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commencement de sa levée de bouclier contre le gouvernement du roi Guillaume.

La Vie de Scipion de Ricci » tient encore de l'histoire, mais est déjà de la polémique de parti. Il n'en faut pas d'autre preuve que le succès considérable obtenu par ce livre à l'époque de sa publication. Il parut à Bruxelles en 1825, c'est-à-dire au plus flagrant de la lutte que la politique de la restauration bourbonnienne en France avait fait renaître contre les jésuites et les ordres religieux en général. Une seconde édition en fut publiée dans la même ville l'année suivante, en même temps qu'il en paraissait à Paris une contrefaçon, mais avec des retranchements ordonnés par la police française. Ces retranchements furent sur-le-champ imprimés à part à Bruxelles, sous le titre de : « Extraits de la Vie de Scipion de Ricci, » contenant les retranchements opérés par la police fran» çaise dans la contrefaçon. >>

Des traductions de la Vie de Scipion de Ricci en allemand et en anglais, furent aussi publiées en 1826, la première à Stuttgard, la seconde à Londres. Le livre n'est pas encore oublié aujourd'hui. Il sert encore d'arsenal aux écrivains qui cherchent des arguments faciles contre la restauration de la vie claustrale dans les pays catholiques, en rappelant les abus incontestables auxquels les couvents de plusieurs ordres religieux étaient livrés, dans plusieurs de ces pays, à la fin du siècle dernier. On sait que Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato sous le règne de Léopold d'Autriche, grand-duc de Toscane, qui fut depuis successeur de Joseph II à l'Empire et comme tel notre dernier souverain avant la conquète française, s'était employé avec énergie à la réforme des couvents, dans son diocèse d'abord, puis, avec le concours du grand-duc, dans tout le reste de la Toscane. Les enquêtes tenues, dans plusieurs communautés, pour constater les abus qui devaient justifier la réforme, constituent une grande partie des documents réunis par De Potter dans la << Vie de Scipion de Ricci. » Des communautés de

femmes jouant un grand rôle dans ces enquêtes, l'on comprend que l'attrait du scandale a été pour quelque chose dans le succès de l'ouvrage.

Il ne faut pas se dissimuler cependant que la « Vie de Scipion de Ricci » contient des renseignements sérieux et importants sur les causes de l'introduction du fébronianisme (ou du joséphisme comme on l'appelle plus communément), dans les divers États où des membres de la maison d'Autriche règnaient à la fin du siècle passé. Comme il arrive presque toujours, le désir de réformer des abus fut, chez les princes de la maison d'Autriche de cette époque, accompagné du désir encore plus grand d'augmenter leur autorité. En Toscane comme en Belgique, la réforme des couvents, devenue nécessaire, (c'est incontestable), ne passa pas sans de nombreuses échancrures aux droits de tous, en même temps qu'on taillait dans les priviléges des moines et des nonnes.

De Potter convenait volontiers que le zèle de Ricci pour les réformes religieuses avait été exploité par le gouvernement de Toscane beaucoup au delà de ce que requéraient les intérêts de la religion, et cela dans un intérêt purement gouvernemental, et au détriment des droits du peuple. Il s'exprime ainsi dans la préface d'une troisième édition qu'il a donnée de son ouvrage, à Bruxelles, en 1857 1:

« La bibliothèque et les riches archives de la famille Ricci » ayant été mises à notre disposition pendant l'année 1823, » nous y puisâmes, sous les yeux des deux neveux du prélat et » de leur commensal, l'ami constant et éclairé de la maison, les » documents authentiques qui ont servi à composer ce livre. » Il est superflu de dire que MM. Ricci savaient ce que nous >> avions l'intention de faire de ce travail, mais il est peut-être

1 Cette édition porte le titre de : « Mémoires de Scipion de Ricci. » Bruxelles, A. Labroue et Ce, 1857. Elle contient exactement tout ce qui se trouve dans les éditions précédentes, mais dans un autre ordre des matières.

» bon de ne pas laisser ignorer que l'ami de la maison, qui » n'était autre que le comte Fossombroni, alors premier >> ministre du fils de Léopold, le grand-duc Ferdinand III, >> nous approuvait fort et nous encourageait sans cesse à pour>> suivre une entreprise dont personne en Toscane n'aurait pu >> s'occuper sans péril. »

Voici d'ailleurs un passage beaucoup plus explicite à cet égard. Il est emprunté au chapitre VII de l'édition de 1857 :

« A l'avénement de l'empereur François, tout changea de » face. Il chargea le comte de Richecourt de gouverner le » grand-duché en son nom, et Richecourt, despote éclairé, » si l'on veut, mais absolu, mais arbitraire, vivement soutenu >> par le sénateur toscan Rucellai, commença cette guerre entre >> le pouvoir temporel de l'État et l'autorité spirituelle de l'Église, qui ne se termina que lorsque la révolution fran»çaise eut rapproché le trône et l'autel en les culbutant l'un » sur l'autre.

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» De ce que, socialement parlant, Rome n'était plus rien, le >> pouvoir civil chez chaque peuple avait conclu qu'il allait » être tout. Il fut rudement puni de son erreur. »

Nous avons dit que la « Vie de Scipion de Ricci » apportait, en 1825, des matériaux à la polémique alors si ardente entre les soutiens et les adversaires des jésuites; et généralement ces matériaux étaient destinés au service des adversaires de l'ordre. Il est curieux de voir quelle modification s'était opérée, plus tard, dans les idées de De Potter à ce sujet. Dans la préface de l'édition de 1857 déjà citée, il avertit, en ces termes, de cette modification « Lorsqu'il arrive que nous croyons devoir » apprécier les événements que communément nous ne >> faisons qu'exposer (dans ce livre), les jugements que »> nous en portons aujourd'hui diffèrent essentiellement, >> nous devons en prévenir, de ceux que nous émettions >> il y a trente ans. >>

Voici maintenant un échantillon des dernières opinions de De Potter. Nous notons ici que ce que nous avons dit en commençant de la fermeté de ses principes, se rapportait exclusivement à ses principes politiques. « La sup» pression des jésuites et la punition de leur général » sont du nombre des actes qu'on nomme politiques pour > ne pas convenir qu'ils sont immoraux. » (Ricci, édition de 1857, page 27.)

La « Vie de Scipion de Ricci » fut, à très-peu d'intervalle, suivie de la publication des « Lettres de saint Pie V sur les affaires religieuses de son temps en France, » qui parurent d'abord à Paris en 1826, puis, en 1827, à Bruxelles, avec l'adjonction d'un « catéchisme catholique » romain, comprenant la législation pénale ecclésiastique » en matière d'hérésie. »

Nous ne parlerons que pour mémoire de quelques bluettes poétiques jetées au public aux mêmes époques :

<< Pétition de saint Napoléon pour rentrer au Paradis » après la mort de l'empereur Napoléon, son protecteur >> et son patron sur la terre;

» Épître au diable, 1824;

» Saint Napoléon au Paradis et en exil. Paris, 1825, » et Bruxelles, 1827;

Epître à Saint-Pierre, 1826.

Ces fruits de la muse badine de De Potter ont été publiés sans le nom de l'auteur. Ce sont généralement des œuvres d'un goût équivoque et d'un mérite littéraire fort contestable.

Les « Lettres de saint Pie V» sont une traduction française faite par De Potter de lettres originales du pontife, recueillies à Rome, avec un grand nombre d'autres, par François Goubau, d'Anvers, secrétaire du marquis de Castel Rodrigo, ambassadeur du roi d'Espagne, Philippe IV, près le Saint-Siége. Goubau les publia à Anvers. chez les Plantins, en 1640, en un gros volume in-4°. De Potter dit, dans une note, qu'elles demeurèrent généralement ignorées en France, et qu'elles y étaient encore

inconnues avant la traduction qu'il en publia. Il allègue en preuve que Lacretelle qui, dans son « Histoire des guerres de la religion, » aurait pu si utilement s'en servir pour le but qu'il s'était proposé, ne les a pas seulement citées.

Elles sont précédées d'une « introduction historique, » un des plus violents pamphlets que l'on puisse concevoir contre les principaux personnages catholiques qui ont pris part en France, en Italie, en Espagne et dans les PaysBas, aux longues querelles de la réforme religieuse, depuis François Ier et Charles-Quint jusque vers le milieu du XVIIe siècle. Nous l'appelons pamphlet, à cause de la passion qui y règne d'un bout à l'autre, ce qui lui ôte tout caractère d'impartialité historique.

Les Lettres de Pie V en elles-mêmes sont d'ailleurs bien connues maintenant pour ces sentiments que l'on appelle d'un côté ardent prosélytisme en faveur de la religion, et de l'autre côté détestable fanatisme contre la liberté, lorsque l'on prend encore fait et cause aujourd'hui dans les déplorables querelles d'il y a trois siècles. En 1827, De Potter se trouvait, avec beaucoup d'autres écrivains belges, dans un milieu où le gouvernement d'alors suivait la politique de raviver, jusqu'à un certain point, ces querelles. Ce gouvernement animait les partis dans ce sens. Les antécédents de De Potter le désignaient naturellement aux conseillers du roi Guillaume Ier comme un excellent instrument à employer, à son insu même, à la guerre sourde commencée déjà par le calvinisme dynastique d'un prince de la maison d'Orange, contre le catholicisme belge. Nous étions dès lors en relations déjà assez intimes avec De Potter, et nous nous souvenons parfaitement de l'entourage que lui faisaient les Van Gobbelschroy, les Goubau et quelques autres agents intimes de la politique du roi Guillaume. C'est en 1827 que le crédit de De Potter procura à M. Tielemans la mission officielle d'aller étudier en Allemagne les principes du fébronianisme, dans la vue, assez peu dissimulée déjà, de les faire servir à des

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