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excitation morbide et le mouvement musculaire. Si une cause quelconque de folie prolonge son action, les conditions organiques du cerveau peuvent altérer plus profondément les fonctions de celui-ci et produire leur affaiblisment. Or, les partisans de la réforme prétendent qu'à ce point de vue l'isolement du monde actif est nuisible, et les exemples sont faciles à trouver dans les préaux des asiles. L'excitation que fournit la vie des champs est par sa nature fort modérée; elle sera sinon tempérante, au moins sans effet nuisible sur l'exaltation maniaque, et suffisamment excitante cependant pour entretenir sans fatigue le jeu de toutes les facultés. L'encellulement d'un agité augmente presque toujours la maladie; toute diversion est empêchée; le médecin entreprend une espèce de lutte avec son prisonnier, et, dans les constructions les plus à la mode, il s'est réservé une galerie d'où il peut tout observer sans danger. Contenu par une camisole de force ou attaché soit à quelque banc, soit dans son lit, le malade qui a besoin de se mouvoir pour apaiser son mal est soumis, par cette immobilité forcée, à la plus atroce des tortures; enfin, enfermé avec ses pairs, le contact de la folie (nous le prouverons) ajoute de nouvelles angoisses à sa position déjà si malheureuse. Dans tous ces cas les aliénés ne peuvent que perdre rapidement le temps favorable à la guérison et tomber dans une chronicité irremédiable. Voilà, d'après notre manière de voir, l'une des causes les plus actives de l'encombrement des asiles: la civilisation qu'on a tant attaquée, n'y est certes pour rien.

Jusqu'ici nous avons exposé les arguments extrêmes des deux partis; actuellement il faut produire l'opinion d'hommes qui peuvent être considérés comme des éclectiques en psychiatrie. Ceux-ci posent en principe que l'application d'un système quelconque dépend de la nature de chacune des maladies; ainsi, ils disent qu'il faut bien se résoudre à contraindre mécaniquement des furieux, des mélancoliques à sentiments pervertis, des idiots à tendances criminelles ou honteuses, etc., etc.;

d'un autre côté, s'ils admettent l'encellulement, ils ne le permettent que pour un temps fort court; enfin ils conviennent que la contrainte, soit mécanique, soit morale, avilit toujours le malade même à ses propres yeux et qu'il faut rarement y recourir. L'espace nous manque pour examiner une à une toutes ces propositions, le lecteur les appréciera en se rappelant toutefois que, dans les champs, la folie est sans réactions internes ou externes, et que l'affection véritable d'un bon nourricier fait appel à nos meilleurs sentiments.

C'est probablement à la répugnance des moyens violents que nous devons le système anglais de la non-contrainte qui exclut aussi toute espèce de brutalités, de violences, de liens, de camisoles de force, de fauteuils giratoires ou d'autres engins de tortures. Tout cela est remplacé par de bons soins, une grande surveillance, et enfin, comme dernière raison, par l'encellulement dans une chambre matelassée et privée de lumière.

L'application de ce système est toujours un peu difficile dans un asile clôturé; on peut dire cependant qu'il a réussi à Hanwell, asile anglais contenant mille reclus, puis dans d'autres localités encore; enfin le même système a été adopté à Meerenberg, près de Haarlem, en Hollande, où il est mis en pratique avec avantage. La noncontrainte n'est possible que sous une direction des plus paternelles; toutefois, dans un asile, la famille est trop grande, ses membres sont trop inoccupés; il faut bien, dans une telle direction, compter avec le nombre et passer sur beaucoup d'inconvénients. Cette méthode exige naturellement, de la part des servants et des surveillants, une intelligence peu commune des caractères de la folie et des actions qui s'y rapportent; ils doivent avoir une très-grande prudence pour prévoir et pour éloigner des catastrophes imminentes à chaque instant. Certains d'entre eux ont expié leur témérité ou leur négligence au milieu d'aliénés retenus malgré leurs réclamations et quelquefois atteints de perversion de la volonté ou des sentiments. Il y a dans ce sys

R. T.

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tème une sorte de contradiction à mettre des gens en liberté dans un espace rétréci où ils sont retenus contre leur gré.

Suivant nous, la non-contrainte est, dans l'ancien système, la négation d'un mal physique, comme l'indique son nom, sans toutefois qu'elle donne satisfaction à nos instincts les plus élevés; dans une famille et sans entraves, elle devient l'affirmation d'un bien-être moral, qui enlève à la folie tous les symptômes alarmants et la réduit à sa plus simple expression.

De la non contrainte, les Anglais ont encore fait un pas de plus vers l'air libre: c'est le cottage system qui forme entre les deux le point de transition. Le malade est placé dans une chaumière ou villa dépendante d'un asile; pour définir cette méthode, il faut dire que c'est l'air libre, moins la vie de famille et l'organisation médicale d'une colonie. En Angleterre, les critiques n'ont pas manqué lorsqu'on eut remarqué que ce système consistait à isoler un malade avec un ou plusieurs gardiens et que les soins médicaux n'étaient pas réguliers. Il était facile de voir combien cet état de choses pouvait nuire au malade. Dans le système à air libre, il y a la vie de famille qui garantit le bien-être et les soins nécessaires à la cure de la folie. Toujours est-il évident que la réforme n'a plus qu'un pas à faire pour s'établir dans un pays où le sens pratique des choses est éminemment développé; déjà la QuarterlyReview a émis le vœu de voir établir dans son pays une colonie à l'instar de celle de Gheel.

II

Mû par un sentiment très-louable, un des savants les plus distingués de l'Allemagne, M. le docteur Roller, médecin en chef de l'asile d'llenau, dans le grand-duché de Baden, a proposé dernièrement une modification du système à air libre. Dans un article du journal Allgemein

Zeitschrift für Psychiatrie et à l'occasion d'une revue bibliographique d'un mémoire sur Gheel, par M. Duval, de Paris, inséré dans la Revue des Deux-Mondes, il reconnaît que l'existence d'une colonie libre, datant de plusieurs siècles, contient en soi la preuve de sa raison. d'être; ainsi il est clair qu'un grand nombre d'aliénés réunis dans un village n'ont pas besoin d'asile clos, que les malades sont plus capables de jouir de liberté que bien des gens ne le pensent, et, enfin, qu'ils peuvent vivre en famille sans danger. M. Roller se demande si cet exemple doit être perdu? Pourquoi, dit-il, ne pas l'appliquer à la solution du problème que l'accroissement de la population impose à l'assistance publique?

D'après le plan de M. Roller, les incurables placés dans les environs d'un asile permettraient au moins l'admission des cas récents, et ces derniers pourraient alors recevoir les soins indispensables à leur cure pendant la période où cette cure peut s'effectuer. En effet, il n'existe pas de mal plus funeste (l'Angleterre et l'Allemagne s'en plaignent) que l'encombrement dans un hôpital ou dans un hospice. En ce cas l'établissement de colonies devient une nécessité, et que l'asile soit un centre thérapeutique, tout le monde l'approuvera le nom ne fait rien à la chose et la méthode proposée est parfaitement acceptable.

Si M. Roller avait visité Gheel, et ne se fût pas contenté de descriptions et de rapports, peut-être son jugement sur la valeur de cette colonie eût-il été meilleur. Ainsi cet homme distingué croit qu'il y a opposition d'idées et de faits dans les mots de liberté et de chaînes; il pense que l'assassinat de personnes inoffensives et la grossesse de femmes aliénées forment un triste revers de médaille, en même temps qu'ils ne démontrent pas l'excellencé du principe de liberté pour les aliénés.

Il est des hommes dont l'opinion est trop considérable pour qu'on ne cherche point à la redresser lorsqu'elle se base sur des faits mal appréciés; nous croyons donc, en faveur de Gheel et des colonies libres, devoir faire remar

quer à M. Roller que si des défauts ont été signalés par nous-même au sujet de la colonie, c'était afin de faire cesser de ces abus qui s'attachent aux meilleures choses, et non pour critiquer un principe excellent; des faits tellement exceptionnels, qu'on pourrait ne pas en tenir compte, ne vont pas à entacher une population entière et à annihiler le bien qu'elle fait? Gheel existe depuis des siècles y aurait-il exagération à prétendre que la colonie a recueilli quelques centaines de mille malades? Non, certainement; eh bien, jusqu'ici, la tradition rapporte deux crimes contre la vie des personnes. Est-ce que, par hasard, dans les asiles fermés, il ne s'en est jamais commis?

Nous sommes loin de dissimuler le dégoût que nous inspire le viol d'une aliénée, commis avec ou sans son consentement, il n'importe; c'est un crime. Mais, sur quatre ou cinq cents femmes, il y a des hystériques qui peuvent échapper à la surveillance, même dans un asile fermé, donc à plus forte raison dans une colonie; et à Gheel ce crime est certainement bien rare.

Quant aux fers, aux chaînes, aux entraves, il faudrait savoir ce que c'est, et alors bien des gens diraient que les mots sont plus effrayants que la chose elle-même. Il s'agit simplement d'un moyen d'empêcher une marche précipitée chez les déments et les maniaques agités qui pourraient se perdre dans les campagnes; par ce moyen, on est dispensé d'encelluler les agités. Une entrave consiste en une chaînette reliant deux espèces de bracelets de tôle recouverts de cuir que l'on attache à la partie inférieure de la jambe. Nous avons vingt fois interrogé des personnes guéries qui, étant à Gheel, avaient porté ces freins : toutes nous ont assuré qu'il est bien préférable d'avoir les mouvements restreints au milieu des champs que de porter la camisole de force dans une cellule. D'ailleurs, lorsqu'on voudra payer suffisamment un nourricier pour l'indemniser de la perte de son temps, il se constituera le gardien d'un agité, et les chaînettes disparaîtront tout à fait.

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