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partir, chargés de voyageurs, de nombreux steamers, approvisionnés pour toute la durée non-seulement du voyage, mais du séjour. Charleston avait été désigné à la session précédente de la Convention, tenue il y a quatre ans, à Cincinnati, lors de l'autre élection présidentielle. Mais quand on en vint aux préparatifs nécessaires, les habitants de cette petite ville montrèrent une telle avidité à la curée que le séjour dans les hôtels et la location des salles se fussent élevés à des taux ruineux. Or il faut rappeler qu'une Convention Nationale, outre ses six cents membres et leurs six cents substituts, attire environ vingt-cinq mille étrangers, jaloux d'assister au plus grand acte qu'un parti puisse poser en dehors de l'action officielle, ou occupés à transmettre les débats à toutes les parties du pays. Le Congrès lui-même prend des vacances, pour permettre à ses membres de suivre ces Conventions, soit comme délégués, soit comme spectateurs. Les affaires cessent, les autres préoccupations s'effacent, devant l'importance et la solennité de ces réunions populaires.

A peine les exigences de Charleston furent-elles connues que les habitants de Baltimore tinrent conseil. Ils offraient l'usage gratuit d'une salle immense pour les séances générales, et celui de trente-trois salles moins vastes pour les délégations des États; ils s'engageaient, en outre, à maintenir le tarif ordinaire des logements et des tables d'hôtes. Philadelphie et Richmond se présentèrent presque aussitôt avec des propositions semblables. Ce mouvement spontané ne pouvait manquer de rendre traitables les habitants de Charleston, et grâce aux loges maçonniques, qui ont offert leurs salles de réunion, grâce aussi aux steamers convertis en hôtels flottants, la Convention Démocratique a pu être installée. Le 9 mai, la Convention d'Opposition d'Union s'ouvrira à Baltimore, et huit jours après suivra celle des Républicains, à Chicago.

Les candidatures sérieuses n'ont jamais été en aussi grand nombre, dans tous les partis. On ne compte pas moins de cinquante-neuf noms, soutenus avec plus ou moins 'de chaleur par des journaux répandus, parfois influents. Le dépouillement des titres des candidats est à lui seul une tâche considérable. On ne lit pas sans intérêt les Biographies sommaires de ces citoyens distingués, recommandés par leurs services publics à

la sympathie populaire. Quelques-unes de ces vies sont empreintes d'un caractère chevaleresque, ou relevés de traits d'énergie, dont notre existence d'Europe, monotone et réglementée, ne nous fournit pas d'idée. On souffre avec Douglas, orphelin à l'âge de deux mois, qui fut placé jeune en apprentissage chez un ébéniste, où il était dépourvu de moyens de s'instruire, et cependant dévoré de la soif d'apprendre et du besoin d'appliquer à de plus hauts objets sa remarquable intelligence. On le suit, avec un intérêt croissant, dans ses efforts au collège de Canandaiga, pour se rendre digne de l'instruction gratuite; on l'admire quand il va s'établir à l'Ouest comme maître d'école, et commencer sa carrière en enseignant l'ABC aux petits enfants.

La vie de Houston est pleine d'incidents romantiques. C'est le fils d'un settler de la frontière, un enfant de ferme, un pionnier de l'Ouest dans toute la force de l'expression. Après avoir perdu son père en bas âge, il fut préposé par sa mère veuve au soin des bestiaux qui pâturaient en liberté. Pasteur nomade, il fut conduit souvent chez les Indiens d'alentour, et vécut même pendant plusieurs années au milieu des Cherockees et de leurs alliés. En abandonnant à un frère plus jeune le soin des troupeaux, il parvint à se placer, comme commis de vente, dans un des bazars d'une de ces villes reculées de l'Ouest, où le bruit de la civilisation ne trouve, pour ainsi dire, qu'un écho affaibli. C'est là qu'il s'instruisit, qu'il apprit l'histoire, qu'il fit seul ses premières études. Tout à coup le voisinage est mis en danger par une déclaration de guerre des Creeks, une tribu indienne connue pour son audace et sa cruauté. Houtson, rappelé aux souvenirs de son adolescence, s'enrôle dans une compagnie franche, se fait distinguer de ses chefs dans plusieurs combats corps à corps, et devient l'ami du général Jackson, plus tard Président de la république. La campagne finie, le jeune volontaire, qui n'avait pas plus de vingt-deux ans, retourne à ses études, se fait recevoir avocat, et est bientôt élu procureur public, puis représentant. Mais sa carrière est loin de suivre, à partir de cet instant, une marche plus régulière ou plus aisée. Poussé par son esprit inquiet, par ses habitudes d'enfance, le séjour des villes lui pèse. Il est élu Gouverneur du Tennessée à une majorité imposante; il résigne; il

part encore une fois pour l'Ouest, et va fonder une ferme en pays indien. Il devient bientôt l'ami et le protecteur des sauvages. Les abus de pouvoir des blancs, leurs fraudes, leurs injustices envers les rouges, soulèvent son indignation. Il se constitue l'avocat volontaire de leurs nations. Il part pour la Capitale Fédérale, et, comme jadis le paysan du Danube, fait retentir ses plaintes devant les sénateurs assis pour l'écouter.

L'État du Texas n'était alors qu'un embryon. Houston vint s'y établir, et siégea à la Convention constitutionnelle. La rupture avec le gouvernement central du Mexique suivit de près le vote de la Constitution; Houston se déclara l'un des premiers pour l'indépendance texane, et conduisit les volontaires à la bataille de San-Jacinto, où il fut blessé.

D'autres vies ne sont pas moins intéressantes. Aucune ne démontre la facilité universelle de s'élever, mieux que celle de Johnson de Tennessée, qui a passé toute sa jeunesse à coudre sur l'établi d'un tailleur. A dix-sept ans, il ne savait encore ni lire ni écrire. Il est arrivé à pied à Greenville, pour y travailler à son compte, d'abord dans les plus modestes conditions. C'est dans un club qu'il s'est fait connaître, et c'est de là qu'il est passé à la vie publique, inspirant partout le plus grand respect pour son caractère et la plus flatteuse admiration pour ses talents naturels.

Ces candidats appartiennent à la Démocratie. Les Républicains sont plus riches encore peut-être d'hommes du peuple, d'hommes qui se sont faits eux-mêmes. Banks a travaillé de ses mains dans une filature de coton; il y prit goût aux machines, et fut longtemps employé comme ouvrier mécanicien, à Waltham et à Boston. Cameron a commencé, comme Franklin, dans l'atelier d'un imprimeur. Wilson a été élevé dans une ferme, puis s'est fait ouvrier cordonnier. Il s'est établi dans le Massachusetts, ne possédant encore qu'un fort petit magasin de chaussures. De la profession de bottier, il est passé à celle de maître d'école, qui lui a donné quelques loisirs et les moyens de faire des études. Il avait alors vingt-six ans. Ses talents se sont révélés, comme ceux de tant d'autres, dans ces sociétés de conversation ou clubs, dont il existe un si grand nombre aux États-Unis. Il s'est fait connaître dans une société du dimanche, qui discutait des matières religieuses et

politiques. C'est ainsi qu'avec un vaste système d'associations volontaires, et la liberté de penser tout haut, le talent ne peut rester inconnu ni stérile.

Mais la biographie républicaine la plus intéressante est celle de Fremont, le candidat battu par la Démocratie dans l'élection de 1856. Il était orphelin à l'âge de quatre ans, et grandit dans une pension vulgaire, sans que personne prît souci de son avenir ni de ses dispositions. Un goût naturel le dirigea vers l'étude des mathématiques et surtout de leurs applications. Il se fit arpenteur, et fut attaché, pendant plusieurs années, au levé cadastral de l'État de Mississippi. A l'expiration du travail, ses talents d'ingénieur le firent appeler à Washington, dans le bureau de Construction des Cartes, et à l'âge d'environ trente ans il obtint une admission tardive, en qualité de sous-lieutenant, dans le corps topographique.

C'est alors (1842) qu'il conçut le plan d'une exploration vers la partie centrale des Montagnes Rocheuses, encore abandonnées aux Indiens. Il ne demandait qu'un petit nombre d'hommes, quelques chariots de vivres et des instruments. Le ministre put faire les frais du voyage sur le budget ordinaire, sans recourir au Congrès. Fremont partit au printemps. Il réunit sur sa route des collections de toute espèce, avec un amour de la science et un jugement éclairé qui lui ont attiré la gratitude du monde savant. Il fut le premier blanc qui franchît la South Pass, devenue maintenant la route centrale du bassin du Mississippi vers la Californie. Trois ans avant les Mormons, il descendit au Salt-Lake, dont on n'avait encore qu'une vague connaissance, fondée sur les dires incertains des Indiens. Il a le premier visité le Grand Bassin, les pertes du Humboldt et les Sources Bouillantes. Les privations et les fatigues qui ont accompagné cette expédition, entreprise avec de faibles ressources, et poussée à travers six cents lieues d'un pays montagneux où l'on ne comptait pas encore un settler, ont été racontées dans un récit plein de vie et d'intérêt. Plusieurs fois cette petite troupe intrépide a cru ses derniers jours arrivés. Un matin, dans une des vallées alpines de la grande chaîne, au pied de rochers sauvages mêlés de plaques de neige, les voyageurs, épuisés et privés de vivres, s'attendaient à périr de faim, quand le bourdonnement d'une abeille se fit entendre.

Fremont épie les mouvements de l'insecte, le suit avec anxiété, et découvre un peu plus bas des ruches naturelles, dont les gâteaux furent dévorés avec avidité 1.

C'est à travers ces privations et ces difficultés que la première bande d'Américains atteignit par l'Est la Sierra Nevada, après avoir traversé le cœur du continent Les richesses minérales de la Californie n'échappèrent pas à l'œil de l'explorateur. C'est Fremont qui signala les principaux dépôts aurifères, et qui compléta cette importante découverte par la reconnaissance des vallées du San-Joaquin et du Sacramento. Il avait mis trois ans à parvenir du Mississippi àl'Océan Pacifique, trajet que les courriers, avec leurs cent cinquante relais, accomplissent maintenant en dix jours.

Le rapport de Fremont étant parvenu au gouvernement dans le temps même de la guerre avec le Mexique, la cession de la Californie fut réclamée, à la paix, comme une indemnité de guerre. La découverte de l'or était encore inconnue au public; le gouvernement lui-même n'avait pas de notion claire de son importance. Fremont partit de nouveau à la tête des premiers pionniers; il possède dans la Sierra Nevada des mines considérables, en vertu du droit d'inventeur. La Californie, née de ses efforts, grandie par ses soins, lui a noblement témoigné sa reconnaissance, en le faisant son premier sénateur.

Quelques traits d'ensemble sont fort remarquables dans les Biographies sommaires des candidats à la Présidence. Nous ne pouvons nous dispenser de les soumettre à nos lecteurs. En premier lieu, le nombre des orphelins ou des hommes qui ont perdu leur père très-jeunes, est hors de proportion avec les fils élevés dans la famille. Nous sommes loin d'en tirer des inductions défavorables à l'éducation du foyer domestique; mais il

1 Il y a un an environ, Mme Fremont se trouvant un dimanche dans un des temples protestants de New-York, s'aperçut, au moment de la quête, qu'elle avait oublié son porte-monnaie. Elle détacha gracieusement sa bague, et la déposa sur le plat d'offrande. On y trouva gravé le mot bee (abeille), avec la date de l'événement que nous venons de rapporter. Ce fut l'affaire d'un instant d'ouvrir une souscription pour indemniser l'église, et de restituer respectueusement à mississ Fremont ce souvenir touchant de piété conjugale.

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