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philosophes. Mais que voulez-vous que fit un simple >> homme de lettres, un savant si vous voulez, mais un » pur savant, au milieu de la confusion des rouages d'une >> machine qu'il n'avait jamais vue auparavant : la >> machine gouvernementale? » De Potter avait raison. Le temps lui avait manqué pour se créer lui-même un entourage conforme aux besoins du moment, tels qu'il les comprenait. Ou plutôt, il était tombé dans un milien. tout créé, où le hasard avait mêlé quelques lettrés sans expérience, et souvent encore aux opinions divergentes, avec quelques hommes d'affaires, capables sans doute, mais déjà trop dégrisés de ce que cette classe d'hommes appelle volontiers « des utopies. >>

Il comprenait si bien cependant que les objections qu'il rencontrait à la mise à exécution de ses principes n'avaient pas une valeur absolue, qu'il s'en explique ainsi dans ses « Souvenirs. »

<< Dans les temps ordinaires, mieux vaut sans doute une loi >> passable mais appliquée, exécutée et respectée que tout un >> code de bonnes lois que l'on méprise ou qu'on néglige. » Mais nous représentions pour la Belgique une époque toute >> exceptionnelle : ce n'étaient point en effet des lois pour le >> moment présent que nous promulguions, mais bien des prin>>cipes que nous posions pour source et pour base des lois » futures. Et c'était sous ce point de vue tout d'avenir, que je >> voulais que nous renversassions le plus possible d'obstacles >> qui s'étaient jusqu'alors opposés à notre émancipation et à » nos progrès. Je sentais bien que nos successeurs n'auraient » ni le courage, ni la force de revenir sur nos réformes; et >> notre constitution, une des moins imparfaites qu'il y ait, » entièrement puisée, pour tout ce qu'elle a de bon, dans les >> arrêtés du gouvernement provisoire pendant le mois d'oc» tobre, prouve assez que j'ai eu complétement raison.

>> Quoi qu'il en soit, je n'eus point de repos que mes col» lègues n'eussent arrêté et signé avec moi :

» La suppression de la direction de la police, considérée » comme une usurpation sur les pouvoirs municipaux

>> (11 octobre); la liberté d'enseignement en tout et pour >> tous sans entrave aucune, ni autorisation, ni certificat » (12 octobre); l'abolition de la loterie (13 octobre); la liberté » de s'associer dans un but politique, religieux, philoso» phique, littéraire, industriel ou commercial (16 octobre); la » liberté des opinions et de leur application pour chaque >> citoyen ou chaque association de citoyens, par la voie de la » parole et de la presse, et l'abrogation de toute loi générale » ou particulière entravant le libre exercice d'un culte quel» conque, et assujettissant ceux qui le professent à des forma>>lités qui froissent leur conscience, avec suppression de » toute magistrature créée pour soumettre les associations >> philosophiques ou religieuses et les cultes à l'action ou à » l'influence de l'autorité (17 octobre); l'abolition du serment » immoral à prêter en garantie de la sincérité des déclarations » de succession et de mutation par décès (même date); la >> liberté entière des théâtres (21 octobre); l'abolition de » la haute police et de toute surveillance exercée par elle » (22 octobre); la publicité des budgets des communes (26 octobre); la publicité de l'instruction et des débats aux » conseils de guerre ainsi que le droit des prévenus de s'y >> faire assister d'un conseil librement choisi (9 novembre), etc. >> Ceux de ces arrêtés qui le comportaient par leur objet » étaient explicitement basés sur les considérants les plus >> remarquables; savoir, la haine du despotisme, l'horreur de >> tout monopole ou privilége; le respect ie plus religieux » pour la liberté de tous, la reconnaissance sincère de l'égalité » civile et politique de tous les Belges, enfin la déclaration de » la liberté absolue de la conscience humaine et de ses mani>> festations, sur lesquelles la loi n'aurait plus d'action pos>>sible.

«

» Je n'ai qu'un regret, c'est de n'avoir pas du moins pré» paré la future abolition de la peine de mort. Il appartenait » au pouvoir créé par l'humanitaire révolution belge de » déclarer cette peine, en matière de délits pour opinions, » une atrocité inique qu'il rayait dès à présent du code des » peuples; en matière de crimes contre la société, une cruauté » inutile à laquelle il faut se mettre le plus tôt possible en » mesure de n'avoir plus à recourir. »

La nomenclature des actes législatifs les plus importants du gouvernement provisoire auxquels De Potter se glorifie avec raison d'avoir participé, et dont il fait assez entendre qu'il avait pris l'initiative, ne comprend pas le décret du 8 octobre 1830 pour « la recomposition des régences» (conseils communaux). Cet acte qui fut porté, comme le dit son préambule, « d'après les principes d'une >> révolution toute populaire dans son origine et dans son >> but, » consacrait la nomination des bourgmestres et échevins, dans toutes les communes, par le suffrage direct des habitants, aussi bien que la nomination des membres du conseil communal. A titre de fondation du véritable principe démocratique dans l'organisation de l'autorité communale, le décret du 8 octobre 1830 méritait d'être. rappelé à côté de tous ceux que De Potter a indiqués comme la première proclamation des libertés que la Constitution a sanctionnées depuis. L'administration des communes par des magistrats exclusivement choisis par les habitants a duré plus de cinq ans encore après le décret du 8 octobre 1830, et l'on ne peut pas dire que la loi du 30 mars 1836, qui est venue la modifier, pour ôter aux communes la nomination directe de leurs bourgmestres et échevins, soit restée aussi complétement dans «<les » principes d'une révolution toute populaire dans son >> origine et dans son but. »><

Quoi qu'il en soit, l'omission faite par De Potter du décret du 8 octobre 1830, dans sa nomenclature où il fait entrer cependant l'acte ordonnant la publicité des budgets communaux, est une omission assez singulière. Elle vient sans doute de ce que De Potter s'attachait moins aux libertés pratiques, dont tout le monde est appelé à faire usage et à tirer profit, jusqu'au fond même des hameaux les plus reculés, qu'aux libertés plus ronflantes dont les lettrés des villes s'occupent de préférence, parce que les effets s'en produisent autour d'eux nous voulons dire, par exemple, la liberté du théâtre, la liberté des assemblées publiques, etc.

Avant de quitter ce propos, faisons remarquer encore combien De Potter avait raison de regretter qu'il n'eût pas été initié à la science des affaires, autant qu'aux spéculations philosophiques au milieu de ces précieux décrets qu'il cite avec un juste orgueil, nous en rencontrons un du 21 octobre 1830 « prohibant l'exportation » des grains et farines de toutes espèces, » qui accuse une grande ignorance des principes les plus élémentaires de l'économie politique en matière de commerce des grains.

On pourrait encore attribuer à une égale ignorance des théories politiques proprement dites cette introduction d'un cens électoral très-élevé, parmi les éléments qui devaient concourir à la formation du Congrès national constituant. De Potter ne peut être soupçonné d'avoir voulu, de propos délibéré, constituer la Belgique nouvelle principalement au profit d'une nouvelle aristocratie: celle des écus. C'est le défaut de réflexion seul qui lui aura fait donner sa signature aux décrets sur les élections pour le Congrès. On ne voit nulle part dans ses écrits qu'il ait fait à ces actes des objections tirées de ce qu'ils étaient conçus dans un sens peu démocratique, ni qu'il ait voulu justifier par des raisons quelconques l'adhésion qu'il y avait donnée. Il faut en conclure qu'il n'avait pas examiné la question.

Au surplus, les publicistes les plus avancés à cette époque, en Belgique, n'avaient presque aucune idée de la nécessité de faire descendre le droit électoral dans les masses démocratiques pour constituer démocratiquement une nation. On s'imaginait assez généralement qu'il suffisait de faire participer au droit électoral toutes les classes éclairées, sans exception, pour que les droits de toutes les autres fussent parfaitement garantis. On n'avait pas assez réfléchi que le développement de l'intelligence dans telles ou telles classes de la nation n'est nullement une garantie qu'elles oublient leurs intérêts pour ceux des classes plus nombreuses; ni même qu'elles consentent

à faire la moyenne des intérêts divers de toutes les classes, pour y asseoir la base fondamentale du gouvernement. Il a fallu, depuis, de nombreuses preuves que les classes éclairées se constituent en aristocratie politique aussi aisément que toutes les autres, quand on leur confie exclusivement le maniement des affaires publiques, pour que les nations vraiment démocratiques en arrivassent à reconnaître, comme en Amérique et en Suisse d'abord, et, depuis, dans d'autres pays encore, que le suffrage de tous dans la constitution du gouvernement est la seule garantie d'un bon gouvernement pour tous.

Les hommes impartiaux pardonneront donc à De Potter de n'avoir pas pris une avance décidée sur ses contemporains dans la question de l'organisation du suffrage politique, comme il avait su la prendre dans beaucoup d'autres questions. Ces hommes en même temps continueront à lui vouer une profonde reconnaissance pour le caractère exceptionnel qu'il a su préparer à nos institutions nationales par les décrets mémorables du gouvernement provisoire dont il a dit, avec raison, que la Constitution votée ensuite par le Congrès national a emprunté tout ce qu'elle a réellement de bon. C'est à ces décrets que la Constitution belge doit d'être demeurée au moins un bon cadre d'institutions démocratiques, si elle n'est encore, jusqu'aujourd'hui, qu'un instrument entre les mains de l'ancien tiers état, lequel, disait Sieyès, en 1789, prétendait devenir quelque chose, et dans le fait est momentanément devenu tout, en plus d'un pays.

La participation de De Potter aux actes législatifs du gouvernement provisoire étant suffisamment exposée, il reste à rechercher quelle participation il a pu avoir à ses actes diplomatiques. Le compte à rendre en est fort court. Il n'a signé que la réponse du gouvernement provisoire à la communication du 4 novembre faite à la Belgique par les cinq puissances (Autriche, France, GrandeBretagne, Prusse, Russie) réunies à Londres en conférence. Cette pièce qui commence les relations diplomatiques de

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