Images de page
PDF
ePub

Il fut surpris au travail, cité devant la cour de justice de Old Bailey, qui remplaçait alors la chambre étoilée, et jugé sommairement. On le condamna à être traîné sur une claie jusqu'au lieu de l'exécution, où il devait d'abord monter au gibet. Il était recommandé néanmoins au bourreau d'agir avec ménagement, et de couper la corde. avant que le criminel n'eût rendu le dernier souffle. Le supplice réservé aux assassins eût été trop doux pour un tel coupable: il fallait lui faire subir d'affreuses mutilations par le couperet, lui ouvrir le ventre, en arracher les entrailles, et ne lui donner le coup de grâce qu'après les avoir brûlées sous ses yeux : « you still living, to be burnt before your eyes, » dit la sentence 1.

Cet ordre odieux, qui semble avoir été dicté par des démons plutôt que par des juges, fut ponctuellement accompli. Les membres sanglants de la victime furent transportés ensuite à Ludgate et à Aldersgate, où ils restèrent exposés aux yeux de la foule.

Cette terrible exécution sembla avoir épuisé, au moins pour quelque temps, la rage des persécuteurs. Nous avons vu que le long parlement, malgré les protestations éloquentes de Milton, avait maintenu la censure. Un des premiers actes du pouvoir législatif, après la restauration, fut de défendre de publier aucun livre sans autorisation, et ce réglement devait avoir force de loi jusqu'à la fin de la première session du parlement suivant. Le délai venait d'expirer, et le 26 mai 1679, dans la mème séance où l'on établit l'habeas corpus, cette précieuse garantie de la liberté individuelle, on décida que les mesures de rigueur prises contre la presse ne seraient pas renouvelées. Les débats qui s'engagèrent à cette occasion eurent leur écho dans tout le pays, et tandis que le docteur Gregory, recteur de Humbledon, présentait « a modest plea for the regulation of the press » en faveur de la censure, un anonyme, qui prenait le nom classique de

A State trials, vol. VI, page 559.

Philopatris, se hâtait d'y répondre en publiant « a just vindication of learning » pour la défense de la liberté. Les juges tranchèrent bientôt la question en décidant que le droit d'imprimer sans permission spéciale ne s'étendait pas aux papiers quotidiens, et que la loi ne permettait pas, à moins d'un privilége particulier concédé par la couronne, de publier un journal. Le gouvernement garda le silence, car on discutait alors l'exclusion bill, par lequel le parti protestant essayait d'écarter du trône le duc d'York pour y placer Jacques de Monmouth, et les whigs étaient puissants. Plusieurs journaux parurent durant cet intervalle, tels que le Protestant Intelligence, The True News, The London Mercury, mais aucun d'eux ne parvint à acquérir une grande influence sur l'esprit public.

Après la défaite des whigs, par un de ces revirements si fréquents en politique, on en revint aux sentiments d'intolérance, et la London Gazette seule conserva le privilége de paraître, le lundi et le mercedi. Elle contenait généralement les dernières proclamations royales; deux ou trois adresses signées par des royalistes; quelques promotions; le récit d'une escarmouche quelconque entre les troupes impériales et les Turcs; la description d'un voleur de grand chemin, dont les crimes affreux apitoyaient les âmes sensibles; l'annonce d'un combat de coqs et un avertissement relatif à un chien perdu.

Les whigs, persécutés après leur chute, reprirent courage à l'avénement de Jacques II. Ce prince, dont le fanatisme égalait l'inhabileté, s'aliéna la nation dont il n'avait compris ni les tendances ni le caractère. Il voulait rétablir, avec l'appui de la France, l'autorité absolue et la religion catholique, et persista avec entêtement dans cette voie qui devait lui être fatale. Le parlement, où il disposait d'abord d'une assez forte majorité, commença la lutte en renforçant les lois restrictives concernant la presse. De nombreux arrêts ne tardèrent pas à être pononcés, et le juge Jeffreys se fit une triste célébrité par ses violences et ses cruautés. On poursuivit successivement l'imprimeur

[ocr errors]

Thompson, Richard Baxter, le courageux théologien, et Samuel Johnson, qui furent condamnés à de fortes amendes, au pilori et au fouet. Le sang coulait de nouveau, et la guerre, plus terrible que jamais, était déclarée par la force brutale à la pensée rebelle. On alla même jusqu'à incriminer les discours; un jeune homme nommé Tutchin fut conduit devant Jeffreys pour avoir prononcé des paroles séditieuses, et condamné à sept années de détention, durant chacune desquelles il devait être fouetté dans toutes les villes du Dorsetshire. Le jugement équivalait à être battu tous les quinze jours; aussi Tutchin demanda-t-il à être pendu, et ne parvint-il à se sauver qu'en abandonnant toute sa fortune à son juge.

Tandis que les imprimeurs anglais tremblaient devant leurs persécuteurs, le pays était inondé de pamphlets venant de la Hollande. Guillaume de Nassau, qui avait épousé Henriette-Marie Stuart, fille de Jacques II, débarqua enfin en Angleterre, et la révolution éclata partout sur son passage. Jacques II fut forcé de fuir devant son gendre, essaya de soutenir une lutte inégale en Irlande, et alla mourir misérablement en France dans la dédaigneuse hospitalité de Louis XIV.

La presse ne profita pas immédiatement du triomphe du parti whig, car le licensing act fut renouvelé, avec toutes ses rigueurs, durant les trois premières années du règne des nouveaux princes. Roger l'Estrange, qui avait rempli les fonctions de censeur sous le règne de Jacques II, fut remplacé à la révolution par un gentilhomme écossais, connu par sa passion pour les livres rares, qui lui avait valu le surnom de « catalogue Fraser. » On fait brûler par le bourreau, en 1693, un pamphlet attribué à C. Blount, l'auteur de l'Anima mundi; on détruit, en 1694, le discours de sir John Knight, membre du parlement, qui s'était prononcé contre la naturalisation des protestants étrangers. A la fin de la même année, Dyer ayant publié un compte rendu des débats de la chambre des communes, est obligé de s'agenouiller à la barre afin

d'y recevoir les réprimandes du speaker, et on profite de cet incident pour défendre strictement à tout publiciste de s'occuper des séances de la chambre.

Les persécutions devenaient cependant moins violentes à mesure que les mœurs s'adoucissaient, et les progrès de l'esprit humain firent enfin comprendre la nécessité de changer de système. Guillaume III, resté seul à la tête du gouvernement à la mort de la reine Henriette-Marie, approuva l'abolition du licensing act, et concéda à l'imprimeur la liberté dont jouissaient les autres industriels. On supprima le monopole réservé jusqu'alors à quelques personnes spécialement autorisées, non en invoquant des principes de droit public, mais à cause des abus auxquels la législation en usage avait donné lieu la valeur de cette concession échappait encore à ses auteurs.

Soixante-dix journaux parurent de 1661 à 1692, parmi lesquels nous citerons entre autres le Mercurius reformatus, du docteur J. Welwood, suivi bientôt après par le Flying-Post, qui cherche à attirer l'attention publique par une curieuse innovation. On imagina d'imprimer ce journal sur une double feuille, dont l'une restait blanche, tandis que la seconde contenait le récit des faits nouveaux. On pouvait donc, pour deux sols, entretenir son correspondant de quelque affaire spéciale, et lui envoyer en même temps les nouvelles les plus récentes, éditées par Jean Salisbury, à l'enseigne du « Soleil levant, » dans Cornhill.

Le règne de la reine Anne est mémorable dans les annales de la presse. Bien que toutes les sympathies de la cour fussent acquises aux torys, qui s'opposaient de toutes leurs forces aux changements, ce fut sous cette administration que la propriété littéraire fut reconnue et placée sous la garantie des lois. Le premier journal quotidien anglais, The Daily Courant paraît en 1709; plusieurs hommes remarquables descendent à leur tour dans cette arène qu'ils avaient longtemps dédaignée et font du journalisme une véritable puissance. Nous citerons

d'abord Daniel de Foë, l'auteur de Robinson Crusoé, qui publie, en 1700, The True born Englisman, mordante satire, dont le souvenir contribua à le faire condamner au pilori, deux ans plus tard. Sans se laisser abattre par l'infortune, il se prépara à d'autres travaux dans la prison de Newgate, composa une ode sur ce pilori dont on avait voulu faire le piédestal de son infamie, et édita une revue qu'il publia durant neuf ans. Swift et Bolingbroke écrivent dans l'Examiner; Steele contribue au succès du Tatler et du Spectator; Addison envoie des articles à ce dernier journal et au Freeholder.

Un extrait de l'Examiner, de Swift, suffira pour donner une idée de l'habileté avec laquelle on maniait déjà la critique à cette époque. Marlborough, brillant général et solliciteur avide, se plaignait de l'ingratitude du peuple anglais à son égard. Il rappelait avec quel enthousiasme les Romains recevaient jadis les vainqueurs, et se répandait en doléances.

L'Examiner accepte le parallèle, et publie deux comptes fort curieux, celui de la reconnaissance romaine et de l'ingratitude anglaise :

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Tout bien considéré, conclut-il plaisamment, et les

« PrécédentContinuer »