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teurs du Mathieu Laensberg; elles dataient de l'époque antérieure de leurs études communes à l'université de Liége.

Il ne faut pas omettre de mentionner ici que, vers le commencement de 1828, les principaux représentants de l'opinion libérale parmi les écrivains de la presse périodique à Bruxelles, avaient institué une espèce de cercle intime, où ils se réunissaient hebdomadairement, et qui servait à donner de l'ensemble à leur action sur l'opinion. Des artistes et des savants y assistaient quelquefois. Ce cercle était bien connu alors, sous le nom de Société des Douze. De Potter en était un des membres les plus assidus, et il y exerçait beaucoup d'influence. Ce cercle se dispersa, lorsque l'alliance des libéraux et des catholiques contre le gouvernement du roi Guillaume se fut un peu consolidée, et que l'on commença à prévoir la lutte. De Potter resta ensuite plus particulièrement en rapport avec ceux qui lui montrèrent le chemin des Petits-Carmes, et qu'il y vint rejoindre bientôt.

Les chambres législatives avaient pris, vers la fin de 1827, une physionomie qu'on ne leur avait plus connue depuis 1822. Dans l'intervalle, entre ces deux époques, elles avaient assez docilement obéi à l'impulsion que leur donnait le gouvernement. Ce fut à l'occasion de la discussion du budget de 1828, pendant le mois de décembre de la session de 1827, qui se tenait à La Haye, qu'une espèce du premier réveil de la législature s'était annoncé.

Le budget pour 1828 contenait une allocation nouvelle de 400,000 florins pour la mise à exécution du concordat. Ce fut le sujet d'une assez grande division entre des députés libéraux et des députés catholiques des provinces belges. Ces derniers paraissaient sous l'influence des négociations dont nous avons dit que le parti catholique avait cru devoir profiter, et qui avaient vraisemblablement suivi et corrigé l'effet de la fameuse circulaire confidentielle. MM. De Gerlache et de Stassart, parmi eux, avaient

paru prendre fait et cause pour le budget, principalement pour cette amorce de 400,000 florins. Il semble aussi que de ce côté-là étaient parties quelques doléances contre la trop grande diffusion des moyens d'éducation et contre les excès de la liberté de la presse. Les universités et les journaux avaient été l'occasion de regrets exprimés au sujet des doctrines qu'on y répandait et des fruits que ces doctrines produisaient déjà. Un discours de M. Le Hon, député libéral de Tournai, avait vivement relevé ces insinuations. De part et d'autre, les principaux membres des deux opinions étaient venus en auxiliaires aux premiers engagés dans cette sorte de mêlée. Tout cela s'était passé dans les séances du 18 au 21 décembre de la seconde chambre des états-généraux. Une correspondance de MM. De Gerlache et Le Hon avec les journaux de la fin de décembre 1827 et du commencement de janvier 1828, ainsi qu'un grand nombre d'articles échangés, à cette occasion, entre les organes de la presse catholique et ceux de la presse libérale, prouvent l'émoi que cet épisode parlementaire avait occasionné dans tout le pays.

Le gouvernement, lui, paraissait plus réjoui qu'ému de ces querelles. Il ne pouvait pas lui déplaire d'avoir gagné, peut-être, à la faveur du concordat et des dernières dispositions bienveillantes qu'il avait montrées pour sa mise à exécution, des appuis inattendus parmi quelques députés belges, pour ses projets à l'égard de la presse et de quelques idées de réglementation nouvelle de l'enseignement public, qu'il tenait, depuis quelque temps, en réserve. Mais le gouvernement n'avait pas l'intelligence du danger qu'il y a de triompher trop tôt des avantages obtenus par des coups de bascule, dans la politique fondée sur ce système. L'idée qu'il s'était réconcilié les catholiques le poussa, comme nous l'avons déjà annoncé, à des bourrades immodérées contre les libéraux. Que si en même temps, il méditait déjà le revirement qu'il voulut opérer plus tard, lorsqu'il en vint à faire entrer au conseil

R. T.

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d'État MM. Dotrange et Reyphins, deux anciens coryphées de la députation libérale à la seconde chambre des étatsgénéraux, sa tactique ne devait plus lui réussir en ce point.

Il faut dire à la décharge du roi Guillaume et de ses affidés que la marche des événements, dans toute l'Europe d'alors, ne permettait guère d'espérer beaucoup de succès de la pure habileté d'une politique de cour. On était, en France, à la veille de la chute du ministère Villèle. O'Connell tenait en échec toute l'aristocratie anglaise, et allait lui arracher bientôt le bill d'émancipation des catholiques. Si l'on veut juger de la situation générale des esprits au commencement de 1828, et particulièrement de l'état de l'opinion en Belgique, qu'on lise les extraits suivants d'un article publié dans le numéro du 1er janvier 1828 du Courrier des Pays-Bas, sous le titre de Etrennes politiques. Aussi bien n'est-il pas oiseux de rappeler, par cette citation, de quelles idées les journalistes d'alors occupaient le public et dans quel style ils savaient traiter ces idées :

« Nous voici parvenus à la vingt-huitième année de cette ère » la plus étonnante qui ait jamais existé. Quel siècle! Désor>> mais il suffit à la liberté d'une feuille de papier pour se >> promener d'un bout à l'autre de l'univers...

>> Des rois voyagent dans les diligences et font des articles » dans les journaux; d'autres se font rois-bourgeois et se >> promènent librement sans gardes et sans licteurs...

>> Le pouvoir clairvoyant transige avec les peuples et abdique » en leur faveur son sceptre d'airain. Le despotisme stupide >> s'accroche seulement à la matière, et la matière lui donne >> des Taganrog et des Manrésa...

» La fable et l'antiquité ont disparu devant l'histoire mer>> veilleuse de notre époque; et le siècle le plus incrédule aux >> fables et aux chimères sera, pour nos descendants, un temps >> tout fabuleux. A la voix impérative du génie, le vieux monde » s'écroule, le genre humain se refait, et la véritable création »> ne date que d'hier. Lois, gouvernements, éloquence,

>> tactique, industrie, besoins, idées, tout est changé, tout est » nouveau; trente ans de prodiges en ont effacé six mille » d'enfance politique; et le temps n'aura pas d'espace pour » dire tout ce qu'a fait ce petit règne de l'esprit.

» Quel était l'état politique du globe au commencement de » ce siècle? Les deux mondes ne comptaient alors que deux » gouvernements libres et consolidés; et maintenant l'Amé>> rique en compte déjà onze, et l'Europe dix-huit !...

» Partout, la liberté assiége le despotisme. La Suède et la >> Norwége, la Pologne et Cracovie sont aux portes de la Russie. >> L'Autriche et la Turquie sont entourées de la Hongrie, la » Bavière, le Wurtemberg, les fles Ioniques et celles de l'ar» chipel grec. Les Pays-Bas, Bade, le Wurtemberg, la Bavière, » la Pologne et la Suède enveloppent la Prusse. L'Espagne est » bloquée par l'Angleterre, et pressée dans ses flancs par le » Portugal et la France; et les républiques du nouveau monde >> sont en réserve contre les monarchies de l'ancien...

>>> D'innombrables sociétés secrètes poursuivent partout le » fanatisme et la superstition. L'Italie a ses carbonari, l'Alle>> magne ses Burschenschaffts, la Russie ses Slaves libres, la » Prusse ses vengeurs patriotes, et l'Espagne ses communéros » et ses maçons. Même dans les États constitutionnels, une >> tendance prononcée vers la plus grande liberté possible, >> imprime à l'opposition son élan toujours progressif; l'Angle» terre a ses radicaux, la France son côté gauche, et l'Amé>> rique ses fédéralistes...

» La liberté et les lumières forgent leurs armes dans le sein » même du fanatisme et de l'arbitraire. Les extravagances de >> Rome ont produit la réformation; les empiétements du pou» voir civil, les gouvernements modérés, et les prétentions » exagérées des dynasties, le rétablissement des républiques...

» Une étincelle suffit souvent pour allumer un grand foyer, » et vingt-quatre heures de réflexion pour extirper cinquante » ans de préjugés. Les événements politiques procèdent de » l'esprit; ils sont dans l'ordre moral ce que sont les feux » souterrains dans l'ordre physique : ils servent à développer » les richesses de la création et la puissance de l'homme...

>> Mais qui préside à ces grandes révolutions intellectuelles, » qui, d'événement en événement, et d'idées en idées, chan

»gent et perfectionnent toutes les institutions, les gouver»nements, les religions? Serait-ce le hasard? Non sans doute; >> car le hasard est un mot impie qui n'a été inventé que par >> ceux qui n'aperçoivent pas les rapports des choses. En >> mettant son doigt sur le front de l'homme, la Providence lui » a communiqué une partie de sa puissance, et fait de l'enten>> dement humain le grand levier de ses immenses desseins. >>

C'est dans le milieu que nous venons de décrire et dans les dispositions de l'opinion publique que la citation ci-dessus fait assez présumer, que s'ouvrait pour la Belgique l'année 1828.

Le parti libéral commençait à pénétrer la politique du roi Guillaume et à hésiter, plus que jamais, dans les dispositions qu'il avait montrées à appuyer son gouvernement. Il ne faut pas se dissimuler, d'ailleurs, que le réveil général de l'esprit public en Europe excitait les instincts démocratiques de nos libéraux d'alors et les portait à des visées plus hautes que l'échec à faire aux catholiques, dans toutes les questions qui pouvaient se présenter.

De Potter n'était pas tellement absorbé dans les soins qu'il consacrait à l'édition du livre de Ph. Buonarroti, et dans les peines qu'il se donnait auprès du ministre de l'intérieur Van Gobbelschroy, pour l'avancement de M. Tielemans, alors à Vienne pour la mission dont nous avons déjà parlé, qu'il ne suivit attentivement la marche. des affaires. Les lettres qu'il adressait à son ami, à cette époque, et qui font partie de la correspondance et des autres documents publiés par ordre du gouvernement, après leur procès en 1830, témoignent déjà des défiances que le futur tribun nourrissait à l'endroit du ministère qui l'accueillait cependant encore avec tant de complaisance. Dans ces lettres commence à germer aussi l'idée qu'il n'était pas indispensable aux libéraux de continuer la guerre contre les catholiques. Le 12 mai 1828, De Potter écrivait ceci à M. Tielemans: « Ne jamais rien

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