Imágenes de página
PDF
ePub

PRÉFACE.

En 1866, j'ai publié un premier volume d'études sur la Littérature grecque moderne. C'était un Mémoire qui avait obtenu le prix Bordin, sur une question mise au concours par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour l'année 1864. Il s'agissait de rechercher, d'après les textes publiés ou inédits, lesquels de nos anciens poëmes comme Roland, Tristan, le Vieux Chevalier, Flore et Blanchefleur, Pierre de Provence, et quelques autres, avaient été imités en grec depuis le XIIe siècle, et d'étudier l'origine, les diverses formes, les qualités ou les défauts de ces imitations.

Ce genre de littérature était alors peu connu. C'était une sorte de moyen âge grec dont bien peu de personnes s'étaient occupées. Ces tristes compositions que ne recommandaient ni le style, ni les idées, étaient méprisées même des Grecs. Ils y voyaient les témoignages d'un temps dont ils avaient horreur. Soit qu'il leur rappelat la conquête et l'invasion des Occidentaux, soit qu'il ramenát leur esprit sur l'abaissement de leur nation depuis 1453, ils ne pouvaient que le détester.

Il s'est fait aujourd'hui un changement d'opinion à l'égard de ces productions néo-helléniques. Sans attribuer à ces poésies ni plus de mérite littéraire, ni plus de valeur artistique qu'autrefois, on commence à les considérer avec plus d'attention au point de vue historique.

On croit qu'il n'est pas sans intérêt de suivre, à travers ses malheurs, les efforts que la Grèce a faits pour conserver son histoire, consoler ses douleurs ou amuser son esclavage. Les travaux de M. Emile Legrand, en France, en ont suscité de semblables, en Allemagne, de la part de M. Wagner, de Ham

VI

bourg; ces publications et la Bibliotheca Græca medii ævi de M. Constantin Sathas, entretiennent et justifient ce mouvement de sympathie. Mon désir serait de l'accroître après avoir contribué à le faire naitre (').

Dans mes Premières Etudes, je m'étais atiaché plus spécialement à l'examen des textes grecs qui marquaient une imitation précise de nos romans de chevalerie. Dans ces Nouvelles Etudes, je n'ai pas négligé ce point de vue si intéressant pour l'histoire de la transmission des idées en Europe. On y verra entre nos compositions françaises du XIIIe siècle et celles des Grecs à la même époque des rapprochements curieux et des imitations incontestables. On se convaincra de plus en plus qu'il y avait alors entre les différentes nations de l'Europe une communauté d'idées, une sorte d'échanges intellectuels qui se sont arrêtés à mesure que chacune de ces nations a pris un caractère plus défini et s'est fait des voies nouvelles. On peut, en particulier, assurer que les Français et les Grecs n'ont jamais cessé de communiquer ensemble, et qu'il a toujours existé un lien étroit entre l'esprit de ces deux peuples.

Je crois en donner de nouvelles preuves dans l'examen de quelques poëmes grecs inédits jusqu'alors, dont j'ai le premier étudié les textes, et dont M. E. Legrand a publié une édition critique dans sa précieuse collection des monuments pour servir à l'histoire de la langue néo-hellénique.

Il n'a jamais été complètement vrai de dire pour l'Occident que l'ignorance du grec y ait été absolue. Ce propos Græcum est non legitur, n'a jamais élé qu'une boutade, et il est même démontré que le savant Accurse, qui passe pour l'avoir dit le premier, était loin d'ignorer le grec.

J'ai cru qu'il serait intéressant de suivre à travers le moyen âge du Ve siècle après J.-C. jusqu'au XVo, les vicissitudes des études grecques dans nos contrées de l'Occident, et j'ai recueilli dans une étude spéciale, tous les faits relatifs à ces études dont le souvenir s'est transmis; j'ai même recueilli les assertions les

(1) Voir l'ouvrage de M. P. Moraïtinis, La Grèce telle qu'elle est. Athènes, 1877, p. 152.

plus hasardées et qui peuvent donner lieu à controverse, mais qui ont cependant une valeur historique.

Je voudrais que ce travail complétát l'ensemble des recherches méthodiques, ingénieuses et savantes de M. Egger, dans son Histoire de l'Hellénisme en France.

J'ai recueilli des souvenirs de la domination des Lusignans dans l'ile de Chypre (XVe siècle), qui sont restés dans deux chansons populaires écrites en grec, qu'expliquent et éclaircissent les pages d'une chronique grecque de Léontios Macheras, publiée pour la première fois par M. Constantin Sathas en 1873.

J'offre ensuite aux lecteurs l'analyse et l'étude d'un poëme grec fort répandu encore aujourd'hui dans les diverses contrées de la Grèce. Cette œuvre, connue sous le nom d'Erotocritos, date du XVIe siècle. C'est un poëme de chevalerie calqué sur nos romans et accommodé au goût des Crétois pour qui il a été écrit.

Les Grecs ont beaucoup estimé et estiment encore Vincent Cornaro, l'auteur de cette aurre. Coray ne craignait pas de l'appeler l'Homère de cette littérature vulgaire. Si Rizos-Néroulos en parlait avec quelque mépris, c'est qu'en 1828, époque où il portait un jugement trop sévère sur ce poëme, la critique passionnée pour le renouvellement de la langue aussi bien que pour l'indépendance de la Grèce, voyait les choses d'un point de vue particulier, peu favorable aux compositions populaires du temps passé.

Du XVIe siècle jusqu'à nos jours, la condition de la Grèce a bien changé. Redevenue libre, la nation des Hellènes a travaillé à réparer ses ruines. Celles de sa langue demandaient une restauration entière. L'on s'y est mis avec ardeur. Bien des théories ont été essayées, parfois téméraires et périlleuses; il n'en est pas moins sorti de ces efforts louables, un grand bien pour la correction du langage. Cet idiome moderne, dans lequel aujourd'hui s'écrivent tant de journaux et tant de livres, s'est assoupli et purifié. On en a chassé les mots étrangers, on a repris à la langue des anciens tous ceux qui s'accommodent le mieux au besoin de clarté et de précision qui domine les langues actuelles. On a reconquis des formes, des cas et des temps dont

l'ignorance avait dépouillé la déclinaison des substantifs et la conjugaison des verbes, et les Grecs instruits parlent aujourd'hui un langage qui reste grec dans ses éléments essentiels, tout en adoptant la construction analytique des idiomes modernes. C'est à ce point de vue que je signale à l'attention des lecteurs, des compositions destinées à des érudits, comme celle de M. Réniéris, ou des œuvres de théâtre comme celles de MM. Bernardakis et Basiliadis.

Je n'ai pas fait dans ce volume une histoire suivie de la littérature grecque moderne, le temps n'est pas encore venu de l'écrire; je me contente d'en présenter ici quelques tableaux détachés qui pourront avoir place un jour dans un plus grand ensemble.

Novembre 1877.

Ch. GIDEL.

LES ÉTUDES GRECQUES EN EUROPE

DEPUIS LE QUATRIÈME SIÈCLE APRÈS J.-C. JUSQU'A LA CHUTE DE CONSTANTINOPLE (1453).

I.

Un savant illustre, M. Egger (1), a écrit l'histoire de l'hellénisme en France depuis la prise de Constantinople par les Turcs; M. Didot (2) en a fait autant pour Venise, en Italie; de pareilles études honorent ceux qui les ont entreprises. On ne veut point en diminuer le mérite, quand on remarque qu'elles étaient faciles et attrayantes par le nombre des matériaux et l'importance des résultats. Déjà même avant la fatale époque de 1453, on suit sans peine le progrès des études grecques en Europe. On y voit venir des maîtres de science et d'érudition diverses, des écoles se fonder, des livres circuler, des élèves se former. On est en pleine lumière. Il n'en est pas de même, si l'on essaie de suivre, dans les années les plus troublées et les plus obscures du moyen âge, la trace des relations de l'Orient avec l'Occident. Que de difficultés, en effet, ne rencontre-t-on pas à marquer les rapports intellectuels de ces deux parties du monde ? Y a-t-il eu jusqu'à la Renaissance ignorance absolue du grec en Italie, en

(1) L'Hellénisme en France. 2 vol. in-8. Paris (2) Alde Manuce. 1 vol i

« AnteriorContinuar »