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tout autre chose. Enfin, chacun est, dans son état politique, absolument comme s'il n'y avait pas, à côté de lui, un autre..., que dis-je? dix autres gouvernements, ayant aussi chacun leurs contribuables.

Survient-il un différend entre sujets de gouvernements divers, ou entre un gouvernement et le sujet d'un autre? il ne s'agit que de se conformer aux règles dès à présent observées entre nations voisines et amies, et s'il s'y trouve quelque lacune, le droit des gens et tous les droits possibles la combleront sans peine. Le reste est l'affaire des tribunaux ordinaires.

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Voilà une nouvelle mine à procès dont l'invention mettra les avocats de votre côté.

J'y compte bien. Il peut et doit aussi y avoir des intérêts communs à tous les habitants d'une circonscription déterminée, quel que soit leur état politique. Chaqué gouvernement, en ce cas, serait à la nation entière (nation politique) à peu près ce que chacun des cantons suisses ou plutôt des États de l'Union américaine est au gouvernement fédéral.

Ainsi toutes ces questions neuves et, au premier abord, effrayantes, trouvent des solutions préparées, une jurisprudence établie sur la plupart des points, et ne présentent de sérieuses difficultés nulle part.

Il arrivera certainement que des esprits mal faits, des rêveurs incorrigibles, des natures insociables, ne s'accommoderont d'aucune forme connue de gouvernement. Il y aura des minorités tellement faibles qu'elles ne fourniront pas de quoi payer le budget de leur idéal politique. Tant pis pour elles et pour eux. Les uns et les autres seront libres de faire de la propagande et de se recruter jusqu'à complément du nombre, ou plutôt du budget nécessaire, car tout se résumera en une question de finances, et jusque-là ils devront opter pour l'une des formes établies. On conçoit que des minorités d'aussi peu de valeur ne causeront aucun trouble.

Ce n'est pas tout : la question est rarement posée entre

lęs opinions extrêmes. On se bat bien plus et bien plus fort pour des nuances que pour des couleurs tranchées. En Belgique, nonobstant quelques défaillances avouées, l'immense majorité opterait, je n'en doute pas, pour les institutions en vigueur, mais dans l'application, en serait-on mieux d'accord? N'avons-nous pas deux ou trois millions de catholiques, qui ne jurent que par M. de Theux, et deux ou trois millions de libéraux qui ne jurent que par eux-mêmes? Comment les concilier? En ne conciliant rien du tout; en laissant chaque parti se gouverner à sa guise et à ses frais. Théocratie si l'on veut; la liberté doit aller jusqu'au droit de n'être pas libre, inclusivement.

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Seulement, comme il ne faut pas que pour des nuances d'opinions on aille à l'infini multiplier les rouages gouvernementaux, on s'efforcera, dans l'intérêt général, de simplifier la machine et d'appliquer la même roue motrice à produire double ou triple effet. Je m'explique un roi sage et franchement constitutionnel conviendrait à la fois aux catholiques et aux libéraux; il n'y aurait qu'à doubler le ministère; M. de Theux pour les uns, M. Frère-Orban pour les autres, le roi pour tous.

Qui empêcherait même, si messieurs tels et tels, que je ne nomme pas, s'accordaient pour inaugurer l'absolutisme, que le même prince appliquât ses hautes lumières et sa riche expérience à faire les affaires de ces messieurs sans qu'ils eussent dorénavant le triste embarras d'émettre leur avis sur la marche du gouvernement? Et vraiment, quand j'y pense, je ne vois pas trop pourquoi, en modifiant l'arrangement en sens opposé, ce prince unique ne ferait pas un président fort acceptable pour une république honnête et modérée. Le cumul ne serait pas interdit.

III

La liberté a ses inconvénients et ses périls, mais à la longue elle finit par sauver toujours.

M. A. DESCHAMPS.

Un avantage incomparable de mon système, qui en a, d'ailleurs, tant d'autres, c'est de rendre faciles, naturelles et parfaitement légitimes, ces variations qui, de nos jours, ont déconsidéré de fort braves gens, et qu'on a cruellement flétries sous le nom d'apostasies politiques. Cette impatience de changement, qu'on a imputée à crime à d'honnêtes citoyens et qui a fait taxer de légèreté ou d'ingratitude certaines nations anciennes et modernes, qu'est-ce après tout, sinon le désir du progrès ? Et même, en bien des cas, n'est-il pas étrange qu'on accuse d'inconséquence, de versatilité, précisément ceux qui restent conséquents avec eux-mêmes. On veut la fidélité au parti, au drapeau, au prince; fort bien, si prince et parti sont immuables, mais s'ils se transforment ou font place à d'autres qui ne soient pas précisément des équivalents? Quoi! j'aurai pris pour guide, pour chef, pour maître, si vous voulez, un prince supérieur à son siècle; je me serai incliné devant sa volonté puissante et créatrice et j'aurai abdiqué mon initiative personnelle pour la mettre au service de son génie, et puis, ce prince mort, voilà que lui succède, par droit de primogéniture, quelque esprit étroit, imbu d'idées fausses, qui démolit pièce à pièce l'œuvre de son père, et vous voulez que je lui reste fidèle? Pourquoi? Parce qu'il est l'héritier direct et légitime du premier? Direct, je le concède, mais légitime, du moins en ce qui me touche, je le nie formellement.

Je ne me révolterai point pour autant; je vous ai dit que je détestais les révolutions, mais je me tiendrai pour lésé et en droit de changer à l'expiration du contrat.

<< Sire, disait Mme de Staël à l'empereur de Russie,

» votre caractère est pour vos sujets une constitution et >> votre conscience une garantie. »>

« Quand cela serait, répondit Alexandre, je ne serais >> jamais qu'un accident heureux. »

Ce mot, si brillant et si vrai, résume parfaitement ma pensée.

Notre panacée, si l'on veut employer ce mot, c'est donc la libre concurrence en matière de gouvernement. C'est le droit pour chacun de chercher son bien-être où il croit le voir, et de se fournir de sécurité aux conditions qui lui plaisent. C'est, d'autre part, le progrès assuré, par une lutte d'émulation entre les gouvernements, obligés de se disputer incessamment la clientèle. C'est la liberté vraie inaugurée dans le monde entier, la liberté qui ne s'impose à personne, qui est pour chacun tout juste ce que chacun veut qu'elle soit, qui n'opprime ni ne trompe et contre laquelle l'appel est toujours ouvert. Pour chercher cette liberté-là, il ne faudra renoncer ni aux traditions de la patrie ni aux douceurs de la famille, il ne faudra point apprendre à penser dans une langue étrangère; point ne sera besoin de passer les fleuves et les mers, emportant avec soi les ossements de ses aïeux. Il ne s'agira plus que d'une simple déclaration devant l'état politique de sa commune, et sans avoir ôté sa robe de chambre ni ses pantoufles, on se trouvera à son gré passé de la république à la monarchie, du parlementarisme à l'autocratie, de l'oligarchie à la démocratie ou même à l'an-archie de M. Proudhon.

Etes-vous las des agitations du forum, c'est-à-dire des logomachies de la tribune parlementaire ou des baisers un peu rudes de la déesse Liberté? Etes-vous soûl de libéralisme et de cléricalisme, au point de confondre parfois M. Dumortier avec M. De Fré et de ne savoir plus en quoi diffèrent précisément M. Rogier et M. De Decker? Aspirez-vous au repos, aux molles langueurs d'un despotisme honnête? Sentez-vous le besoin d'un gouvernement qui pense pour vous, s'agite à votre place, ait l'œil à tout

et la main partout et qui joue à votre profit ce rôle de vice-providence qui plaît tant aux gouvernements en général? Vous n'avez que faire d'émigrer vers le Midi, comme les hirondelles à l'équinoxe et les oies en novembre. Ce que vous désirez est ici, chez vous, ailleurs, partout. Faites-vous inscrire; prrrenez vos places!

Ce qu'il y a d'admirable dans cette découverte, c'est qu'elle supprime à tout jamais révolutions, émeutes, désordres de la rue et jusqu'aux moindres émotions de la fibre politique. Vous n'êtes pas content de votre gouvernement? Prenez-en un autre. Ces quatre petits mots, gros d'horreurs et rouges de sang, que toutes les cours d'assises, hautes ou basses, martiales, prévôtales, spéciales, toutes sans exception, condamneraient par acclamation comme coupables de provocation à la révolte, ces quatre petits mots deviennent innocents et purs comme autant de séminaristes et aussi bénins que le remède dont se défiait à tort M. de Pourceaugnac. « Prenez-en un autre, » c'est-à-dire passez au bureau de l'état politique, ôtez votre chapeau au commis-chef, priez-le, en bons termes, de vous rayer de la liste où vous figurez et de transférer votre nom sur celle de... il n'importe laquelle. Le commis-chef mettra ses lunettes, ouvrira le registre, inscrira votre déclaration, vous en donnera récépissé. Vous le saluerez derechef, et la révolution sera accomplie, sans autre effusion que celle d'une goutte d'encre. Accomplie pour vous seul, j'en conviens. Votre changement n'obligera personne, et ce sera son mérite. Il n'y aura ni majorité triomphante ni minorité vaincue; mais rien non plus n'empêchera les quatre millions six cent mille autres Belges de suivre votre exemple, s'il leur agrée. Le bureau de l'état politique demandera des surnuméraires.

Quelle est au fond, tout préjugé d'éducation mis à part, la fonction d'un gouvernement quelconque? C'est, je l'ai déjà indiqué, de fournir aux citoyens la sécurité (je prends ce mot dans son acception la plus large) aux meilleures

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