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frappe pas par les yeux du corps; vous croyez, comme l'a dit un poëte, parce que Dieu vous a percé à votre prison d'argile une petite fenêtre ou deux pour voir au dehors, quand un grain de poussière ne vient pas les boucher; vous croyez, dis-je, que le monde avec ses lois, la nature avec ses arcanes doivent pénétrer par là dans votre cerveau. Orgueil, triple orgueil!... En nous, autour de nous, tout agit, tout remue, l'univers entier est animé d'un mouvement incessant, éternel, et qu'en voyons-nous?... Vos magnétiseurs eux-mêmes, quand ils ont fait dire à leur somnambule le nombre de pièces de monnaie qui se trouvent dans la poche de monsieur tel ou tel, ou ce qui se passe dans la chambre voisine, ils se drapent dans leur importance, et la galerie émerveillée crie au miracle, pour nier le lendemain ce qu'elle a vu la veille. Le grand magnétiseur, mon cher, c'est le grand maître de toutes choses, c'est Dieu lui-même, et le magnétisme, ici-bas, n'est qu'une cheville conductrice dont il se sert. Nous nous croyons très-forts, parce que nous avons inventé, comme on se plaît à le dire, la vapeur, le télégraphe électrique et le coton-poudre; mais la science de l'âme, les sublimes mystères psychiques, nous n'en possédons pas même les premiers éléments... Nous nous croyons très-forts, ah! ah! et nous ne nous connaissons pas nous-mêmes! On nie tout, ou bien l'on sourit dédaigneusement; ou encore, ne pouvant récuser la compétence de ses sens, on regarde certains phénomènes psychologiques, encore inexpliqués, comme surnaturels... Non-sens et absurdité!..... Car est-il rien au-dessus de la nature?... Si j'écrivais tout ce que j'ai vu et constaté dans ma longue carrière, je passerais pour fou, ce dont je ne me soucie guère. Avancez aux hommes, avec phrases ronflantes, quelque plate vérité passée à l'état de banalité, ils crieront bravo; mais présentez-leur quelque grande vérité nouvelle et inattendue, ils crieront au fou, et ils vous feront, s'ils le peuvent, pourrir en prison, comme Galilée ou Salomon de Caus. Voilà notre siècle de lumières, mon cher. Est-il

question d'un phénomène de prévision, on crie à l'absurde, et ceux qui crient à l'absurde n'ont le plus souvent rien vu, rien observé, ni rien lu... Qu'ils se donnent la peine de consulter les ouvrages d'Antonius Benivenius, Francus, Michel Alberti, Sauvages, Desères, Cabanis, Pététin et de tant d'autres, ils y trouveront la faculté de la prévision constatée par un grand nombre de faits authentiques... Comment cette faculté de l'âme se manifeste-t-elle? C'est là un problème que la science résoudra probablement un jour, si les savants daignent le trouver digne d'étude. En attendant, observons et méditons; c'est ce que nous avons de mieux à faire, et gardons-nous de vouloir ètre des esprits forts, car je ne connais pas d'esprits plus débiles que ces esprits-là...

-Vous êtes sévère, docteur, mais il n'y a que trop de vérité dans ce que vous dites, malgré la verve mordante qui vous emporte. J'ai remarqué, je dois l'avouer, que le scepticisme systématique accompagne trop souvent la médiocrité. La négation est à la portée de toutes les intelligences, et c'est un rôle comme un autre. Le sage se réserve. Montaigne, le grand philosophe, l'a dit : Beaucoup savoir est occasion de plus douter..

Amen, fit le docteur; et malgré ses cheveux blancs, il avait, avec la prestesse de la jeunesse, pris sa canne, ses gants, son chapeau, sans oublier sa trousse.

-Allons, dit-il, manifestant une certaine agitation qui ne lui était pas ordinaire, ma pauvre marquise doit être bien mal, car c'est aujourd'hui le 14. J'aurais dû ne pas attendre qu'on me fît appeler... Il est entendu que je vous présente comme un confrère.

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La demeure de la marquise n'était pas éloignée de celle du docteur. Pressant notre pas, nous marchions côte à côte en silence. Je réfléchissais aux révélations que venait de me faire mon ami, en qui j'avais pleine confiance, et mon esprit, un peu rebelle, s'effrayait à la pensée de pré

visions que les faits étaient venus confirmer. Je me demandais quelle puissance inconnue illuminait ainsi, pendant les crises d'une affreuse maladie, une frêle créature, une femme débile qui semblait devoir être prochainement une proie pour la mort. Désirant mieux connaître la femme étrange que j'allais voir, je rompis le premier le silence. Que savez-vous, docteur, des antécédents de cette femme?

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La marquise de C*** est créole; elle est veuve et jeune encore. Il y a peu d'années qu'elle a quitté le nouveau monde pour visiter l'Europe, et c'est après avoir parcouru le Nord, en compagnie de sa fille, qu'elle perdit en Italie cette enfant qu'elle adorait. C'est aussi à partir de cet événement fatal que la catalepsie s'est déclarée chez la malheureuse mère. Je vous ai parlé déjà de la supériorité intellectuelle de la marquise de C***; son érudition n'est pas un vernis superficiel, elle est profonde. Cette femme d'élite a beaucoup vu, beaucoup observé; les sciences naturelles et philosophiques lui sont familières, et j'ai admiré toujours la justesse de ses aperçus, la logique de ses jugements. Ceci concerne son état normal; mais pendant ses crises, son âme semble s'éclairer d'un reflet divin et planer entre la vie terrestre et celle d'outre-tombe.

Vous m'intéressez vivement, cher docteur; et il y a plus de deux mois, m'avez-vous dit, qu'elle a annoncé pour aujourd'hui.....

C'était vers la fin d'août. Après des convulsions terribles, elle tomba dans une sorte de prostration ou de demi-sommeil, pendant lequel je saisis sur ses lèvres murmurantes ces paroles que je crois entendre encore: « Dieu l'accorde le repos jusqu'au quatorze novembre... ce jour, tu ne seras ni dans la vie ni dans la mort... Ton âme s'envolera dans l'avenir des temps... Mais nous voici arrivés.

Nous nous trouvions devant un hôtel qui me parut grand pour le petit nombre de personnes qui devaient l'habiter. Le docteur s'approcha de la porte cochère et fit résonner un timbre.

-Encore un progrès, dit-il en souriant au lieu d'une cloche qu'on entendait toujours, c'est un seul coup qui se perd souvent dans les bruits de la rue.

Dans la disposition d'esprit où je me trouvais, cette observation me parut niaise.

La porte s'ouvrit.

Le personnel domestique de la marquise devait être nombreux, car je vis tout d'abord deux ou trois valets ou caméristes courant éperdus. Un vieillard vêtu de noir s'avança vers le docteur. Son désespoir faisait mal à voir. Ah! monsieur le docteur!...

Eh bien! la marquise?...

Morte! monsieur le docteur!... morte!... ah! mon Dieu, mon Dieu!...

Voyons, voyons, dit mon ami s'acheminant rapidement vers l'escalier. Je le suivais avec anxiété.

Arrivés à l'étage, nous traversâmes plusieurs pièces, somptueusement meublées, donnant accès dans une chambre tendue de violet, ce qui lui prêtait un caractère singulièrement funèbre. Une femme pleurait près d'un lit. Le docteur en souleva le rideau d'une main tremblante, et j'aperçus la marquise...

Je la verrai toujours! qu'elle était belle!... C'était bien l'immobilité de la mort. Son profil présentait la noblesse et la régularité de la statuaire antique, d'abondants cheveux noirs ruisselaient sur son oreiller, son beau front semblait encore refléter le génie. Ses yeux, d'un noir de jais, étaient ouverts et fixes; on eût dit des yeux d'émail enchâssés dans un beau visage formé d'un mélange de cire vierge et d'ambre jaune.

Le docteur l'examina attentivement, lui glissa la main sur le cœur, et resta ainsi une minute immobile. Nous respirions à peine...

Le vieux serviteur, dont les jambes avaient trahi l'impatience, entra en ce moment, à moitié suffoqué par l'émotion et l'ascension de l'escalier.

Vous vous alarmez trop tôt, lui dit le docteur en se redressant; la marquise est vivante; mais le plus grand calme est ici nécessaire. Retirez-vous et 'avertissez les gens de madame... Cette femme me suffira.

Le vieillard s'inclina profondément, avec un signe touchant de gratitude, et se retira. La camériste, essuyant ses larmes, alla s'asseoir près de la cheminée.

-Eh bien, docteur? dis-je à mi-voix.

- Elle est dans l'état automatique : une nouvelle crise convulsive est à craindre...

Il alla causer à voix basse avec la domestique... Quand il revint près de moi, son front était soucieux. L'accès est violent, dit-il toujours à voix basse ; la maladie semble s'accroître malgré mes efforts... Il faut attendre deux heures avant de rien tenter.

Le jour était morne et sombre. Une enveloppe épaisse de nuages gris et pluvieux semblait étreindre la terre et peser sur elle. Des flocons légers couraient sous cette enveloppe, et par moments des rafales frappaient les fenêtres en faisant résonner quelques vitres mal jointes... C'était bien une fin d'automne avec toutes ses tristesses. Immobiles et silencieux devant cette sorte de statue vivante, nous avions l'air de veiller un mort... Bientôt le jour baissa et la nuit se fit. On alluma les bougies.

Après une collation rapide que le docteur nous fit servir dans la pièce voisine, car il ne voulait pas quitter l'hôtel un seul instant, nous rentrâmes près de la malade. L'immobilité cadavérique continuait toujours.

Mon ami plaça de nouveau sa main sur le cœur; puis, au bout d'un instant, il tira de sa poche un petit flacon de cristal aux arêtes dorées, et il le posa sur la table.

Il faut encore attendre, dit-il.

Il s'écoula ainsi environ une heure. L'impatience me

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