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nisme, on citerait le Commonitorium ou avertissement de Vincent, surnommé de Lérins. Mort vers l'an 450, il employa les jours de sa retraite à écrire savamment contre l'hérésie de Nestorius. Un mémoire daté de l'an 434 traitait surtout du concile d'Ephèse. Cette prédilection semble indiquer chez lui la connaissance de la langue grecque. On ne saurait la lui contester, quand on le voit invoquer, parmi les docteurs qui font autorité, les noms de Saint Grégoire de Nazianze, de Saint Basile, de Saint Grégoire de Nysse et de beaucoup d'autres. Il devait avoir étudié, dans le texte même, les écrits des Ariens, des Sabelliens, des Nestoriens, des Eutychéens, des Monothélites, des Monophysites, pour résumer comme il le fait dans son avertissement, avec une précision si rigoureuse et réfuter avec tant de justesse, en termes si forts, des discussions « qui avaient été si longues, si compliquées et parfois si subtiles ('). "

XIII.

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L'influence du monastère de Lérins ne resta pas limitée aux confins de la Gaule, elle s'étendit bien audelà de la mer, chez ces Bretons qui semblaient séparés du monde. La religion chrétienne et le culte des lettres y furent portés en même temps par les mêmes missionnaires. Saint Patrice ou Saint Patrik, était né probablement dans l'Armorique (2). Enlevé fort jeune à son pays, par le roi d'Irlande O'Neil, il réussit à s'échapper et revint dans la Gaule. Disciple de l'abbaye de Marmoutiers (3), formé dans le monastère de Lérins (*), il

(1) Ampère. t. II. p. 65. - Tillemont. t. XV.

(2) 372 ou 387; mort en 465 ou 493.

(3) Ozanam. La Civilisation chrétienne chez les Francs. t. II. p. 472. (4) M. Hauréau. Singularités historiques et littéraires. 1861. p. 2.

convertit l'Irlande à la foi catholique. Il y a dans sa légende un trait caractéristique. Après trente ans de prédication, y est-il dit, ayant désiré voir le fruit de ses travaux, il fut ravi en esprit, et se crut transporté au sommet d'une montagne d'où l'Irlande lui apparut toute en feu. Ce feu, dit Ozanam, était celui de la science autant que de la foi.

En effet, auprès de chaque église, il s'instituait une école. Patrice n'avait pas oublié les grands exemples qu'il avait vus dans la Gaule, où les monastères nourrissaient tant d'hommes savants. Les bardes convertis devenaient les directeurs des écoles nouvelles. A Sletty, c'était Fiech, à Armagh, c'était Benignus son disciple, probablement Gaulois comme lui, qui dirigeaient les études. Ses successeurs conservèrent son esprit et les grandes colonies monastiques de Clonard, de Lismore, de Bangor, furent longtemps des foyers d'instruction ('). Avant de mourir, il envoya dans les Gaules un de ses disciples préférés, Saint Olcan, en lui donnant une mission toute littéraire. Olcan devait traverser la mer sans en redouter les périls, aller entendre les docteurs des Gaules, se faire initier par eux aux secrets les plus intimes de la science sacrée et de la science profane, et, de retour en Irlande, y ouvrir des écoles publiques, pour l'enseignement commun des évêques et des moines irlandais. « Discendi aviditate ardentem (Olcanum) altiorum studiorum causa misil (Patricius) in Gallias, ubi in sacris litteris omnique meliori litteratura eos fecit fructus, ut, in patriam reversus, publicas aperuerit scholas, multorumque anstistitum et magistrorum communis exstiterit magister (*).

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() Ozanam. Ibid. 472.

(2) Colganus, Acta SS. t. I. p. 375 citár

La race celtique était singulièrement propre aux études. Les anciens en ont été surpris, et ils en ont marqué leur étonnement dans leurs livres. Tacite, dans la Vie d'Agricola XXI, nous montre les Bretons empressés à s'instruire; à peine se sont-ils mis aux lettres romaines qu'ils s'y distinguent par de rapides progrès; les Gaulois n'y égalent pas leur zèle et leur ardeur, leurs enfants s'abreuvent avec avidité à ces sources nouvelles. « Jam vero principum filios liberalibus artibus erudire, et ingenia Britannorum studiis Gallorum anteferre, ut, qui modo linguam romanam abnuebant, eloquentiam concupiscerent. » Strabon (IV et VII), Diodore de Sicile (32), Plutarque (Marius, XI), ont tous loué cette heureuse disposition des Gaulois et des Celtes. On connaît ces vers tant cités de Juvénal (XV, 111 et 112):

Gallia causidicos docuit facunda Britannos;
De conducendo loquitur jam rhetore Thule.

Et celui de Martial:

Dicitur et nostros cantare Britannia versus.

On vit donc se renouveler dans l'Irlande cette grande curiosité qui fit de la Gaule une émule de Rome. Il n'est pas un saint Irlandais qui ne soit en même temps un savant; leurs historiens ne manquent jamais de célébrer leurs vertus et leur érudition. On les voit s'instruire au milieu des campagnes ('). « Ita in moribus honestis scientiaque litterarum nutrivit eum (2), » et "litteras apud quemdam clericum qui habitabat in villa in rure didicit. Saint Luan (3) obtient qu'un ange cende du ciel pour lui enseigner les lettres. Ozanam a

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(1) Vita S. Mochoemogi, apud Fleming.

(2) Vita S. Comgalli, ibid.

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(3) Vita S. Moluæ sive Luani, apud Fleming, Collectanea sacra.

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des

donc pu dire: « Ce peuple de pâtres, resté pendant tant de siècles hors du commerce intellectuel du monde, veut savoir tout ce qu'il a ignoré. Il se jette avec emportement dans toutes les études, qui commencent à devenir trop vastes pour les sociétés étrangères (1). "

Ce qu'il y a de plus surprenant dans cette grande avidité de s'instruire c'est qu'elle se porte sur le grec avec une sorte de prédilection. C'est le trait particulier de ces écoles d'Irlande de se faire helléniques autant qu'elles peuvent.

Rappelons-nous Pélage et son admirable facilité à s'exprimer dans la langue de Saint Jean Chrysostome; rappelons-nous Fauste, le Breton, abbé de Lérins, dont le savoir grèc ne peut être contesté. On ne peut nier que l'esprit celtique ne soit bien proche parent de l'esprit hellénique. La consanguinité des deux langues est reconnue ; c'est chez les deux peuples, issus d'une souche commune, la même simplicité d'esprit, la même facilité d'imagination, le même amour des fables, le même plaisir à former des contes et des légendes. Si les Irlandais n'ont pas été rebelles à l'influence latine, s'ils ont reçu de Rome leur foi et leurs dogmes, c'est par l'intermédiaire des Gallo-Romains, c'est par le monastère de Lérins qu'ils ont été formés. Ils ont gardé l'empreinte et l'amour de la littérature grecque. Ils en conserveront la connaissance alors qu'elle aura disparu même des contrées qui les avaient d'abord instruits, et c'est de leur pays qu'en jaillira la première étincelle au temps de Charlemagne.

Il serait faux de croire que l'instruction des Irlandais fût purement grecque. La langue latine domina toujours dans leurs études, mais derrière la littérature latine, comme dit Ozanam, ils apercevaient l'antiquité grecque « comme une région plus vaste et plus merveilleuse,

(1) Ibid. 473.

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où ils brûlaient de s'aventurer (4) ". Dans toutes les discussions théologiques ils citent, non-seulement les pères latins, Saint Cyprien, Saint Jérôme, Saint Augustin, mais aussi les écrits des pères grecs, les lettres de Saint Cyrille. Ce sont des dialecticiens habiles. Saint Fintan excellait dans le raisonnement: « Fintanus studiis dialecticalis sophias deditus (2). « Déjà ils ont devancé la scholastique en appliquant la subtilité de la logique à l'enseignement des dogmes chrétiens. Ils ne négligeaient pas pour cela la connaissance des sciences profanes. Ils étudiaient avec une ardeur étonnante les sept arts libéraux, «artes grammaticas atque geometricas bis ternas, omissa physica artis machina... siticulose sumentes carpunt (3). » Saint Columban avait donné autant d'attention à la grammaire, à la rhétorique, à la géométrie qu'à l'étude des saintes écritures: « Desudaverat in grammatica, rhetorica, geometrica, vel divinarum scripturarum serie (*).

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Le grec devait avoir sa part dans ces études, qui conduisaient naturellement à la connaissance du génie hellénique. Martianus Capella ne pouvait suffire à des esprits si altérés de science. « Peut-il être étonnant de trouver des grecs en Irlande, dit Ozanam, quand les longues navigations effrayaient si peu; quand l'Athénien Egidius venait chercher la solitude dans les Gaules, et le syrien Eusèbe acheter l'évêché de Paris; lorsqu'enfin il y avait à Orléans assez de marchands orientaux pour figurer en corps à l'entrée solennelle du roi Gontran, quand, au comté de Meath, il y avait à

(1) Ibid. p. 476.

(2) Vit. S. Columbani.

(3) Epistola Aldhelmi. Ozanam. Ibid. p. 476.

(4) Vita S. Columbani, auctore Jona Bobbiensi.-Citations faites par Ozanam. p. 476:

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