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dition imposée au vainqueur par un ennemi qui n'avait pas le courage de le combattre, ne devait pas être bien sérieuse. Il ne paraît pas d'ailleurs qu'elle eût d'autre garantie que la conversion de Roric au christianisme. Or, on se rappelle que la famille d'Hariold avait déjà été baptisée solennellement à Mayence, avant d'obtenir de Louis le Débonnaire le bénéfice de Dorestadt: si cette cérémonie avait laissé quelque impression dans l'esprit de Roric, il ne serait pas allé chercher des auxiliaires chez les païens du Nord, et ne se serait pas mis dans le cas de devoir être rebaptisé. Aussi l'archevêque de Reims, Hincmar, avait si peu de confiance en sa nouvelle conversion, qu'il crut nécessaire de lui écrire pontificalement, pour l'engager à ne prêter ni conseil, ni secours aux païens contre les chrétiens, le prévenant que si, par lui-même ou par l'intermédiaire de quelque autre personne, il favorisait les entreprises des ennemis du christianisme, le baptême qu'il avait accepté ne lui servirait de rien 2.

Il paraît que, vers le même temps, un fils d'Hariold, nommé Godefrid, obtint de Charles le Chauve une concession analogue sur la rive gauche de l'Escaut, où il y avait pour ses navires une position sûre et commode 5. Les chroniqueurs disent qu'il était entré d'abord dans la Seine, et que Charles le Chauve, qui se disposait à le combattre, avait jugé plus prudent de négocier et de céder

1 Voir ma lettre précédente, Revue trimestrielle, t. XXVI, p. 157. 2 Rorico normanno ad fidem Christi converso, ut in Dei voluntate et mandatorum ill us observatione proficiat, sicut eum velle ac facere per multos audiebat, et ut nemo ei persuadere valeat, quo contra Christianos paganos aut consilium aut adiutorium præstat : quia nihil ei proderit baptismum christianitatis accepisse, si contra christianos per se aut per alios quoscumque perversa vel adversa fuerit machinatus. (FLODOARDI Hist. eccl. Rem., lib. III, c. 26.)

5 Plurimum illi qui littora Scaldi insederant, debacchabantur, quoniam gratissima statio navium, sive ad hiemandum, sive ad quodlibet belli periculum declinandum, illic eos fecerat esse continuos. (FOLCUIN. de Gestis abb. Lobiens, c. 16.)

aux Normands des terres pour les cultiver 1. Peu de temps après, ce Godefrid succéda à son oncle et joua un grand rôle dans l'histoire des invasions normandes, comme nous le verrons incessamment.

Il est remarquable que la partie de la Flandre qu'il occupa en premier lieu, fut le berceau des plus grands hommes de guerre de l'époque. Robert le Fort, qui devint successivement comte d'Anjou et abbé de Saint-Martin à Tours, et dont le fils Ode fut le premier roi de la dynastie capétienne, Robert, dis-je, était Saxon de la côte de Flandre. Presque tous les chroniqueurs le disent issu de Witikint, qui probablement avait trouvé un refuge dans ce pays 2. « Quelques historiens racontent, dit M. Kervyn de Lettenhove 5, que les passions d'une vie aventureuse l'avaient éloigné de la Germanie; mais il paraît plus vraisemblable qu'il appartenait à l'une des colonies qui, vers le ive siècle, s'étaient fixées sur le littus Saxonicum 4. >>>

Bauduin de Flandre était probablement de même origine. On a voulu le faire descendre d'Engelram, forestier d'Harlebeke; on en aurait fait un Romain, s'il avait été possible. M. Kervyn a fait justice de tous ces contes; il a parfaitement démontré que Bauduin était né aux bords. de l'Yser, qu'il devait à cette rivière le nom de ferreus; qu'il avait pour père Odoacre; que les noms de Baldwin et d'Odoaker sont essentiellement saxons; que le tombeau

1 Et eodem anno quoque Nortmanni, Godefrido duce, per Sequanam ascendentes, regnum Carli prædantur, ad quorum repulsionem Lotharius imperator in auxilium vocatus, cum sibi pugnandum esse cum hoste putaret, Carlus, clam mutato consilio, Godefridum cum suis in societatem regni suscepit, et terram eis ad habitandum delegavit. (Ann. Pyth., loc. cit.)

2 Hic (Odo) pater habuit ex equestri ordine Rotbertum; avum vero paternum, witichinum advenam Germanum. (RICHERI Hist., l. I, c. 5.) 3 Histoire de Flandre, Bruxelles, 1847, t. I, p. 150.

4 Saxoni generis vir. (Acta SS. ord. S. Bern., t. II, p. 357.) More patrum suorum odio motus antiquo. (Chr. Iperii, ap. Martene, III, p. 565.)

des forestiers se trouve à Harlebeke, dans le pagus Cortracensis, tandis qu'Odoacre est mort dans la ville saxonne d'Aldenbourg et que Bauduin fut enseveli à SaintBertin 1.

Ce qui complète la démonstration de M. Kervyn, c'est la crainte manifestée par l'archevêque de Reims et par le pape lui-même, de voir Bauduin retourner aux Normands et de s'allier à Roric, le chef des Frisons. Quand il eut enlevé la fille de Charles le Chauve, et que les évêques l'eurent excommunié, il se réfugia dans les États de Lothaire. Aussitôt Hincmar écrivit à l'évêque Hungarius, pour qu'il engageât le Normand Roric à ne pas recevoir Bauduin et à ne lui prêter aucun secours 2; il s'adressa ensuite à Roric lui-même, et l'avertit qu'il serait damné s'il accordait un refuge à cet homme que les évêques avaient excommunié par l'inspiration du Saint-Esprit 3. .On connaît enfin la lettre du pape Nicolas Ier à Charles le Chauve, lettre qui détermina celui-ci à accepter Bauduin pour gendre. « Lorsque nous prions Votre Sublimité de lui pardonner, dit le saint-père, ce n'est pas seulement en vertu du pieux amour que nous devons porter à tous ceux qui, souillés de quelque crime, implorent avec une humble dévotion la miséricorde et le secours du siége apostolique, c'est aussi parce que nous craignons que votre colère et votre indignation ne réduisent Bauduin à

1 Voyez les notes de la page 151 du premier volume de l'Histoire de Flandre, édition de Vandale, 1847.

2 Hortatur autem eumdem Hungarium, ut admoneat Roricum Normannum, nuper ad fidem Christi conversum, ne recipiat eundem Balduinum, neque præsidium ferat. (FLODOARDI Hist. eccles. Rem., lib. III, c. 23.)

5 Monens etiam ut Balduinum a Dei spiritu, quo canones sancti sunt conditi, per episcopalem auctoritatem, propter filiam Regis, quam in exorem furatus fuerat, anathematizatum nullo modo reciperet; neque solatium vel refugium aliquod apud se habere permittent; ne illius peccatis et excommunicatione involvantur tam ipse quam sui, atque damnentur. (Idem, c. 25.)

s'allier aux Normands impies et aux ennemis de la sainte Église, et à préparer ainsi de nouveaux malheurs au peuple de Dieu que vous devez gouverner et conserver sain et sauf avec autant de prudence que de soin 1. »

Toutes ces particularités confirment l'appréciation si judicieuse du président Fauchet: oui, sans doute, les hommes du Nord avaient trouvé dans la Frise et sur la côte de Flandre un nouveau siége de liberté, comme celui que Dieu avait autrefois donné aux Francs. Ce qui causait tant d'alarmes à l'Eglise et lui faisait déployer tant de zèle pour absorber les chefs des barbares, c'était bien positivement une nouvelle insurrection de l'élément germanique contre la domination romaine. Le but de cette insurrection paraît avoir été temporairement atteint, du moins pour ce qui concerne notre pays. La Lotharingie tout entière fut occupée, pendant un certain temps, par les prétendus Normands de Frise et de Flandre. Je n'essayerai point de faire un historique complet de leurs opérations, ce qui serait assez difficile, vu les récits contradictoires, et mêlés évidemment de fables, que nous ont laissés les chroniqueurs d'abbayes; je me bornerai à rappeler les faits principaux et sur lesquels il n'y a point de contestation possible.

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L'invasion ne devint générale qu'en 879. Jusque-là le pouvoir civil n'avait pas cessé de perdre du terrain, et sa dissolution avait fait d'immenses progrès. Déjà le royaume de Lotharingie n'existait plus comme Etat indépendant. Après la mort du second des Lothaires, Charles le Chauve s'en était d'abord emparé, et puis il l'avait partagé avec

1 Cui sanè ideo Vestræ Sublimitatis gratiam ut tribuatis, deposcimus, non solùm quia pio amore omnibus, qui aliquo fuerint sceleris contagio maculati, hujus Apostolicæ sedis opem, atque misericordiam et præsidium postulantibus, humilique devotione quærentibus, pro qualitate facti subvenire debemus: verùm etiam metuentes ne propter iram indignationemque vestram ipse Balduinus impiis Normannis et inimicis Ecclesiæ se sanctæ conjungat. (AUB. MIRÆI, Diplom. belg., t. I, f. 132.)

son frère Louis le Germanique. Celui-ci étant décédé, Charles voulut reprendre la part qui lui était échue par l'acte de partage de l'an 870; mais battu par Louis, fils du Germanique, il fut chassé à son tour. Après sa mort, son fils Louis le Bègue et le roi Louis de Saxe reprirent le partage de l'an 870, et la Lotharingie fut de nouveau divisée. Cet état de choses ne dura pas longtemps Louis le Bègue mourut au mois d'avril 870; ses fils, Louis et Carloman, abandonnèrent leur part de ce royaume à Louis de Saxe, qui s'était avancé avec une armée pour la conquérir.

Ce fut dans ces circonstances qu'on vit les Normands frisons et flamands envahir le pays par deux points à la fois. Il y avait alors une absence si complète de gouvernement civil ou militaire, que leurs premiers mouvements furent à peine aperçus. Déjà les Frisons avaient remonté le cours de la Meuse; ils étaient entrés bien avant dans la Sambre, quand Louis de Saxe qui, au lieu de garder ce qu'il venait d'acquérir si facilement, s'était mis en route avec son armée pour rentrer en Allemagne, les rencontra aux environs de Thuin. Les chroniqueurs rapportent qu'il les attaqua, les mit en déroute, et en fit un grand carnage; mais cette victoire est fort problématique, comme le fait remarquer Depping 2; car les mêmes chroniqueurs nous apprennent que les Frisons se retirèrent, après la bataille, dans le domaine royal de Thuin, emmenant avec eux le fils même de Louis, qu'ils avaient fait prisonnier, et que pendant la nuit ils disparurent, après avoir brûlé leurs morts. Du reste, il ne paraît pas qu'ils

1 Cum in regnum idem rex reverterctur, repentè obviam habuit Nortmannorum innumeram multitudinem, iuxta Carbonariam in loco qui vocatur Thimnin, cum ingenti præda ad classem repetendam; cum quibus absque mora conflexit et, Deo propitiante, maximam ex eis partem gladio prostravit. (Chron. Regin., ann. 879.)

2 Histoire des expéditions maritimes des Normands, t. I.

5 Reliqui fuga dilapsi in fiscum regium se communiunt, ubi Hugo filius regis ex pellice natus, cum incautius dimicaret, graviter vulnera

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