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comme fondée, le peuple eut peur, et toute sympathie pour les dissidents fut frappée de mutisme.

Nonobstant les rêves de Julienne Montcornillon, de Liége, qui devaient aboutir à l'institution d'une fête spéciale du Saint-Sacrement1, les idées vaudoises pénétrèrent dans les cloîtres, et au siècle suivant, des moines belges s'en assimilèrent plusieurs. Depuis qu'on est parvenu à réunir des documents anciennement épars et à les comparer entre eux, il a été reconnu que l'on doit compter parmi ces adhérents partiels, le dominicain Nicolas de Gorra, de Tournai (1304), le cordelier Nicolas de Lyra, de Lierre en Brabant, mort à Paris en 1349 2, Johannes de Ganduno, condamné avec Marsil de Padoue, comme Vaudois, par Jean XXII. Les moines de l'école mystique que nous mentionnerons plus tard, se gardaient bien aussi de condamner la Vaudrie d'une manière absolue.

Plus de trois siècles après le décès de Cornelisz, les institutions de Latran étaient revisées à Trente, à l'occasion du développement que prenait en Europe la doctrine qu'il avait professée. On a pu, depuis cette époque, comparer les résultats des deux disciplines opposées, tant sur le nouveau que sur l'ancien continent. Sans nous arrêter à énumérer les contrastes qui ont été signalés à diverses reprises, nous terminerons par cette observation de M. Edgar Quinet :

<< Avouons modestement que la révolution religieuse >> était la forme de la liberté au sortir du moyen âge, et >> reconnaissons que ceux qui n'ont pu conquérir cette

1 Fête nommée en France Fête-Dieu, et dans l'Église Festum Corporis Christi.

2 J. Drusius in exposit., cap. 15, et Baselius, p. 290.

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Roussel,

5 Voyez Correspondance d'Amérique, Revue trimestrielle, t. XXIV. Villers, De l'influence de la réformation de Luther. Nations catholiques et nations protestantes, et enfin les statistiques de la criminalité des différents peuples.

» liberté ont été jusqu'à ce jour impuissants à en établir >> une autre 1. »

Il est certain que Willem Cornelisz a eu l'instinct trèsvif de cette vérité, qui paraissait à peine comme une nébuleuse à l'horizon du moyen âge. C'est pourquoi nous avons cru devoir consacrer quelques lignes à la mémoire d'un homme dont la croyance a été partagée par les ancêtres de beaucoup de Belges, et est encore professée sous le nom de vaudoise, dans les vallées du Piémont où elle n'obtint la liberté qu'il y a treize ans environ, après avoir subi, pendant des siècles, les plus atroces persécutions.

C. VAN DER ELST.

1 Fondation de la rép. des Provinces-Unies, 1854, p. 172.

LETTRES

SUR

L'HISTOIRE DE BELGIQUE‘.

LETTRE DIXIÈME.

DISSOLUTION DE L'EMPIRE DES FRANCS. OMNIPOTENCE DE L'ÉGLISE. - DÉCHIREMENTS DE LA LOTHARINGIE. OCCUPATION DU PAYS PAR LES NORMANDS.

Plus j'étudie l'histoire du Ixe siècle, plus je m'affermis dans la conviction que les conquêtes de l'Eglise romaine avaient tué la nationalité. Au milieu de ce chaos d'événements qui signale la dissolution de l'Empire, on ne voit de peuple nulle part. Il ne se manifeste quelques symptômes de vie politique que dans les lieux où se fait sentir l'influence des Normands en Flandre, ce sont les gildes dont le pieux Louis s'efforce de réprimer les tentatives de résurrection; dans le Nord, ce sont les Stellinga auxquels Lothaire a promis le rétablissement des institutions saxonnes, et qu'il sacrifie après les avoir fait servir à ses desseins. Partout ailleurs le peuple semble être un mythe; à peine s'aperçoit-on de son existence.

1 Voir les tomes, I, II, IV, VI, VII, XII, XIV, XXV et XXVI de la Revue trimestrielle.

Dès l'époque de Louis le Débonnaire, la société paraît être transformée; le but de l'Eglise est atteint. On parle bien encore deux ou trois fois, dans les capitulaires, des hommes libres, mais c'est de manière à indiquer dans quel état d'abaissement ils sont tombés. Ainsi, le premier capitulaire de l'an 819 leur concède le pouvoir de disposer de leurs biens pour le salut de leur âme, en quelque lieu que se trouve le donateur, à l'armée, au palais ou ailleurs. L'utilité de cette loi s'explique par les spoliations auxquelles les hommes libres étaient en butte pendant leur absence pour le service du prince. En donnant leurs biens à l'Eglise, ils avaient l'espoir d'en obtenir la concession en usufruit à leur retour. Ce genre d'opération était très-fréquent le propriétaire d'un fonds le donnait à une église ou à un monastère; puis, la tradition faite, l'aliénation consommée, le donateur priait l'abbé ou le recteur de lui concéder le même fonds à titre de précaire. L'acte contenant la demande de concession était la precaria proprement dite; l'acte de concession s'appelait præstaria; mais on se servait aussi du mot precaria pour désigner l'opération tout entière 2.

Le cinquième capitulaire de l'an 819 rappelle la constitution de Charlemagne qui fixe à trois le nombre de placites généraux auxquels les hommes libres doivent assister, et défend de les convoquer plus souvent. Quant aux autres placites tenus par les centeniers, il en exempte

1 Ut omnis homo liber potestatem habeat ubicunque voluerit res suas dare pro salute animæ suæ.

Si quis res suas pro salute animæ suæ, vel ad aliquem venerabilem locum, vel propinquo suo, vel cuilibet alteri tradere voluerit, et eo tempore intra ipsum comitatum fuerit in quo res illæ positæ sunt, legitimam traditionem facere studeat. Quod si eodem tempore quo illas tradere vult extra eumdem comitatum fuerit, id est, sive in exercitu, sive in palatio, sive in alio quolibet loco, adhibeat sibi vel de suis pagensibus, vel de aliis qui eodem lege vivant qua ipse vivit, testes idoneos. (Capitulare primum, anni DCCCXIX, c. 6.)

2 MARCULFI Formularum, lib. II, 5.

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formellement tous les hommes libres qui n'y sont pas appelés comme plaidants, comme juges ou comme témoins 1. On trouve une explication très-claire de cette loi dans un autre capitulaire, de l'an 829, où il est dit que les vicaires et les centeniers multiplient les placites, plutôt par cupidité que pour rendre la justice 2. Ainsi, le droit de se réunir en assemblée générale pour y délibérer sur les affaires publiques et le droit d'assister aux plaids où se jugent les affaires privées, ces droits si précieux qui originairement constituaient les plus belles prérogatives des hommes libres, sont devenus des charges, des moyens d'exaction; il faut une loi pour protéger les citoyens contre les abus auxquels ils servent de prétexte.

Le capitulaire de l'an 828 ordonne aux missi de rechercher combien d'hommes libres il reste encore dans chaque comté; il leur prescrit de dresser des listes de ceux qui peuvent être envoyés à l'armée et de ceux qui, n'étant pas assez riches pour y aller eux-mêmes, auront à se cotiser pour équiper un homme à frais communs 3. On

1 De placitis siquidem quos liberi homines observare debent, constitutio genitoris nostri penitus observanda atque tenenda est, ut videlicet in anno tria solummodo generalia placita observent, et nullus eos amplius placita observare compellat. Ad cætera vero quæ centenarii tenent non alius venire jubeatur, nisi qui aut litigat, aut judicat, aut testificatur. (Capitulare quintum, anni 819, c. 14.)

2 De vicariis et centenariis qui magis propter cupiditatem quam propter justitiam faciendam sæpissime placito tenent et exinde nimis populus affligunt, ita teneatur sicut in capitulare Domini Karoli imperatoris continetur in libro tertio, capitulo LV. ((apitula quæ pro lege habenda sunt, 5.)

5 Volumus atque jubemus ut missi nostri diligenter inquirant quanti homines liberi in singulis comitatibus maneant qui per se possint expeditionem facere, vel quanti de his quibus unus alium adjuvet, quanti etiam de his qui a duobus tertius adjuvetur et præparetur, necnon de his qui a tribus quartus adjuvetur et præparetur, sive de his qui a quatuor quintus adjuvetur et præparetur, ut eandem expeditionem exercitalem facere possint, et eorum summam ad nostram notitiam deferant. (Capitulare, anni DCCCXXVIII, c. 7.)

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