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appliquait à tous les pays de son obédience la nouvelle organisation spéciale du clergé séculier par l'institution des cures territoriales. Ces dernières, que l'autorité laïque fut obligée d'ériger et de doter, devinrent un sujet de réclamation, et les dissidents connus depuis sous le nom de Vaudois, attirèrent d'autant plus aisément à leurs prêches des auditeurs, dont leur esprit de prosélytisme fit bientôt des adhérents.

En 1152, un riche et notable bourgeois de Lyon, Pierre Valdo, ou le Vaudois, versé dans les écritures qu'il avait traduites en français « après s'être soigneusement >> exercé, dit Marnix, enseigna la vérité qu'il avait >> apprise, détournant ses amis de ces idolâtries et abomi>> nations qui avaient déjà pris vogue, afin de les ramener » à la teneur de l'alliance par l'adoration d'un seul Dieu, >> et intercession d'un seul médiateur Jésus-Christ; là » dessus assembla un fort grand nombre de disciples qui » répandirent sa doctrine par tous les bouts de la chré»tienté, non obstant toutes les forces, ruses et pratiques » que l'on usa au contraire 1. »

Pierre, qui avait acquis sa fortune par le travail, et qui consentit à la partager avec ses disciples, voyait avec répulsion la tendance qui se manifestait déjà dans les esprits, d'honorer la mendicité en la mettant sous l'égide de l'Eglise. Il fonda sa communauté avec l'obligation du travail comme devoir inhérent à l'existence, et y ajouta la simplicité dans la manière de vivre. Pour le surplus, il professa la croyance des montagnards des vallées d'An

Veni Creator. On trouve dans Innocent III, par le comte de Gasparin, p. 195, qu'une religieuse brabançonne nommée Lutgarde, et qui fut canonisée, avait vu ce pontife en songe, et avait appris qu'il était châtié pour trois causes; interrogée quelles étaient ces causes, Lutgarde refusa de les dire. Le peu d'égard que témoigne ce pontife pour la femme en général (quam fetor et sordes semper sequuntur), nous fait rencontrer ici celle que la délicatesse blessée de la religieuse entrevoyait.

1 Tableau, t. I, p. 381.

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grogne, Pérouse, Lucerne et Saint-Martin 1, et adopta leur culte. D'après leurs traditions, ces dissidents remontent jusqu'à un certain Léon, contemporain du pape Sylvestre I, de qui ils avaient retenu le nom de Léonistes 2: leur propagande était des plus actives en France, mais surtout en Languedoc.

A l'occasion de l'insurrection politique des Albigeois, qui étaient une réunion de différentes sectes, ils furent souvent confondus avec ceux-ci, parce que sans doute la plus grande partie des Albigeois appartenaient à ce culte, tandis que le petit nombre étaient des Pauliens ou Pauliciens.

Philippe-Auguste marcha contre les nobles qui soutenaient les Vaudois en Picardie; il leur brûla quelques villes et trois cents maisons répandues dans les campagnes. Ils s'étendirent dans le royaume de Naples 6, en Allemagne, au nord et au midi, et en Bohême.

Les associations des villes germaniques qui préludaient à l'établissement de la ligue hanséatique servirent de véhicule à leurs idées; aussi ne tardèrent-ils pas à être nombreux, au XIIe siècle, entre Brême et Hambourg. Ils durent trouver là, à côté de prêtres indépendants des évêques 7, des prosélytes, dont les parents avaient encore invoqué Odin et Thor. A un instant donné la Vaudrie

Malte Brun, Géog. univ., t. IV, p. 253.

2 Vaudois, Vallis densa, Valdenses, Waldensen en allemand. Dans ces cantons, les anciens connaissaient trois tribus d'appellations analogues: Vagenni, Veneni et Vadientes (Tabula Italiæ, Ant. A. Sanson, an. 1743). Claude, évêque de Turin, année 829, Atto, évêque de Vercel, 945, Radulphe de Saint-Trond, 1108, constatent leur présence en ces lieux où ils sont encore. Voyez Monastier, Histoire des Églises vaudoises. Saint Bernard en l'homélie 66, et sa vie, liv. I, ch. 5.

5 Delacroix, Dictionnaire des cultes, t. I, p. 70.

N. Lenoir, l'Église grecque, p. 197.

libertés belges, p. 11.

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L. Hymans, l'Église et

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envahit toute la ville de Stade, et voici en quelle circonstance.

A la fête de Pâques, une dame de qualité vint offrir au euré une pièce d'argent comme c'était alors l'usage. Mécontent de la modicité du don, le prêtre mit la pièce, au lieu d'une hostie, sur la langue de la dame au moment où cette dame se présenta à la communion. Elle crut à un miracle, s'en effraya et raconta le fait à son mari; celui-ci, qui était magistrat, ne prit point le change; il porta plainte, mais ne fut point écouté Ce déni de justice l'exaspéra, il tua le curé. Excommunié pour ce fait, il brave l'excommunication, et réunit ses amis qui étaient nombreux et que le vieil esprit saxon poussait à agir 1. Des Vaudois que les rigueurs de l'inquisiteur Conrad von Marpurg forçaient à se cacher, profitent de la circonstance pour faire de la propagande; leurs opinions sont bientôt accueillies; mais la population à peine sortie de la barbarie, recourt pour s'affranchir aux moyens violents; dans toute la banlieue de Stade, les ecclésiastiques sont traqués et tués, le clergé latin est supprimé.

Ces événements ne tardent pas à être connus de Rome, qui depuis quelque temps se préoccupait de la situation du Nord. Elle sentait d'instinct que dans la patrie d'Alaric une alliance durable était impossible avec des vassaux auxquels la nature même la rendait antipathique. Les rois danois, après avoir vaincu le paganisme dans l'île de Rugen, étendaient actuellement leur pouvoir sur la côte orientale de la Baltique où les Prussiens n'avaient pas cessé d'être païens. Des relations commerciales actives existaient entre les riverains de cette mer intérieure et ceux des bords de l'Elbe. Grégoire IX, alors en bons rapports avec Frédéric II, négociait avec lui une croisade. contre la Prusse païenne 2, et faisait don à l'ordre Teuto

1 Moeser, Osnabruk Geschichte, t. I, p. 214, enz.

2 Histoire de l'ordre Teutonique, Paris et Reims, t. I, p. 220, an. 1784.

nique des terres à conquérir sur ces mécréants. La première campagne des chevaliers avait commencé en 1231, et deux ans plus tard l'insurrection hérétique de Stade surgissait, comme si cette ville eût été alliée aux Prussiens ; aussi la bulle de la croisade prêchée dans les pays limitrophes lui fut-elle appliquée. Les Pays-Bas fournirent un contingent à cette expédition commandée par Henri, prince héréditaire de Brabant, et où les sires d'Oudenbourg et de Wildhuysen perdirent la vie 2. Après une vigoureuse défense, les Stadings furent défaits, six mille d'entre eux furent massacrés en l'an 1234.

Tuer le corps, c'est faire jaillir l'idée; sous les taches de sang qui les souillaient, les vainqueurs emportèrent avec eux des aspirations nouvelles. Les Vaudois, dans leurs missions, n'avaient pas oublié la Flandre et le Brabant, où en 1160, le souvenir de Tankhelm se conservait encore, bien que depuis la décadence des écoles épiscopales de Liége et de Tournai et leur remplacement par celles des chapitres 5, la connaissance de la Bible s'y éteignit complétement. Pierre Valdo vint lui-même en Flandre, et, selon quelques auteurs, il y aurait terminé ses jours, mais on admet plus généralement qu'il mourut en Bohème *. Ses disciples n'avaient pas tardé à faire des prosélytes dans nos contrées. La persécution ne les laissa pas en paix. En 1163, les principaux d'entre eux cherchèrent un asile à Cologne; on les y fit mourir comme si

1 La Prusse ne fut soumise à l'Église qu'en 1284, et ce ne fut que cent ans après que les habitants des confins de la Lithuanie furent baptisés.

2 Chronycke van Vlaenderen, D. N. et FR., t. I, p. 335.

3 Stallaert et Vander Haeghen, De l'instruction publique au moyen âge, p. 77-91.

4 G. Brand, Historie der Reform., t. I, p. 18. Voir par contre Krazinski, Histoire religieuse des Slaves, et Monastier, Histore des Églises vaudoises.

5 Monastier et Krazinski. Voyez C. Defaye, l'Église de Lyon, p. 51. Pierre mourut en 1179.

l'on avait voulu honorer par cette barbarie les prétendues reliques des trois Mages, arrivées la même année en cette ville. Un grand nombre de Vaudois furent brûlés, en 1183, à Arras et à Ypres. La simplicité de leur costume, leur chaussure grossière, les firent désigner sous le nom d'ensabotés, sabathiés (klompdragers en kloeffers); comme plusieurs d'entre eux s'occupaient à tisser, on les nomma aussi tisserands, wevers; et kunders (aenkondigers) annonciateurs 2.

Ce fut vers l'an 1200 que parurent en notre langue les premières bibles vaudoises. Ces manuscrits existaient encore au XVIe siècle et étaient très-estimés des bibliophiles 5.

En Flandre, à la demande de l'Église, le pouvoir séculier sévissait contre ces dissidents, et toutefois leur prosélytisme ne se ralentissait pas. Les pontifes les firent aussi combattre par la parole, mais ce fut en vain. Foulques Uittenhoven, chanoine de Lille, cité pour sa piété, sa vertu, son savoir, et surtout pour son éloquence, fut chargé par le légat d'argumenter contre la Vaudrie; il s'excusa, prétextant que la mission était au-dessus de ses forces c'était reconnaître que le tort était du côté de l'Eglise de Rome.

Un Vaudois relaps, Robert, devenu dominicain et inquisiteur, fit brûler en trois mois plus de cinquante de ses

Les cinq époques du Brabant, p. 73.

2 Annonciateurs de l'Évangile; évangélistes. Voyez M. Z. Boxhorn, Nederlandsche Historie, p. 21. Le Kloeffer n'a-t-il pas reparu dans le Bundschuhe du xvre siècle?

3 M. Z. Boxhorn, Ned. Hist., éd. 1739, p. 50. Interrogés sur l'usage de la lecture biblique, ils répondaient dans le dialecte de l'époque : Derin is groote nutscap, no boerte, no fabulen, no truffe, no faloerde; mer were worden. Hier en daer is wel eene harde cœrste, mer het piet, ende die soetheid van goet ende selicheit derinne, is wel te bekinnen.

↳ Chronycke van Vlaenderen, t. I, p. 293. Ce Foulques est le fondateur de l'hospice de la Byloke à Gand.

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