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le prince commença par ces mots : « Il est bien entendu, » messieurs, qu'au fond de tout ceci, il ne s'agit pas de » réunion à la France. » Il avait peine à croire que tout n'eût pas été français dans le mouvement; et il hésitait évidemment à ajouter foi aux protestations en sens contraire que toutes les personnes présentes ne cessaient de réitérer. L'erreur du prince d'Orange ne pouvait provenir que de l'opinion entretenue par le gouvernement de son père; et nous ne pouvons nier que, jugeant sur quelques apparences, et prenant à tort comme sympathiques au pays, les efforts du parti français, agissant de l'extérieur plus que de l'intérieur, Guillaume Ier ne fût, en quelque sorte, excusable de prendre l'opposition de 1828 pour plus française qu'elle ne l'était réellement.

Vers la fin de juin 1828, le Courrier des Pays-Bas avait pris l'allure d'une opposition énergique au gouvernement, sans tenir compte de la réserve qu'observaient encore les écrivains du Mathieu Laensberg de Liége, ni des embarras d'une polémique, de libéral à catholique, qu'il devait continuer de soutenir contre le Catholique des Flandres. Le Courrier de la Meuse commençait déjà, lui, à s'abstenir à l'endroit de la guerre aux libéraux. Ce fut alors que l'on songea à constituer le Courrier des Pays-Bas sur de plus larges bases, et que fut arrêtée la société. d'écrivains politiques constituée authentiquement, quelque temps après, pour rédiger et publier ce journal, conjointement avec l'imprimeur Coché-Mommens, son propriétaire antérieur.

De Potter n'entra pas dans cette société, uniquement pour ne pas s'astreindre à la part fixe de collaboration qu'elle imposait à chaque sociétaire; mais il promettait la la continuation de son concours libre à la rédaction.

La vigueur des accusations auxquelles le gouvernement s'exposait chaque jour davantage par les mesures arbitraires qu'il redoublait, comme à plaisir, en matière de gouvernement et même de pure administration, croissait dans la presse de toute couleur. Au procès de M. Ducpé

tiaux avait succédé le procès de MM. Bellet et Jador, deux écrivains français rédacteurs d'une revue intitulée l'Argus, récemment fondée à Bruxelles. C'était encore le projet de code pénal et ses mesures exorbitantes contre la liberté de la presse et la liberté personnelle que ces écrivains s'étaient permis d'attaquer.

Nous arrivâmes personnellement en troisième ligne, au mois d'octobre 1828, par le procès qui nous fut fait, du chef d'outrages par paroles écrites au ministre de la justice lui-même, M. Van Maanen, qui se prétendait magistrat judiciaire dans les termes de l'art. 222 du code pénal, comme ayant succédé aux prérogatives de l'ancien garde des sceaux ministre de la justice sous l'empire.

Notre collaborateur au Courrier des Pays-Bas, Pierre Claes, nous suivit bientôt sur les bancs du tribunal correctionnel, et De Potter, à son tour, du chef de deux articles publiés, dans le même journal, en novembre suivant, numéros des 8 et 9 du mois.

I importe de donner quelques extraits du premier de ces articles, parce qu'il a eu un long retentissement, et a servi véritablement de prodrome à l'union des catholiques et des libéraux proposée formellement quelque temps après dans une brochure du même auteur.

De Potter débute ainsi :

<< De toutes les sottises que j'ai entendues sur les déplo» rables procès qui sont suscités au Courrier des Pays-Bas, la » plus drôle, sans contredit, est celle qui est attribuée à un » haut personnage; elle prouve la vérité du bon mot : « Il n'y >> a rien de petit chez les grands. »

» Le personnage donc, causant des affaires du jour, voulut » convaincre ceux auxquels il parlait du danger que courait » l'État depuis la régénération du Courrier, et cela..., devi» nez, je vous le donne en mille... cela, parce que le Courrier » s'est fait jésuite.

» Maudits jésuites, ils nous ont bien fait du mal... »

L'auteur entre ensuite dans quelques réflexions au

sujet de leur chute récente en France, en même temps que le ministère Villèle. Il reprend ensuite :

« Pour nous défendre contre les jésuites on nous a, comme » le cheval de la fable, sellés, bridés et montés; et mainte>> nant que nous n'avons plus rien à en craindre, nous restons » la sangle sous le ventre, le licou sous le menton et nos sei» gneurs sur le dos.

» Il aurait presque mieux valu que les bons pères conti>> nuassent à gouverner Paris, nous aurions su du moins pour» quoi on nous étrillait, fouettait, aiguillonnait.

» Et puis, c'était si commode de pouvoir répondre aux » Français qui, après quinze jours de séjour à Bruxelles, nous » disaient: Quoi! pas de jury? · Non; mais aussi pas de jé>> suites. Quoi! pas de liberté de la presse? Non; mais » aussi pas de jésuites. Quoi! pas de responsabilité minis» térielle? Pas d'indépendance du pouvoir judiciaire, un sys» tème d'impositions accablant et antipopulaire, et une >> administration boiteuse? - Il est vrai; mais point de jé>> suites. >>>

-

De Potter suppose ici que les Français lui répondent,

entre autres :

« C'est donc toujours sous prétexte des jésuites qu'on vous » refuse les garanties auxquelles vous avez droit, la liberté >> dont vous avez besoin... >>

Il trouve que c'est, en effet, une grande duperie que les Belges se rendent à la crainte absurde qu'on leur fait des jésuites, et qu'il est encore plus absurde de s'abstenir de toute opposition à la tyrannie, à l'arbitraire, de peur d'être appelé jésuite. Il s'écrie plaisamment :

«De ce qu'on appelle un homme jésuite s'ensuit-il qu'il faut >> l'emprisonner, le torturer, le juger, le condamner? Toutes >> ses actions deviennent-elles des crimes et ses paroles des >> absurdités?... »

Il termine par ce trait qui fut dans le temps une véritable révélation :

<< Il me vient une idée : opposons des mots à des mots. Jus» qu'ici, on a traqué les jésuites; bafouons, honnissons, pour» suivons les ministériels; que quiconque n'aura pas clairement » démontré par ses actes qu'il n'est dévoué à aucun ministre, » soit mis au ban de la nation, et que l'anathème de l'impopu» larité pèse sur lui avec toutes ses suites. >>

La conclusion: « honnissons! bafouons les ministériels!» devint sur-le-champ le mot d'ordre de toute l'opposition.

Le procès fait à M. De Potter, pour ses articles de novembre 1828, aboutit naturellement à une condamnation, comme tous les autres. Au commencement de l'année 1829, MM. Ducpétiaux, Jottrand, Claes et De Potter se trouvaient réunis aux Petits-Carmes, avec l'imprimeur Coché-Mommens, qui, suivant la jurisprudence du temps, était le complice de ces écrivains, encore bien qu'il lui eût été difficile, tout honnête industriel et tout courageux patriote qu'il était, de rendre un compte grammatical satisfaisant des articles de journaux condamnés par la justice.

Il ne nous est pas défendu, malgré la nature sérieuse de ce que nous écrivons ici, de rapporter une petite anecdote qui se racontait au palais de justice, à propos des interrogatoires auxquels le juge d'instruction avait eu à procéder dans les préliminaires de ces diverses poursuites pour délits de presse. Ce magistrat n'était pas des plus lettrés. C'était, nous nous le rappelons encore, un de ces bons patriarches de fonctionnaires, qui avait dù servir autrefois quelque part dans la judicature, du temps des Autrichiens, ou qui avait été employé par le gouvernement de Guillaume à un titre quelconque, dans lequel l'intelligence et le savoir étaient restés de beaucoup sur l'arrière-plan. Or, De Potter signait d'ordinaire d'un o (l'oméga grec), les articles qu'il publiait dans le Courrier

des Pays-Bas. Le juge avait demandé au prévenu, après l'épuisement des questions du catalogue dressé, comme c'était l'usage alors, par M. le procureur du roi : « Dites» moi donc, M. De Potter, ce que c'est que ce petit >> fer-à-cheval que vous mettez toujours au bas de ce que >> vous écrivez? »

Le même brave juge d'instruction nous avait un jour dit, à la fin d'un interrogatoire qu'il nous faisait subir sur un article poursuivi à notre charge, dans les derniers jours avant la révolution de 1830, à l'époque où tous les écrivains de l'opposition, presque sans exception, étaient englobés dans des poursuites générales contre les journaux « C'est égal, il faut, vous autres, que vous ayez » bien profité de vos écoles (flandricisme qui revient à >> dire avoir bien utilisé son éducation) pour pouvoir » écrire tant de choses sur toutes ces affaires- là. De notre >> temps on ne nous faisait pas si savants. »><

C'est d'ailleurs une justice générale à rendre aux agents du gouvernement de cette époque, qu'ils ne mettaient aucune rigueur inutile dans l'accomplissement de leurs fonctions. Notre détention aux Petits-Carmes avait tous les agréments que la situation pouvait comporter; et nous nous sommes bien souvent rappelé, De Potter et nous, quelques souvenirs agréables de notre commun emprisonnement. Il est vrai que le second procès, qui, pour lui, fut enté sur le premier, pendant la durée même de sa première peine, eut, plus tard, des rigueurs que, pour notre part, nous n'avions pas connues.

Peut-être, dans les commencements, la résolution d'aller jusqu'au bout, dans cette lutte contre la presse, n'avait-elle pas été formellement prise encore. Il est certain qu'avant d'essayer des procès à outrance, le gouvernement avait songé à opposer aux journaux de l'opposition la discussion, plutôt que la continuation des poursuites judiciaires. Le ministère organisa successivement des feuilles pour se défendre, dans les principales villes des provinces méridionales. Libri-Bagnano reçut du fonds

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