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applications dont la création du college philosophique et d'autres mesures du même genre avaient déjà précisé le but.

C'est donc avec raison que nous rangeons la traduction des Lettres de saint Pie V » comme nous avons rangé la « Vie de Scipion de Ricci » plutôt parmi des écrits polémiques que parmi des œuvres historiques proprement dites. Aujourd'hui les lettres de ce pape sont étudiées, de part et d'autre, à un autre point de vue. On explique les actes et les opinions de ce pontife comme on explique les actes et les opinions de ses adversaires, en y faisant entrer la considération des temps, des lieux, des positions. Le pape qui contribua pour une si large part à la défense de la chrétienté contre les Turcs, et qui vit couronner ses efforts en ce point par la grande victoire de Lépante, est encore appelé saint par l'Eglise catholique, qui le place, en outre, avec raison entre Grégoire VII et Sixte-Quint à cause des autres services innombrables qu'il a rendus à cette Église, tant pour la réformation des mœurs et de la discipline, que pour l'affermissement de son indépendance vis-à-vis des princes temporels. C'est ainsi que, dans un camp opposé, Elisabeth d'Angleterre jouit à bon droit de la qualification de grande, ce qui est là l'équivalent de la béatification catholique. Elisabeth a cependant aussi bien des choses à se faire pardonner par l'impartiale histoire.

Arrivé à la fin de 1827, sous les excitations que nous avons fait comprendre, au paroxysme de la passion anticatholique qu'avait peu à peu allumée et développée en lui ses études dirigées, à priori, quoi qu'il en ait pu dire, contre Rome, ses doctrines et sa politique, De Potter ne devait plus tarder à reconnaître qu'il était allé trop loin. Son instinct de patriote lui fit bientôt soupçonner qu'il avait trop servi le pouvoir pour l'escamotage adroit que celui-ci faisait de la liberté de tous, à la faveur des mêlées ardentes où il avait su pousser jusque-là les « catholiques et les « libéraux » dans notre pays. L'incontes

R. T.

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table loyauté de De Potter et surtout ses sentiments démocratiques dont il ne devait jamais échoir à personne d'avoir raison, le portèrent le premier à dénoncer la tricherie dont il avait été involontairement le complice. Nous demandons ici la permission de nous glorifier, en passant, d'avoir été un des premiers à entendre le cri d'alarme qu'il poussa pour la liberté menacée, et à suivre résolûment, depuis, le drapeau qu'il leva pour appeler les écrivains belges à la rescousse.

La carrière politique proprement dite de De Potter s'ouvre au commencement de 1828. Il est nécessaire de dire la position qu'il avait occupée jusque-là à Bruxelles, depuis qu'il était venu s'y établir. Sa qualité d'auteur l'avait naturellement mis en relation avec ceux qui s'occupaient alors des lettres et des arts dans notre capitale. Il n'avait pas tardé non plus à prendre part à la rédaction du journal le Courrier des Pays-Bas, le principal organe de ce qu'on appelait déjà alors « le parti libéral » en Belgique. Dès avant 1826 il faisait avec l'avocat Doncker, un des anciens rédacteurs de l'Observateur belge, Ph. Lesbroussart, et quelques écrivains français alors exilés ou établis en Belgique, parmi lesquels figurait le général Mellinet, partie d'un cercle, assez restreint, d'hommes de lettres dirigeant l'opinion libérale à cette époque.

Leurs relations avec les provinces n'étaient pas établies sur un pied fort régulier. Les avocats Delhougne et Van Meenen, à Louvain, anciens rédacteurs de l'Observateur belge avec Doncker; quelques avocats du barreau d'Anvers, d'origine française; Cornelissen, à Gand; De Serret, à Bruges, voilà ceux qu'on désignait généralement comme des chefs de l'école libérale en province, avec lesquels ceux de Bruxelles avaient le plus de rapports. M. Tielemans qui débutait à cette époque, était attaché, depuis peu de temps, à la rédaction du Journal de Gand. Il devint bientôt un des principaux champions du parti. C'est du milieu de 1826 que date son intimité avec De Potter, comme on peut le voir dans leur correspondance

publiée par le gouvernement, en 1830, à la suite du fameux procès où ils furent alors impliqués ensemble et dont nous reparlerons. C'est aussi vers la même époque que nous entrâmes en relation avec eux. Lesbroussart nous ayant introduit à la rédaction du Courrier des PaysBas en avril 1826, c'est là que nous rencontrâmes pour la première fois De Potter qui en était déjà un des collaborateurs les plus actifs.

L'état de l'opinion était alors encore assez vaguement dessiné. Depuis la dernière lutte que le gouvernement du roi Guillaume avait soutenue, en 1822, pour l'établissement du nouveau système financier du royaume, lutte dans laquelle il avait fini par triompher, l'opposition était pour ainsi dire en désarroi. Les catholiques continuaient bien une guerre sourde à ce qu'ils soupçonnaient toujours être un gouvernement de propagande protestante en Belgique; et les libéraux, principalement ceux d'éducation française, rechignaient encore aux principes néerlandais, pour employer le mot créé alors, afin de dissimuler le mot hollandais. Mais il n'y avait plus d'antagonisme absolu entre les provinces du midi et celles du nord. Les hommes d'État hollandais, satisfaits d'être parvenus à diviser, jusqu'à un certain point, l'opposition belge, s'étaient essayés dès lors à faire se ruer l'un sur l'autre les deux tronçons qu'ils avaient faits de cette opposition. Ils n'y avaient pas encore entièrement réussi au commencement de 1826, mais l'entreprise allait grand train. Seulement, comme ils se défiaient assez du fonds démocratique qui se trouvait dans le libéralisme d'alors, ils craignaient fort de le lâcher sans bride sur « le clérical. » Ils avaient préféré d'employer, d'abord, à cette besogne des « libéraux » de leur choix, recrutés, pour la plupart, à l'étranger, et qui, dans le Journal de Bruxelles et dans le recueil hebdomadaire la Sentinelle, faisaient, sans danger pour le gouvernement, la guerre aux catholiques et la faisaient quelquefois aussi aux libéraux indépendants.

Pour donner une idée de l'espèce de tohu-bohu que

formait l'opinion d'alors, voici une rapide analyse des sujets qui occupaient les divers journaux, vers le milieu de 1826.

Les libéraux indépendants organisaient des démonstrations publiques, concerts, souscriptions, etc., au profit des Grecs alors en insurrection. Les libéraux du gouvernement et, jusqu'à un certain point, les catholiques en étaient offusqués.

Les écrivains de la Sentinelle en étaient jusqu'à se quereller publiquement avec quelques rédacteurs du Courrier des Pays-Bas; tandis que les écrivains du Journal de Bruxelles cherchaient à se rapprocher de ceux-ci.

Une note de M. Verstolk Van Soelen, ministre des affaires étrangères, adressée au gouvernement autrichien, à propos d'une question sur la navigation du Rhin pendante devant la diplomatie, faisait alors beaucoup de bruit, à cause de ce passage qu'on y lisait au sujet de la souveraineté de la maison d'Orange sur les Pays-Bas, à laquelle l'Autriche paraissait avoir donné exclusivement pour origine les traités de 1814 et 1815:

«Quant à cette souveraineté, le roi la doit, après la Provi» dence, au sang versé par ses ancêtres pour la patrie, à la » gloire qu'elle a acquise et au bien dont elle a joui sous leurs >> auspices, aux rapports intimes établis dans le cours des » siècles entre eux et la nation, aux anciens droits de sa >> maison et à la confiance ainsi qu'au choix spontané d'un » peuple libre. »

Les libéraux de toute couleur applaudissaient à tout rompre à cette déclaration, surtout à cause de son trait final. Les catholiques faisaient remarquer que l'invocation de tous ces titres était l'invocation de services rendus exclusivement à la cause protestante au xvre siècle; et quant « au choix spontané d'un peuple libre, »> ils n'admettaient pas qu'on pût l'alléguer pour la Belgique, à cause de la célèbre abstention des notables à la proposition faite au pays de la constitution de 1815.

Le Courrier des Pays-Bas disait, à ce propos, dans un article du 26 juin 1826:

« Le roi proclame hautement l'indépendance dans laquelle » il veut nous maintenir. Il rappelle les moyens que nous » avons de la faire respecter. Il déclare ouvertement sur quels » principes il fait reposer ses droits; et ce qui, chez nous, est » depuis longtemps un axiome politique : Le choix de la nation » fait la première légitimité du prince, il l'écrit dans une note >> diplomatique adressée au cabinet où cette maxime est le » le plus en horreur. >>

Mais M. Pirson, alors membre de la seconde chambre des états-généraux, tançait, dans une lettre, le Courrier des Pays-Bas de ses dispositions trop bienveillantes pour le gouvernement.

Pendant ce temps-là, De Potter publiait sa « Vie de » Scipion de Ricci,» son « Epitre à saint Pierre, etc., » sur lesquels tombaient les journaux catholiques : le Courrier de la Meuse, à Liége, et surtout le Courrier de la Flandre, à Gand.

D'un autre côté, le gouvernement annonçait divers projets de loi, entre autres un projet de code pénal, sur lesquels tombaient, à leur tour, les écrivains libéraux. Il commençait aussi à se manifester dans les deux Chambres des velléités d'antagonisme entre les membres belges : les Dotrange, les Reyphins se séparaient un peu des De Gerlache, des De Sécus, etc.

Au commencement de juillet, une petite émeute de théâtre, occasionnée par un règlement assez ridicule de l'autorité communale de Bruxelles, sur les débuts des artistes, et réprimée un peu trop brutalement par la police, à l'intervention même de soldats de la garnison, faillit compromettre entièrement les dispositions que les libéraux avaient laissé peu à peu dériver vers le gouvernement. Bien que l'affaire n'eût pas de suite, il en résulta cependant l'apparition dans la presse d'un écrivain,

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