratique dans la révolution de 1830 cessait ce jour là, et la retraite de De Potter devait en être la conséquence. On l'a souvent blâmé de sa conduite en cette circonstance. Il n'est pas nécessaire de lire la justification qu'il en a faite dans ses publications contemporaines et dans ses publications postérieures, pour comprendre combien une conduite contraire aurait été illogique de sa part. De Potter était un pur philosophe, travaillant pour une idée, et nullement pour ses intérêts personnels. Ses théories l'indiquent partout dans ses écrits. Ses actes jusqu'à sa mort ont confirmé cette théorie. Certes il n'est pas plus interdit d'ajouter pleine foi aux protestations de De Potter qu'il ne considérait le pouvoir que comme un moyen de réaliser ses idées au profit de ses concitoyens, et de l'humanité en général, qu'il n'est défendu d'accepter comme entièrement sincère aussi, cette double déclaration du prince qui nous gouverne aujourd'hui :

« Les destinées humaines n'offrent pas de tâche plus noble

» et plus utile que celle d'être appelé à maintenir l'indépen>> dance d'une nation et à consolider ses libertés 1. >>

« Je n'ai accepté la couronne que vous m'avez offerte qu'en » vue de remplir une tâche aussi noble qu'utile, celle d'être » appelé à consolider les institutions d'un peuple généreux et » à maintenir son indépendance 2. »

De Potter, donc, voyant dévier la révolution belge des voies où il croyait sincèrement l'avoir vue entrer, et dans lesquelles il croyait qu'on l'avait appelé à la guider, se retira dès qu'il reconnut s'être trompé. Ses collègues eurent tort de lui en vouloir pour cela. Il ne leur fit jamais, pour sa part, de reproche d'avoir agi autrement que lui, s'ils pensaient autrement que lui. C'est là le sommaire de tout ce qu'il a publié pour expliquer sa démission de membre du gouvernement provisoire, après l'ouverture du Congrès national. Son premier écrit à ce sujet est intitulé « Lettre à mes concitoyens; Bruxelles, novembre 1830. » Il en a paru une seconde édition en décembre. Les journaux du temps ont entretenu une assez longue polémique à cette occasion. De Potter y revient encore dans plusieurs passages de ses « Souvenirs personnels. »

Il est nécessaire d'insister sur quelques circonstances qui ont accompagné la retraite de De Potter.

Il avait été chargé comme doyen d'âge, par ses collègues au gouvernement, de lire le discours d'ouverture au Congrès national. Les différends qui existaient déjà entre lui et ses collègues relativement à la nature de la mission du gouvernement provisoire, s'étaient manifestés surtout à l'occasion des rapports que ce gouvernement allait ouvrir avec le Congrès. Il y avait d'ailleurs divergence aussi dans cette assemblée quant au caractère

1 Réponse du prince Léopold de Saxe-Cobourg à la députation du Congrès national envoyée à Londres pour lui offrir la couronne.

2 Discours de Léopold Ier, roi des Belges, lors de son inauguration.

véritable du gouvernement provisoire, au point qu'un membres du Congrès avait prétendu, dès l'ouverture de la première séance « qu'il serait contraire à la dignité

nationale d'envoyer une députation au-devant du gou>> vernement provisoire. Il suffit, disait l'orateur, de >> charger un membre du bureau ou un huissier de salle de prévenir que l'assemblée est prête à le recevoir. Le fond du différend était que De Potter se croyait appelé par tout le peuple ainsi que ses collègues, pour achever la tâche de constituer la nation à l'aide d'un conseil national que celle-ci élirait à cet effet, et que la tâche ne serait accomplie qu'après la Constitution votée par l'assemblée, sanctionnée par le gouvernement provisoire et acceptée par le peuple; tandis que les collègues de De Potter et la très-grande majorité du Congrès tenaient que le gouvernement provisoire n'était qu'un accident qui n'avait plus aucune raison d'exister, dès que la nation avait nommé une assemblée pour la représenter. Comme nous l'avons déjà dit, les deux systèmes étaient inconciliables.

Le discours d'ouverture du Congrès évitait de donner raison à l'un ou à l'autre des deux systèmes. Il contenait des phrases ambiguës qu'on pouvait interpréter dans les deux sens; celles-ci par exemple :

« Au nom du peuple belge, le gouvernement provisoire ouvre l'assemblée des représentants de la nation. >>

Le gouvernement et l'assemblée existaient donc en même temps.

Mais venait immédiatement après cette autre phrase: « Ces représentants, la nation les a chargés de l'auguste mission de fonder... l'édifice du nouvel ordre social... >>

Il n'y avait donc rien de fondé encore, et tout allait dater du Congrès et du Congrès seul.

Vers la fin du discours, les mêmes ambiguïtés se représentaient.

Pour le surplus, le discours contenait une relation très-brève de la fondation, de la durée et de la fin du

R. T.

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