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Disons, en terminant, que tous les arguments contre les colonies libres représentent des intérêts personnels ou des préjugés. Le principe qui fait supposer qu'elles ne peuvent exister repose sur un sophisme, à savoir qu'il n'y a pas de médecins, d'administrateurs et de nourriciers assez honnêtes et assez désintéressés pour faire le bien pour le bien. Quand on est réduit à de pareilles excuses, on est bien prêt de tomber dans l'absurde, car à ce compte il n'y aurait pas de société possible.

En France des médecins admettent la possibilité de créer des colonies; cependant un savant fort distingué a objecté que l'habit noir (pris comme signe de corruption dans un village) ne permettrait pas de confier des femmes. aliénées à des familles isolées. Mais s'il y a 7 millions d'hectares de terres incultes, et qu'on en prenne quelques centaines pour une colonie, c'est comme si l'on choisissait. le personnel d'un grand établissement; l'intérêt de chaque famille serait au moins le gage de sa moralité. Supposant même que la race romane ou latine soit trop corrompue, il y a dans le nord et l'est de la France des populations de race germanique qui donneraient toute confiance.

En Allemagne et en Angleterre, l'opposition aux colonies d'aliénés est difficile à comprendre, car ces institutions ne sont, comme en Belgique, que le produit de l'esprit méditatif allemand et du sens pratique anglo

saxon.

Je finis en répétant les paroles que j'ai prononcées devant la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles, dans la séance du 1er septembre 1856 : « Je le reconnais, oui, avec peine, le nom de Gheel n'est point apprécié comme il mérite de l'être. Mais pourquoi? D'abord vous savez que le mot aliéné a quelque chose de triste; s'il est malheureux de devenir aliéné, par le temps qui court, il est encore honteux au plus haut degré d'être pauvre. C'est donc la réunion de ces deux mots qui fait la honte de Gheel pour beaucoup de gens, tandis que pour moi elle en fait la gloire; oui, messieurs, j'ai la conviction

que Gheel remplit une haute fonction humanitaire et que son nom n'en deviendra que plus illustre dans les fastes de l'humanité! >>

Je disais vrai, car depuis, Gheel a donné son nom et celui du pays à un système renommé par son humanité et que l'on appelle le système belge.

D" J. PARIGOT.

ÉTUDES

SUR LA

PRESSE ANGLAISE.

I

L'histoire de l'Europe, si complexe par la multitude de faits qu'elle embrasse, peut se diviser en trois périodes bien distinctes. La première, qui est celle des sociétés antiques, se base entièrement sur le droit civil, et la qualité d'homme ne s'y acquiert qu'avec celle de citoyen d'un État l'esclave n'est qu'une brute, que rien ne distingue des animaux dont il partage la vie. Cette ère se prolonge jusqu'à l'introduction du christianisme, dont les doctrines occasionnent une modification profonde dans les rapports sociaux les chaînes de l'esclave ne sont pas brisées, il est encore serf et vassal, mais son maître lui reconnaît certains droits à l'humanité, et le proclame son égal devant Dieu. Il existe dès lors un lien de solidarité entre eux, et le fils déshérité s'en empare pour réclamer plus tard, par la voix éloquente des réformateurs du XVIe siècle, la liberté de conscience. C'était là une révolution, et elle ne pouvait être acceptée sans lutte; la liberté de conscience consacrait en effet le droit de résister,

R. T.

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dans certains cas, aux autorités constituées, et il importait de savoir comment ce droit serait exercé. La guerre éclata bientôt entre les deux partis, guerre sanglante et terrible qui divisa l'Allemagne, ruina les Pays-Bas, épuisa la monarchie espagnole, et fit la fortune de l'Angleterre et de la Hollande. Les membres de l'Eglise réformée, fuyant la persécution, se rendaient en foule dans ces deux pays, qu'ils allaient enrichir par leur industrie. Ils ne déposaient l'épée que pour saisir la plume, et, du fond de leur asile, ils répandaient leurs écrits par toute l'Europe. Wolsey, l'habile ministre de Henri VIII, chercha en vain à mettre des bornes à ce mouvement, qui commençait déjà de son temps : « Nous devons détruire la presse, disait-il souvent, ou la presse nous détruira. » Le projet était sage, mais d'une exécution difficile, car Henri VIII lui-même faisait imprimer en ce moment un traité contre Luther. La presse servait aux deux partis; les livres se multipliaient, malgré les lacérations faites par la main du bourreau et le glaive dont on menaçait les écrivains. La reine Marie essaya à son tour d'éteindre ce flambeau qui se change parfois en torche incendiaire, mais elle ne put verser tant de sang qu'il ne restât quelques étincelles sous la cendre, et le foyer se ralluma avec un nouvel éclat à l'avénement de la reine Élisabeth. Cette princesse, cédant à ses propres inclinations et aux conseils. de sir Nicolas Throkmorton et de lord Burghley, se mit bientôt à la tête du parti protestant. Ce fut l'âge des grandes entreprises et des actions héroïques : les marins. anglais, sous la conduite du chevaleresque Raleigh, s'en vont conquérir la Guyane; les huguenots de France reçoivent des secours; la Hollande fait appel à la puissance britannique, et, tandis que Philippe II prépare son << invincible armada » contre les Anglo-Saxons, ceux-ci parcourent les rues de Londres en chantant leur hymne de guerre :

« O Dieu! délivrez-nous de l'invasion et confondez les » desseins des hommes pervers! Aidez-nous, Seigneur,

> et nous nous lèverons en masse pour écraser nos » ennemis. Que la mer engloutisse leurs navires, que » leur âme orgueilleuse soit humiliée! Les soldats païens » de l'Espagne s'armeront vainement contre nous, car » vous ne nous abandonnerez pas, ô Dieu puissant! Nous » périrons pour nos foyers; nous ne renierons pas notre » foi, pour pape, pour livre ou pour cloche, et si le » démon lui-même nous attaque, nous le repousserons > en enfer! »

La politique suivie par le gouvernement avait été adoptée par le peuple. L'enthousiasme grandissait avec le danger; on prenait l'habitude de s'intéresser aux affaires publiques, et même de les discuter, car ne se liaient-elles pas aux questions religieuses? Une foule de pamphlets activaient cette effervescence, d'où allait s'élever une puissance inconnue jusqu'alors, celle de l'opinion publique. On était à l'aurore d'une ère nouvelle, le serf et son maître, d'abord séparés par un abîme, puis unis devant Dieu, allaient devenir égaux devant la loi!

Les pamphlets et les brochures, échos éphémères de la grande voix de la foule, suffirent pendant tout le règne de la reine Elisabeth à satisfaire la curiosité générale. Le désir de connaître et d'approfondir se répandait cependant avec l'instruction, et le besoin d'une publicité plus active ne tarda pas à se faire sentir. Jacques Ier, ce théologien couronné, venait de monter sur le trône; la guerre de trente ans désolait l'empire germanique. et les mouvements de Gustave-Adolphe, le héros protestant, excitaient un intérêt universel, lorsqu'un homme jusqu'alors fort obscur, Nathaniel Butler, résolut de profiter des circonstances pour se frayer une voie jusqu'à la fortune. Il réunit toutes ses ressources et fit imprimer, en 1622, le premier journal périodique qui ait été publié en Angleterre. Il est daté du 23 mai, et porte le titre de Weekly News, ou « nouvelles de la semaine. »><

On ne se fit aucune idée de l'importance de cette tentative, et les railleries ne manquèrent pas à son auteur.

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