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ne lui est indifférent; aussi toutes les circonstances ordinaires aux asiles sont-elles changées. Pour éviter une multitude de complications et de causes d'aggravation, on veut de l'espace au grand air, on permet à chaque malade l'usage d'une sorte de liberté personnelle, et pour cela il est placé au milieu d'une société spéciale, créée pour lui; les soins des domestiques sont remplacés par ceux d'une famille qui a mission de rendre inoffensif un homme sinon furieux, toutefois privé de la conscience de ses actes. C'est, pour ainsi dire, par un tour de force moral, aux yeux de ceux qui ne croient qu'à la matière, que ce système commence une médication de l'homme. frappé par en haut, comme le disait lord Byson. Oser dire, au risque de sa vie, à un insensé : « Sois libre et comprends le sentiment qui m'anime! » n'est-ce pas ressembler à Alexandre de Macédoine lorsqu'il accepta le breuvage de son médecin Philippe avant de lui faire connaître ce dont on l'accusait? Eh bien, les malheureux aliénés ne sont, dans l'immense majorité des cas, pas plus coupables de mauvaises intentions que le médecin d'Arcananie, et nos Alexandres en Belgique sont de pauvres paysans!

S'il a pour effet de guérir, peu importe comment se nomme le système; d'ailleurs il doit pouvoir s'accommoder à des pays ayant un autre climat et d'autres mœurs; mais, comme il se pratique à la campagne et sous l'influence de la liberté, il a été désigné par le nom de traitement à air libre. Il peut être mis en usage par une ou plusieurs familles à la fois, par un village, par une colonie cela ne change nullement son caractère spécial. Tout doit s'obtenir par la douceur et non par intimidation ou violence, rien ne doit opprimer l'individualité du malade ce ressort de la vie intellectuelle étant brisé, entraînerait la perte de l'être humain. Il faut enfin les conditions morales et physiques que demande la science. Personne n'ignore que les efforts de l'homme de l'art doivent être immenses pour vaincre le mal: pourquoi donc augmenter les difficultés? Que de travail pour trouver

l'origine et le siége du désordre, en prévoir les phases et déterminer la médication! que de temps et de patience employés dans ces examens du malade, mais aussi quelle satisfaction quand on obtient un heureux résultat!

Si par hasard on nous demandait où ce système est complétement adopté, nous serions forcé de dire que la colonie gheeloise approche de cet idéal sans toutefois l'atteindre encore, mais qu'il est à espérer qu'avec le concours de son médecin en chef actuel, les améliorations commencées il y a plus de dix ans seront poursuivies avec succès. Déjà le docteur Bulckens a donné des preuves de savoir et de dévouement qu'il continue sa tâche et il aura bien mérité du pays! Enfin il nous paraît que la question de la réforme est tellement urgente, que l'opinion publique doit être aussi consultée à ce sujet. Res sua agitur le problème a son côté pratique, et l'on peut juger, par exemple, quel système est le plus simple, le moins douloureux, et quel est celui qui guérit le plus vite.

Dans les éclaircissements que ce travail offrira nous mettrons toute l'impartialité possible; quoiqu'il soit publié en faveur de la réforme, et doive le jour à une polémique qui nous est faite en Allemagne et en Angleterre, nous n'avons été mû que par l'intérêt seul de la vérité.

I

D'après ce qui a été dit plus haut, il est aisé de prévoir que les médecins partisans de la contrainte, soutiendront qu'une maison dans laquelle la vie est soumise à une règle, à une discipline de tous les instants, devient en quelque sorte un instrument de guérison, et ils s'empresseront d'ajouter que, suivant le célèbre Esquirol, c'est l'agent thérapeutique le plus puissant entre les mains d'un médecin habile. Il serait facile de réfuter cette assertion

dans ce qu'elle a d'absolu et de général, mais il suffit de dire qu'elle procède moins d'une théorie scientifique que de l'idée de perfection qu'on est habitué d'attacher à la vie conventuelle et religieuse; les prêtres séculiers non astreints à cette vie, sont à ce point de vue des irréguliers. Donc, pour bien des gens, la vie monastique conduit à la perfection; ils pensent dès lors que les passions, sources uniques de la folie suivant eux, seront plus facilement combattues dans des espèces de cloîtres.

Il est vrai que, pour certaines existences, cette règle peut avoir des effets très-marqués; mais on oublie aussi ce que doivent produire sur un malade et son enlèvement du milieu de sa famille, et la reclusion. Il n'y aurait rien d'étonnant, toutefois, qu'un médecin habile en thérapeutique mentale, comme l'entend Esquirol, sût profiter de cette commotion morale pour instituer le traitement rationnel auquel le plus souvent le malade ou sa famille. s'étaient refusés. Mais ce n'est pas à cela que songent, pour les besoins de leur cause, les avocats de la contrainte. S'attachant à la lettre de l'aphorisme en question, ils prétendent que les murailles mêmes d'une maison de santé peuvent avoir une action thérapeutique mystérieuse, et ils vont jusqu'à dire, comme on l'a fait dernièrement encore au sujet d'un concours d'architecture pour le plan d'un asile près de Madrid, que les méthodes curatives sont intimement liées aux dispositions architecturales, à tel point qu'on parviendrait plus sûrement à construire un bon manicome en étudiant les premières qu'en perfectionnant les secondes. Mais c'est vouloir que les distributions matérielles de l'asile aient quelque rapport secret avec les maladies de l'esprit; c'est passer de l'organologie phrénologique à une absurdité plus grande encore, par l'application de cette classification aux divisions et subdivisions de quartiers de fous; ainsi il y aurait les malades des sections intellectuelles, ceux des protubérances senti

1 Des asiles d'aliénés en Espagne, Paris, 1859.

mentales, ceux des bosses instinctives, etc. De là procède le sophisme, qu'un classement peut aider au traitement de la folie. Il n'en est rien ce classement sert tout au plus à rendre la vie possible entre détenus, et voilà tout; l'aliéniste digne de ce nom ne compte que bien rarement, comme moyen thérapeutique, sur l'ennui et la douleur de vivre toujours entre quatre murs.

Des milliers de plans ont été produits pour réaliser cette bienheureuse classification dont les conservateurs vantent tant les effets tous les asiles de l'Europe ont été parcourus et étudiés par une foule d'aliénistes voyageant pour en chercher la trace et en comprendre le sens thérapeutique au milieu de toutes les combinaisons possibles de droites et de courbes peine perdue! ce rapport de la brique et de la pensée n'a pu être trouvé.

La psychiatrie n'attend que bien peu de chose d'un classement quelconque. L'administration a raison de diviser ses pensionnaires en payants et indigents, en turbulents, demi-turbulents, idiots et malpropres, mais cela n'a rien de commun avec la thérapeutique; et d'ailleurs la douleur phsychique n'a point de colonnes réservées dans des registres administratifs, le médecin seul peut en apprécier la source, la valeur et le remède. Au point de vue de l'ordre des asiles, pourvu qu'un médecin parcoure deux fois par jour des salles ou des préaux où sont enfermés deux à trois cents malheureux, on appelle cela avoir tout fait pour obtenir la guérison et le bonheur de ces tristes prisonniers.

Le moment approche où de pareilles hypocrisies seront abandonnées; on finira par comprendre qu'un certain isolement ne doit pas être confondu avec l'emprisonnement. Certes il faut isoler le malade des circonstances qui ont amené ou vu naître la folie, mais il est parfaitement clair que cet avantage est obtenu aussi facilement si on déplace le malade que si on l'enferme. Dans le système à air libre, le malade prend plus facilement le change sur les raisons qui l'ont momentanément séparé de ses parents,

il accepte les prétextes qu'on invente à ce sujet et le chef de la famille où il sera placé le traitant bien, l'effet salutaire de l'isolement est obtenu sans violence et surtout sans risque d'exalter un esprit qui a besoin de repos.

Les partisans de la contrainte ont essayé à diverses reprises de faire croire que la liberté personnelle est nuisible aux aliénés, en même temps que fatale à ceux qui les entourent; selon eux, les conditions qui la permettent entraînent à trop de périls et à trop d'abus, et il est à souhaiter que l'unique colonie qui en donne l'exemple disparaisse le plus tôt possible.

Heureusement ces insinuations ne sont nullement fondées, et la raison en est facile à découvrir, car la plus petite des causes que l'on considère comme malfaisante, ayant pu agir pendant plusieurs siècles, aurait détruit de fond en comble l'établissement de Gheel que nous trouvons au contraire très-florissant. Le système est bon, et ce qui le prouve, c'est que malgré des défauts inhérents à une colonie fondée par la commisération spontanée de paysans, lesquels plus tard, à cause de leur ignorance, furent eux-mêmes l'objet de spéculations de tout genre, cette méthode de recevoir chez soi des malades pour une somme modique a été avantageuse à toutes les parties contractantes. Gheel enfin a même su résister à certaines améliorations qui ont fait diminuer le nombre de ses pensionnaires. De 1,000 aliénés, le chiffre est aujourd'hui descendu à 750, à la suite du règlement qui lui fut imposé par l'Etat; la colonie perdit les aliénés qu'on supposait pouvoir être suicides, homicides ou dangereux à différents titres. Toutes ces catégories furent envoyées dans des asiles fermés tenus par des religieux, et nous pouvons dire que ce transfert n'eut lieu qu'au grand chagrin et au grand détriment des malades.

Il est un côté de l'esprit humain que l'on ne doit point perdre de vue lorsqu'on s'occupe des maladies mentales dans le dessein de les guérir: c'est celui de son activité, qui exige à la fois la diversion des pensées loin de toute

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