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Trim une église connue sous le nom d'Eglise des Grecs? (1) »

Il faut citer ici l'auteur de la Civilisation chrétienne chez les Francs (2) : « D'ailleurs, les traditions des Irlandais les montrent dans des rapports étroits avec l'Espagne, par conséquent avec la Gaule méridionale, dont plusieurs villes gardèrent longtemps l'idiome et les mœurs de la Grèce. C'était plus qu'il ne fallait pour populariser la langue grecque, ses philosophes et ses poètes, chez les disciples de Saint Patrice et de Saint Comgall. De là, les hellénismes, dont ils sèment leurs écrits; de là, cette passion, qui poussera plus tard Scot Erigène, à la suite des métaphysiciens alexandrins, jusqu'aux limites du panthéisme; de là enfin, ces réminiscences d'Homère, qui se confondent avec les traditions nationales. C'est ainsi que le comté d'Ulster se nomme de la sorte, parce qu'Ulysse en toucha les rivages (3). Ainsi encore, quand Saint Brendan s'enfonce sur les mers de l'ouest à la découverte de la terre promise des saints, dans cette fabuleuse navigation de sept ans, il rencontre plus d'une aventure qui rappelle les épisodes de l'Odyssée. Comment oublier, en effet, l'île des Cyclopes, Polyphème, et la pierre lancée sur le vaisseau d'Ulysse? Comment ne pas reconnaître tous les traits de la fable grecque dans cette peinture de l'île des Forgerons, que Brendan et ses compagnons découvrent sur la route? « Ils virent une île vilaine et trèspérilleuse, sans arbres et sans herbe, couverte d'écume de fer, et pleine d'officines de forges. Ils ouïrent le son des soufflets soufflants, ainsi que des tenailles et des maillets contre le fer et les enclumes. Et de l'île sortit

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(1) Usher. Veterum epistolarum hibernicarum Sylloge, (note 16), atteste l'existence de l'église de Trim, « quæ Græcæ ecclesiæ nomen adhuc retinet. » (2) T. II. p. 477. (3) Ulyssis terra.

un habitant, comme pour parfaire quelque œuvre. Il était hérissé et tout brûlé, de couleur noire. Comme il vit les serviteurs de Dieu passer près du bord, il retourna en son officine. L'homme de Dieu cependant, disait à ses frères : « Mes fils, tendez plus haut vos voiles, naviguez tôt, et fuyons cette île. » Quand il eut ainsi dit, revint l'homme d'auparavant au rivage devers eux; il portait une tenaille dans ses mains, et une masse toute vermeille d'écume de fer, d'extrême grosseur; laquelle il jeta hâtivement sur les serviteurs de Dieu, et ne leur nuisit point. Car elle les trépassa comme de l'espace d'un stade, où elle plongea dans la mer, et la fumée de la mer monta comme la fumée d'un fourneau (1).

"

Saint Colomban n'est pas moins versé dans la connaissance de l'antiquité grecque (*). C'est un poète, le plus grand poète de son temps. On n'est pas surpris de l'entendre invoquer à l'appui des maximes évangéliques l'autorité de Juvénal:

Semper avarus eget nummo, testante poeta (3).

On l'est davantage de le voir accumuler les souvenirs de la mythologie grecque dans une lettre à son ami Fedolius Combien de maux a causés la toison d'or! Quelques grains d'or ont bouleversé le banquet des dieux, suscité le plus vif débat entre trois déesses, et armé le bras dévastateur de la jeunesse dorienne contre l'opulent royaume des troyens... Souvent une chaste femme vend sa pudeur pour de l'or. Jupiter ne se changea pas en pluie d'or; la pluie d'or, c'est l'or qu'offrait cet adultère. Pour un collier d'or, Amphiaraüs fut livré par une perfide épouse. Achille vendit à prix d'or les

(') La Légende de Saint Brandaine, publiée par Achille Jubinal. Cf. Odyssée, IX, 539.

(2) Usher. Ibid. p. 11.

(3) Usher. Sylloge epist. Hibern. p. 9.

restes du héros troyen; et l'on assure que le sombre asile de Pluton s'ouvre à qui paye une somme d'or. »

M. Hauréau a raison de faire remarquer que cette ode païenne est écrite en vers adoniques, à l'imitation des grecs; et que Saint Colomban, en désignant luimême la douce lyre dont il s'est efforcé de reproduire les accords, nomme celle de la galante Lesbienne, l'illustre Sappho (1):

Trojugenarum
Inclyta vates
Nomine Sappho,
Versibus istis
Dulce solebat

Edere carmen.
Extitit ingens

Causa malorum

Aurea pellis.

Corruit auri

Munere parvo
Coena Dearum;
Ac tribus illis
Maxima lis est
Orta Deabus.
Hinc populavit
Trojugenarum
Ditia regna
Dorica pubes.

Viennent ensuite les exemples de Danaë, de Pygma

lion et de Polydore :

Fœmina sæpe
Perdit ob aurum
Casta pudorem,
Non Jovis auri
Fluxit in imbre :
Sed quod adulter
Obtulit aurum,
Aureus ille
Fingitur imber.
Amphiaraum

(1) Singularités historiques et littéraires. p. 13.

Prodidit auro
Perfida conjunx.
Hectoris heros
Vendidit auro
Corpus Achilles,
Et reserari
Munere certo
Nigra feruntur

Limina Ditis.

Nunc ego possem
Plura referre,

Ni brevitatis

Causa vetaret....(1)

De pareils saints ne se faisaient nul scrupule d'étudier le grec, car il avait été consacré, ainsi que le latin et l'hébreu par l'inscription mise sur la croix de JésusChrist. C'est ce que dit Cumianus Hibernus, (l'hibernien) à Segienus (3): « Nec laudare, nec vituperare ausus, utpote Hebræos, Græcos, latinos, quas linguas, ut Hieronymus ait, in crucis suæ titulo Christus consecravit. "

Ces souvenirs de la mythologie antique, si curieux dans les vers de l'apôtre irlandais, peuvent avoir passé par le latin pour venir jusqu'àlui; mais nous ne savons pas s'ils auraient cette précision, cette justesse, cet air d'invention originale et neuve, s'ils n'étaient qu'un reflet d'Horace ou d'Ovide, dont ils semblent d'abord dériver. Nous croyons y retrouver l'imitation directe d'auteurs grecs. Sophocle, dans son Antigone, parle de Danaë(3); il blâme la cupidité qui entraîne les hommes à leur perte (*). Enfin Pindare semble avoir inspiré Saint

(1) Epist. VI ad Fedolium, Usher. Sylloge. Epist. Hiber. (2) Usher. Ibid. Ep. XI, p. 17.

(3) V. 940.

(*)

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Colomban dans ce passage. « Et l'on assure que le sombre asile de Pluton s'ouvre à qui paye une somme d'or. » Il s'agit d'Esculape:

̓Αλλὰ κέρδει καὶ σοφία δέδεται.

Ἔτραπεν καὶ κεῖνον ἀγάνορι μισθῷ χρυσὸς ἐν χερσὶν φανείς

̓́Ανδρ ̓ ἐκ θανάτου κομίσαι

Ηδη ἁλωκότα.

« Mais la cupidité domine souvent même les plus sages. On fit briller l'or à ses yeux; séduit par l'appât d'une riche récompense, il consentit à rappeler à la vie un homme qui n'était plus (1).»

Mais voici quelque chose de plus précis. Muratori, dans ses Anecdota latina, t. IV, cite des pièces extraites d'un antiphonaire de Bangor, l'abbaye où Saint Colomban avait fait profession; des mots grecs s'y trouvent mêlés à des mots latins. Ce monument singulier peut remonter au VII° siècle, il a été trouvé au monastère de Bobbio, fondé par Saint Colomban lui-même (*). On lit dans l'hymne de Saint Comgall:

Audite, pantes, ta erga
Allati ad angelica,

Athletæ Dei abdita,

A juventute florida.

Dans l'hymne des Apôtres, on remarque ce vers: Ille qui proto vires adimens chao.

L'hymne des matines offre le mot grec άyiɛ :

Dignos nos fac, rex agie (3).

(1) Pyth. III. v. 54. Traduction de M. Poyard.

(2) Ozanam. Ibid. p. 483.

(3) Dans l'Antiphonaire (Muratori, t. IV. p. 159), on trouve;

Zoen ut carpat Cronanus.

Horum sanctorum merita
Abbatum fidelissima
Erga.....

P. 156.- Munther, Benchuir beata; n'est-ce pas μýtyp?

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