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ne se prêtent pas à la taille, et que l'on ne peut obtenir d'échantillons propres à fournir une hache, qu'en taillant immédiatement les blocs de silex au sortir de la carrière; qu'enfin cette taille était difficile surtout pour des hommes qui ne disposaient pas d'outils d'acier. Pour tous ces motifs une hache en silex, surtout quand elle était polie, devait être un instrument précieux, acquis pour fruit d'un long travail, et dont les hommes d'alors ne devaient se dessaisir qu'avec peine 1.

Nulle autre trace d'industrie humaine ne se laisse apercevoir; point de couteaux ni de pointes de flèches ou de javelots en silex, encore moins du bronze et du fer. Deux choses cependant attestent irrécusablement que des hommes vivants ont passé par là: 1o les os longs fendus longitudinalement sans doute pour en extraire la moelle, ce qu'aucun carnassier n'aurait pu faire; les os que nous avons examinés ne portaient point d'ailleurs l'empreinte des puissantes mâchoires de l'ours ou de l'hyène; les extrémités semblaient plutôt grugées que brisées; 2° la présence de fragments de bois carbonisé, de braises et de cendres, quoique en petite quantité, mêlés à la stalagmite. Par-dessus la couche stalagmitique à ossements, il y avait un troisième dépôt également calcaire et blanc,

Un de nos amis, M. Albert Toilliez, ingénieur des mines à Mons, a entrepris de former une collection unique en son genre, au moins dans notre pays, de haches et d'autres armes et instruments en silex, en porphyre, en os et en corne de cerf. Il est parvenu à réunir près de 400 échantillons de ces intéressants monuments de ce que l'on est convenu d'appeler l'âge de pierre, époque si peu connue encore, et qui a laissé de si faibles traces de son existence

Un chose qui frappe à première vue, dans la collection de M. Toilliez, c'est la grande analogie de matériaux et de forme entre les instruments de pierre provenant des diverses parties du monde.

Si plusieurs personnes s'occupaient, dans différentes localités, à rechercher les restes de l'âge de pierre avec le zèle éclairé et la persévérance de M. Toilliez, on aurait bientôt recueilli d'inestimables matériaux pour reconstruire l'histoire de cette époque.

(Note de l'auteur.)

formé d'un tuf stalagmitique assez compacte totalement dénué d'ossements, et ne contenant que de minces coquilles d'une petite hélice de la même espèce que celle qui vit actuellement sur les lieux. M. Spring affirme que cette couche se terminait par une assise mince de calcaire concrétionné très-dur et presque cristallisé, ce que nous admettons volontiers, quoiqu'elle eût été enlevée totalement avant notre première visite.

Enfin le tout, dit encore le même savant, était recouvert d'une couche de limon mêlé de fragments de calcaire anguleux.

Nous n'avons absolument rien vu de ce limon ni de ces cailloux anguleux, mais comme la grande exactitude de la plupart des autres observations de M. Spring ne permet pas de douter d'un fait aussi facile à constater, nous admettrons que d'autres explorateurs avaient entièrement enlevé le limon et les pierres.

Cependant, ce limon s'étant déposé par-dessus les couches stalagmitiques et par conséquent postérieurement à leur formation, n'a pu pénétrer dans la grotte que par son ouverture antérieure, et il n'a pu y être amené que par des eaux douées d'une force de transport suffisante pour entraîner et laisser déposer ensuite des pierres calcaires du sol avoisinant. Or, ce cours d'eau ne peut être que la Meuse qui, pour arriver à ce point, a dû élever son niveau d'au moins 25 mètres, et cela à une époque postérieure au déluge, ou si l'on veut, à la dernière révolution du globe, puisque ce limon recouvre des restes d'animaux nombreux qui tous semblent appartenir à des espèces encore vivantes. Expliquera qui voudra cet étrange phénomène : quant à nous, nous y renonçons.

Nous nous contenterons de hasarder quelques conjectures sur la présence d'os et particulièrement d'os humains dans les dépôts stalagmitiques de Chauvaux, en nous aidant des judicieuses observations de M. Spring.

La caverne de Chauvaux était-elle un lieu de sépulture ou de dépôt de cadavres humains, morts de mort natu

relle. Évidemment non, car alors on aurait trouvé des squelettes complets, composés d'os entiers et cela n'a pas lieu. De plus, il est probable que ces restes eussent été recouverts de terre ou que les chairs, en partie garanties contre la décomposition par le dépôt stalagmitique, se seraient transformées en un terreau brun rougeâtre et fétide.

Il n'y a ni limon, ni terreau mêlés à la stalagmite de calcaire presque pure, ainsi que le prouve, outre la blancheur de ce dépôt, l'analyse chimique qu'en a faite M. Dewalque, qui n'y dénote que des traces de silice, d'alumine et de fer, matières constituantes du limon, et de matières organiques, éléments du terreau. Les os ont donc dû être introduits dans la caverne étant déjà dépouillés de chair. Ils n'ont pu être brisés par le seul fait de leur amoncellement, car il en est qui sont broyés en petits fragments anguleux, tandis que d'autres sont fendus longitudinalement et que leurs extrémités qui sont précisément les parties les plus résistantes sont seules broyées, enfin que beaucoup d'os courts sont demeurés entiers. Ces mêmes circonstances, jointes à l'absence de traces d'usure sur les os, de limon et de cailloux roulés dans le dépôt stalagmitique, excluent l'idée que ces ossements y auraient pu être amenés par un courant. La forme même de la caverne, sa large ouverture, son fond incliné vers une partie plus basse, rendent d'ailleurs cette supposition inadmissible. On ne peut admettre qu'une caverne aussi ouverte, aussi exposée aux rayons solaires et aux gelées, ait pu être habitée par des ours ou des hyènes, et ces animaux auraient-ils pu faire leur nourriture principale de chair humaine? Les ours ni les hyènes ne broient ni ne fendent les os des animaux qu'ils dévorent, et il est probable que l'on eût trouvé les ossements des habitants des cavernes parmi ceux de leurs victimes, comme on les a trouvés ailleurs. (Les cavernes de Dinant recèlent des dents d'ours en grand nombre). Aucune des hypothèses qui servent ordinairement à expliquer la présence des osse

ments dans les cavernes ne peut donc être raisonnablement appliquée au cas qui fait l'objet de notre discussion. Selon M. Spring, l'amas de Chauvaux constituerait les restes d'un festin de cannibales. Cette opinion, qui nous semble très-plausible à plusieurs égards, est fondée par ce savant sur les remarques suivantes : Les restes humains enfouis dans la stalagmite appartiennent à des femmes, des enfants ou des jeunes gens non adultes, individus qui auront été choisis de préférence pour être dévorés; des hommes seuls ont pu fendre les os longs pour en extraire la moelle; enfin, à notre avis, la fracture des surfaces articulaires et des condyles de ces os indique que l'on a voulu en ronger la partie cartilagineuse, encore tendre chez des individus jeunes, et en sucer les parties spongieuses. Les parties dures, après avoir été réduites en menus fragments, auront été rejetées, et c'est leur accumulation et leur mélange avec la stalagmite qui aura formé cette brèche osseuse à menus fragments anguleux, qu'ont remarqué tous ceux qui ont visité la grotte de Chauvaux.

Les carnassiers rongent quelquefois la partie cartilagineuse des os, mais ils l'avalent tout entière sans en rien rejeter, et la partie poreuse se dissout avant de passer dans les excréments. Une autre circonstance nous fait présumer que les hommes de cette époque broyaient les os avec leurs dents; la seule mâchoire humaine provenant de Chauvaux que nous possédions, a les tubercules des dents molaires entièrement usés, et celles-ci sont aplaties comme si elles eussent été limées. Smerling a remarqué la même chose pour des molaires humaines, trouvées par lui dans les cavernes de la province de Liége. Cette usure des dents ne peut provenir que de l'habitude de broyer des corps durs; il est à présumer que ceux-ci étaient des os, et la présence de ces dents usées au milieu d'un grand amas d'os broyés rend cette hypothèse très-vraisemblable. Nous admettrons donc volontiers avec M. Spring que les os accumulés dans le trou de Chauvaux sont

des restes de festins de cannibales, non d'un seul festin, à moins que plusieurs centaines d'individus n'y aient été conviés, mais d'une longue série de repas, alimentés à la fois par de la chair humaine et par celle des animaux sauvages les plus communs dans la contrée. Mais une chose qu'il nous est impossible de concéder à M. Spring, c'est que la petite grotte de Chauvaux ait pu être le lieu de réunion, la salle à manger, où se donnaient des festins. Dans une petite cavité dont le sol est inégal et incliné, et où dix personnes tout au plus pourraient s'introduire à la fois, en se tenant couchées ou accroupies dans des positions fort incommodes, comment peut-on voir une salle de festins? Comment nos anthropophages auraient-ils été choisir un lieu si peu commode et d'un si difficile accès ? Nous ne pouvons même admettre qu'ils aient tenu leur repas sur le monticule boisé qui se trouve à côté de la caverne; le lieu nous paraîtrait encore mal choisi, et nous ne pourrions nous expliquer le soin minutieux et certainement inutile que l'on aurait pris de réunir les os et les dents, depuis les plus gros jusqu'aux fragments les plus menus, pour les jeter sur le sol de la caverne, afin que, conservés par l'action des eaux incrustantes, ils devinssent pour les générations à venir un sujet de conjectures, de méditations et de discussions. La présence de bois en partie carbonisé, de cendres et de limon calciné parmi les ossements semble dénoter que la chair qui enveloppait ceux-ci était cuite avant d'être mangée; comment des hommes, placés dans une caverne aussi petite, auraient-ils pu supporter la chaleur de ce feu de si près, et comment surtout auraient-ils fait pour n'être pas asphyxiés par la fumée?

Où donc pouvait être cette salle du festin, puisqu'elle n'était ni dans la grotte ni à côté de celle-ci à ciel ouvert? C'est ce qu'un examen attentif des parois de la grotte et du dépôt stalagmitique qui en recouvrait le sol peut seul nous apprendre. Donc, examinons et analysons.

La stalagmite n'a pu être formée que par des eaux suintant ou coulant lentement dans la grotte, et qui, au

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