Images de page
PDF
ePub

ment, elle n'a fait qu'enraciner ses principes, accroître son importance, révéler son utilité, grandissant en raison directe des progrès de la réaction politique et de la corruption morale. Plus s'étendait la lèpre, plus on sentait le besoin de l'enseignement des mères, du concours des épouses; plus le progrès est en danger, mieux on comprend le rôle de cette auxiliaire de la révolution, de cette sœur de charité sociale, de cette Jeanne d'Arc de la liberté.

Tous les madrigaux du monde n'y feront rien, ni toute la galanterie surannée des rois de la création. On sourit de pitié quand on voit Lamartine, le Lamartine de 1860, écrire à une femme sérieuse, auteur d'un livre sérieux :

«Votre style n'a point de sexe; c'est un homme qui le pense, c'est une femme qui l'écrit... L'empire de la femme n'est pas de droit social, mais de droit divin. Plaire c'est commander, ce titre suffit à votre influence... Nous sommes le revers de la médaille, vous en êtes le beau côté 1. »>

La nature expliquée par la science, la philosophie créée par la raison résoudront seules ces problèmes de vie. Le temps n'est plus où, sur la foi de livres saints qui, cherchant à expliquer l'origine du mal, croyaient la trouver dans les douleurs de la naissance et dans la malédiction de la mère, le temps n'est plus où la femme semblait marquée d'un sceau fatal, était réputée la perte du genre humain, la cause de tous les maux, l'image de la séduction, l'impureté même. Des races qui adoraient Vénus et Minerve ne pouvaient nous transmettre ces sombres traditions ; des peuples qui donnaient la couronne et la faucille de la prêtresse à Velléda et s'en remettaient même des différends politiques à leurs épouses 2, ne pouvaient se soumettre à ces dogmes sans les altérer. Aux premiers siècles du christianisme, la femme fut admise dans le temple et il y eut des prêtresses de Marie, des diaconesses du dieu nouveau. Lorsque le principe plus conséquent eut prévalu sur les meilleurs instincts de la nature, en plein moyen âge, lorsqu'on défen

1 Lettre à Mlle De Marchef-Girard.

2 Le traité des Gaulois avec Annibal stipulait que les réclamations seraient jugées par les Gauloises.

dait aux femmes d'enseigner, d'approcher de l'autel, de parler à l'église, lorsqu'on agitait sérieusement la question de savoir si elles ont une âme et font partie du genre humain, les mœurs protestaient déjà; la loi salique ne prit vigueur que dans la moitié de l'Europe, et la chevalerie ne devait pas tarder à nommer l'épouse le pair de l'époux. Prendre une femme à mollier et à per, disent invariablement tous les trouvères du xre, du xire et du XIe siècles.

Rusticus est verè qui turpia de muliere

Dicit, nam verè sumus omnes de muliere.

dit un poëte du xre siècle.

La femme alors, cessant d'être esclave et maudite, reste impure par le sexe, inférieure par la nature. De nos jours encore, la théologie n'a pas changé; la femme est un vase d'impureté; la malédiction du paradis est double pour elle : « Tu enfanteras dans la douleur. Tu seras sous la puissance de l'homme. » Démon à éviter avant le mariage, instrument de plaisir sans péché et animal reproducteur après le sacrement, elle est sacrifiée à tout, à la concupiscence, à la maternité, à la religion. Son séducteur n'est tenu à aucun devoir, son médecin à aucun ménagement de sa vie, son mari à aucun respect : Sub viri potestate eris 1!

Mais la nature est plus forte que tous les dogmes. A mesure que les mœurs s'adoucissent, que les esprits s'éclairent, que de martyres en martyres la philosophie et la science progressent, la femme reprend de plus en plus son rang légitime; on s'aperçoit que, comme on ne peut soustraire l'enfant à son influence physique pendant qu'elle le porte dans son sein, il n'est guère plus facile de lui ôter la direction morale de la jeunesse et cette première éducation de la nourrice qui forment souvent un caractère et décident d'une vie. La beauté d'ailleurs est toujours puissante; Vénus n'a jamais perdu ses autels. Ceux qui ne reconnaissent pas son rang dans la maison acceptent sa royauté dans le salon, dans la vie des plaisirs,

4 V. L'Église et la morale, par Dom Jacobus, livre II, chap. IV, V, IX et X.

dans la magnificence des cours. Puis, on comprend que l'inférieure en droit se relève souvent reine en fait, reine de tout T'homme, par la ruse ou par la sagesse, par la beauté, par Tintelligence, ou par le cœur, conduisant les plus grands mo marques, formant les ligues, menant la diplomatie, vrai maître du foyer, vrai père des enfants, vrai chef de l'État. Il serait trop humiliant de continuer à croire que cette dominatrice universelle soit une inférieure, et que l'impure mène le fort!

Enfin, il n'est pas de révolution qui n'ait senti tôt ou tard que c'est aux femmes à sceller leur victoire. Quand les femmes adoptent une cause, elle est sauvée et triomphe. Dès que le christianisme les eut pour lui, il fut maître; aussi que ne fit-il pas pour les convertir! Qu'elles adoptent un mot de la science, ame mode dans les arts, une idée en politique, un héros ou un martyr, on peut dire l'avenir est à cette cause ou à cet homme; car la femme forme le corps et le cœur des jeunes générations; la femme est l'idéal de la conscience de l'amant : ce qu'elle admire, il le fera au péril de sa vie; la femme est la force ou la faiblesse de son mari comme citoyen; elle l'encourage ou l'arrête; dévouée, elle communique à tous sa flamme; éclairée, ses lumières; mais qu'on la laisse dans la nuit : enfants, amants, époux, les ténèbres nous enveloppent; et la victoire est bien éloignée quand la résistance a ses racines jusque dans le cœur de la famille, les armes sont bien faibles aux mains du soldat, quand une mère, une fiancée, une épouse me les a pas bénies avant la bataille.

Du moment où cette solidarité première, fondamentale, la solidarité de la famille dans les plus hautes questions de civilisation, s'aperçoit, l'émancipation des femmes devient un des symptômes du temps, une des armes du progrès; on y voit un remède au malaise général. « L'homme est malade de la foi qu'il n'a plus et de celle qu'il voudrait avoir 1. » La femme peut lui rendre la foi et l'amour.

Alors, la chrétienne confesse le Dieu des mœurs purifiées et reclame sa place dans le cirque des martyrs. Alors, une Olympe de Gouges se lève et crie: « La femme a le droit de monter à Téchafaud; elle doit avoir le droit de monter à la tribune! »>

Mlle De Marchef-Girard.

Ce cri de la révolution française n'a pas perdu ses échos; le terrible droit au martyre n'est pas prescrit pour les femmes ; Mme Mederspach fouettée sous les yeux de son mari; Mme Udvarnoky et la fille d'un évêque patriote fouettées par Haynau; les femmes de Milan massacrées par Radetsky; une femme enceinte fouettée nue à Montreale, en 1860; Mme Garibaldi, expirant d'une mort sublime dans l'héroïque retraite de son mari; Pauline Roland, victime des transportations bonapartistes, et tant d'obscures amazones du progrès, tombées aux barricades de Rome, de Vienne, de Messine, de Naples, de Paris, toutes ces martyres de l'idée nouvelle donnent à leurs sœurs de combat le droit de répéter la fière parole d'Olympe de Gouges.

Cependant les passions se calment; le sang des apôtres est fécondé par les philosophes; à ces altières revendications de l'absolu, succèdent l'étude des principes et la recherche des moyens d'émancipation. C'est l'heure où l'idée fleurit et mûrit; elle apparaît aux esprits comme une moisson naissante, dont il faut sarcler l'ivraie. La lutte est dans les livres ; il s'agit de découvrir la loi la loi qui raffermira les mœurs égarées sans boussole, et sauvera la société.

Alors, la science lève les anathèmes. Ces prétendues impuretés, elle les déclare un saint effort de la nature, un phénomène normal, un travail admirable doué d'une force plastique, premier acte, acte spontané de la génération. La science étudie cet être qu'on dit «< inférieur, impuissant, attendant de l'homme toute fécondité physique et intellectuelle; » elle trouve que la femme est un être complet de sa nature comme l'homme, qu'elle est très-active et très-créatrice, que sa masse cérébrale est semblable à celle de l'homme pour la composition et pour le nombre des organes, qu'elle a des fonctions physiques autres, celles du sexe, mais pour le reste la même nature.

<<< Il n'y a pas dit M. Pierre Leroux, deux êtres différents, l'homme et la femme; il n'y a qu'un être humain sous deux faces qui correspondent et se réunissent par l'amour. L'homme et la femme sont pour former le couple, ils en sont les deux parties. Hors du couple, en dehors de l'amour et du mariage, il n'y a plus de sexe; il y a des êtres humains d'origine com

mune, de facultés semblables. L'homme est à tous les moments de sa vie, sensation, sentiment, connaissance; la femme aussi. La définition est donc la même. » (Encyclopédie nouvelle.)

II

Mais les sciences ne parlent jamais sans que la passion ne s'en empare et sur une donnée incomplète ne bâtisse des théories à son profit. M. Michelet, avec des intentions morales et civilisatrices, a écrit deux livres énervants. Cette femme que la science relève des impuretés bibliques, il la déclare blessée, humiliée, malheureuse, serve de sa blessure. Serve! l'écrivain démocrate a conservé le nom de la servitude! La femme est toujours la profane, l'inférieure, l'esclave! Mais l'Amour fait du mari le garde-malade qui la soigne, l'initiateur qui la relève, le maître qui la crée, le dieu qui lui donne l'âme et peut, à force de caresses, d'aimantation, d'enveloppement, de magnétisme, faire de son épouse une ourse bien léchée.

L'Amour! Au milieu des symptômes de corruption de l'époque, quand la débauche et l'intérêt remplacent l'affection, qu'on se marie de moins en moins, qu'on craint la famille et qu'on lui préfère la liberté du cabaret et des mauvais lieux, il est bon d'apprendre aux hommes comment on aime, de proclamer que l'amour vrai est le seul gage de bonheur, l'unique sauvegarde de la vie, du progrès, de l'intérêt même; il est bon de blâmer les folies pernicieuses du luxe qui dégrade; il est bon de venger la vie de ménage, de rendre à la jeunesse son idéal, à la famille son flambeau, à la vie entière son soleil. M. Michelet plaide souvent avec une grande éloquence ces nobles causes; mais le sentiment l'a égaré au lieu de le soutenir. Je ne répéterai pas les critiques, même les plus justes, qu'on a faites de ces livres destinés à un éclat éphémère; il me suffit de prémunir les lecteurs contre le poison qui se trouve dans ces fleurs d'assez fausse poésie. Je veux seulement répondre à une objection et relever un enseignement que notre époque est trop encline à oublier, pour qu'on ne le lui rappelle pas sans

cesse.

Cette œuvre, dira-t-on, est écrite pour notre temps; ce n'est pas à une génération née dans l'entière pureté des mœurs

« PrécédentContinuer »