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de faire l'école buissonnière ces jours-là. Napoléon et Guillaume cependant étaient des tyrans, tandis que moi, messieurs, si je suis roi, c'est bien plutôt pour votre bon plaisir que pour le mien, mettez-vous bien cela dans la tête, je vous prie.

Je m'en retournai chez moi le cœur gros... chez moi, c'est-à-dire chez les autres, car un roi n'a pas de chez soi.

Mon premier ministre m'attendait. Je ne vous dirai pas s'il était catholique ou libéral; tout ce que je sais, c'est qu'il allait à la messe le dimanche, avec sa femme et ses enfants, comme tout le monde le fait en Belgique, et en vérité, je n'avais pas le courage de l'en blâmer, car c'était un fort brave homme, et qui n'avait guère plus d'agrément à tenir son portefeuille de peau de chagrin sous le bras, que moi à porter ma couronne invisible sur ma tête.

Pauvre diable de ministre !... Figurez-vous que ses appointements ne valaient pas les honoraires d'un notaire de la ville, et qu'il était tenu par état de fréquenter des ambassadeurs et des princes. Cependant c'était à qui lui arracherait son misérable portefeuille, au point qu'on se livrait des batailles rangées dans la presse et dans les élections. O vanitas, vanitatum !

Une foule de voix menaçantes me criaient : « Prenez un libéral!» D'autres voix répondaient en grondant : « Il nous faut un catholique. >>

De même que mon royal prédécesseur, j'avais essayé des uns comme des autres (car dans mon rêve, je me persuadais que je régnais déjà depuis plusieurs années); mais on n'en continuait pas moins à crier et à vociférer dans les deux camps; je ne savais plus auquel entendre, et me laissais diriger à peu près par le hasard et par les circonstances du moment.

J'ai oublié de dire que la famine menaçait mes États, comme presque toute l'Europe (ce qui malheureusement n'était pas un rêve); on accusait mon gouvernement de

cette calamité publique, comme si les hommes d'État pouvaient diriger le vent et les nuages et empêcher les pommes de terre de pourrir.

Je n'oublierai jamais la mine qu'avait mondit ministre, au moment où j'entrai dans la rotonde du château de Laeken, où il m'attendait depuis deux heures; car je m'étais amusé en chemin à pêcher à la ligne dans le canal de l'Allée-Verte. Je ne me rappelle pas bien s'il avait la figure de M. de Theux, ou celle de M. Rogier, ou celle de M. Tielemans; mais il me semble que c'était l'une de ces figures-là, quoiqu'elle fût dans ce moment prodigieusement allongée et épouvantablement cadavéreuse.

Qu'avez-vous donc à m'annoncer, mon cher ministre? m'écriai-je. La récolte est-elle encore une fois manquée, et mes deux plus belles provinces sont-elles réduites à l'agonie?

-Pire que cela, Sire, répondit-il d'une voix sépulcrale. — Les catholiques sont-ils parvenus à rétablir la dîme et le droit du seigneur, ou bien les libéraux à imposer un nouveau catéchisme aux petits enfants dans les écoles? Pire que cela, Sire.

Hé! dites-moi donc cette effrayante nouvelle, je vous prie?

Sire, Louis-Philippe est mort.

Et voyant que sa grande nouvelle m'avait affligé, mais sans m'effrayer le moins du monde pour moi, ni pour mon pays, le ministre s'écria :

- Vous prenez les choses du bon côté, Sire; mais gare que d'ici à quelques jours, votre royauté ne paraisse n'avoir été qu'un songe!

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Tiens, c'est vrai, je rêvais! dis-je en m'éveillant.

II

Je me retrouvai en face de M. M***, le magnétiseur, qui me demanda en souriant:

Eh bien! êtes-vous satisfait de votre rêve?

yeux.

-

Pas trop, répondis-je en bâillant et me frottant les

Vous souvenez-vous de quelque chose?

Je me souviens très-bien de tout; mais mon rêve n'a pas eu de suite.

Eh bien, vous allez voir la suite... fit le magnétiseur en m'appliquant le bout des doigts sur le front; et je vous ordonne de bien fixer le tout dans votre mémoire, afin de vous en souvenir au réveil.

Un nuage passa devant mes yeux, et quand il se dissipa, il me parut que j'avais été plongé dans un sommeil léthargique pendant deux ou trois mois. Je me trouvai au milieu de la place Royale: un admirable tapis vert, émaillé de pâquerettes et de pissenlits, en recouvrait tous les pavés, et l'arbre de la liberté se pavanait au milieu de cette pelouse solitaire, dont le velours n'était souillé par aucune vigilante ni aucun véhicule quelconque.

Au-dessus de la porte d'entrée de chaque hôtel était fixé un écriteau portant ces mots : Maison à vendre ou à louer. Je m'approchai de l'un de ces écriteaux, et j'y lus cet avis tracé en petits caractères: On ne payera rien pour la location; mais le locataire sera tenu de faire toutes les réparations à ses frais. Ce même avis était répété sur presque toutes les portes.

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- Il paraît, dis-je en moi-même, que le prix des maisons a subi une baisse considérable depuis que j'ai perdu

ma couronne.

Pour que vous compreniez cette réflexion, je dois vous dire, ami lecteur, que, dans ce second rêve, j'avais conservé le souvenir de mon premier songe, quoique je ne me rendisse pas bien compte des événements qui l'avaient suivi, et par suite desquels j'étais descendu du trône, pour redevenir ce que j'ai toujours été depuis dix-sept ans, c'est-à-dire commis à trois mille francs d'appointements.

1 Cet arbre a été remplacé par la statue de Godefroid de Bouillon.

Je m'en fus machinalement à la rue de la Loi. Tous les hôtels y étaient vides, à l'exception du palais de la Nation, où je me présentai.

Que voulez-vous? me demanda un concierge à l'accent gascon, et portant sur sa casquette une cocarde tricolore qui n'était pas aux couleurs belges.

Je demeurai tout ébahi, sans répondre, lorsqu'un petit monsieur, très-élégant, et qui donnait le bras à une petite dame plus élégante encore, me toisa des pieds à la tête et me demanda à son tour:

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Qui êtes-vous?

Je déclinai modestement mes nom, prénoms et qualités. Je vois, je vois ce que c'est, dit-il avec pétulance; vous êtes un employé de l'ancien régime et vous demandez à être replacé. Il y en a des milliers dans cette position. Adressez-moi toujours votre requête, accompagnée de l'état de vos services. Il reste quelques postes vacants dans le département des Basses-Pyrénées... Douze cents francs valent mieux qu'une retraite... Nous examinerons vos pièces... nous aviserons... Je vous salue...

Après avoir dit ces mots avec volubilité, M. le préfet (car je lui entendis donner cette qualification par deux employés qui le saluèrent en s'inclinant jusqu'à terre) sortit du palais de la Nation que l'on appelait maintenant la préfecture, comme la province de Brabant s'appelait le département de la Dyle, ou par abréviation : la Dyle.

N'ayant plus rien à faire, je me mis à parcourir les rues de l'ex-capitale. Quelle ruine! quelle désolation! Plus un seul magasin n'était ouvert de la montagne de la Cour à la place de la Monnaie. Les parois intérieures de la nouvelle galerie Saint-Hubert étaient couvertes de mousse, et je vis l'architecte pleurer sur le seuil de son monument d'un jour, comme autrefois Marius à Minturne. Eh bien, lui dis-je en l'abordant Hostis habet muros; ruit alto a culmine... Je ne vous comprends pas, interrompit l'artiste désolé; pouvez-vous plaisanter à l'aspect de tant de malheurs?

--

Je ne plaisante pas; je parle latin, répliquai-je.

N'est-ce pas une plaisanterie que de parler latin? Parlons français, puisque c'est la langue de nos seigneurs et maîtres; et gardons-nous surtout de parler flamand : vous savez comment on qualifie les habitants des Flandres dans les bureaux de la préfecture?

Non, je ne le sais pas, je ne sais rien, je sors d'un songe ou je relève de maladie. Je voudrais bien savoir, ajoutai-je après un moment de réflexion, comment le gouvernement français, autrefois si modéré, si sage, si prudent, est tout à coup sorti de son caractère, pour s'emparer d'un pays voisin, d'un État ami de la France?

Que vous êtes simple! répondit mon interlocuteur; ce n'est pas le gouvernement français, ce n'est pas même la France, c'est le peuple français, c'est la population surabondante et turbulente de Paris qui a débordé comme un torrent, quand la digue eut été rompue 1.

Quelle digue?

- La main ferme de Louis-Philippe; et maintenant que l'événement est accompli, tout le monde s'étonne de ne l'avoir pas prévu, tout le monde se demande par quel fatal aveuglement, tous les Belges, quand il en était temps encore, ne se sont pas serrés les uns contre les autres, au lieu de se diviser en deux camps rivaux et de laisser l'ennemi pénétrer par l'espace vide au milieu?

Mon cher ami, interrompis-je, je ne parle jamais politique; ainsi permettez que je vous salue.

En continuant ma promenade, je remarquai de vieux placards sur les murs; c'étaient des proclamations au peuple belge. Le style en était fort entraînant; on nous y persuadait que nous étions devenus Français par choix. et pour notre propre satisfaction; c'était pour nous un grand honneur et un grand profit. C'est singulier, pensai-je, il me semble avoir déjà vu cela quelque part.

Je me rappelai plus tard que c'était dans l'Histoire de la révolution brabançonne de Théodore Juste.

1 Affaire de Risquons-Tout,

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