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richesse d'imagination, une sûreté de goût, qui témoignent encore aujourd'hui de la bonne éducation qu'il avait reçue avant d'être évêque et peut-être chrétien. Il avait des notions exactes sur tous les systèmes de la philosophie ancienne; et on le voit dans un de ses écrits emprunter une citation au plaidoyer de Cicéron pour Métellus (1).

Il a dans le style un éclat assez vif d'images. Il écrit par exemple à Saint Honorat, pour le remercier de lui avoir envoyé une lettre de l'île de Lérins, et faisant allusion aux tablettes dont on se servait encore, il dit : « Vous avez rendu à la cire tout son miel (*). » Cette phrase gracieuse ne suffirait pas à attester qu'Eucher eût fait des études grecques. Mais nous en avons des preuves plus certaines.

On sait que Saint Eucher fit grand usage dans l'explication des écritures du sens anagogique. On appelle ainsi une interprétation des livres saints en passant du sens naturel au sens mystique. Cet usage se rattache aux premiers temps de l'église. Saint Méliton et Saint Epiphane en ont laissé les plus anciens exemples dans leurs écrits.

On peut voir ce que nous disons plus loin de ces interprètes dans notre étude sur les Physiologus ou Histoires naturelles moralisées.

On supposait que Saint Eucher avait suivi Mẻliton dans les explications qu'il a données de certains livres de la Bible. En effet, Eucher, pour répondre à ce goût d'interprétation anagogique qui se répandait chaque jour davantage dans l'église et surtout dans celle de la Gaule méridionale, entreprit de faire un abrégé clair et pratique des formules Mélitoniennes, en même temps qu'un auteur

(1) Lérins au cinquième siècle, par l'abbé Le Goux. p. 64. (2) S. Hilaire. Serm. de Vit. S. Honorat, ch. IV, § 22.

Lérins. p. 166.

grec, nommé Adrianus, connu.seulement par un mot de Cassiodore, exécutait une semblable rédaction à l'usage des Grecs. Or, Dom Pitra, après de laborieuses recherches, a découvert (1) l'ensemble des explications rédigées par Saint Méliton. «Il suffit, dit l'abbé Le Goux, de jeter un coup d'oeil sur le livre des Formules de l'intelligence spirituelle, pour se convaincre que Saint Eucher a religieusement suivi la pensée et le plan même de son devancier. Il a seulement réduit.... ce qui était plus développé dans Saint Méliton (2).

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On lit dans le même auteur: « On ne sait pas s'il faut lui attribuer un commentaire sur la Genèse, et un autre sur le Livre des Rois. Le style de ces ouvrages n'est pas indigne de lui, et le fond prouve une grande connaissance des langues hébraïque et grecque, connaissance que la lecture des Instructions à Salone révèle chez Saint Eucher (3). »

Claudien Mamert, frère de Saint Mamert, évêque de Vienne, nous apprend que Saint Eucher tenait souvent à Lyon, des conférences, dans lesquelles il donnait toujours des preuves de sa science et de son zèle.

Claudien Mamert était un juge excellent du savoir de Saint Eucher. Il avait été moine dans sa jeunesse, et avait étudié tous les bons auteurs grecs et latins (*). Il

(1) Spicil. Solesmense. t. II. proleg. p. 23.

(2) Lérins au cinquième siècle. p. 166.

(3) Ibid. p. 169.

(1) Sidoine Apollinaire dit de lui, liv. IV, lettre 11 :

<< Sous ce gazon repose Claudien, l'orgueil et la douleur de son frère Mamert. honoré comme une pierre précieuse de tous les évêques. En ce maître brilla une triple science, celle de Rome, celle d'Athènes et celle du Christ. »

Germani decus et dolor Mamerti,

Mirantum unica gemma Episcoporum,
Hoc dat cespite membra Claudianus.
Triplex bibliotheca quo magistro
Romana, Attica, Christiana fulsit...
Orator, dialecticus, poeta,

Tractator, geometra, musicusque,
Doctus solvere vincla quæstionum...

était géomètre, poète, orateur, dialecticien, interprète de l'écriture sainte, exercé à résoudre toutes les erreurs. Il soulageait son frère dans ses fonctions, et travaillait infatigablement. Il écrivit un traité de la nature de l'âme; Sidoine Apollinaire, à qui il l'avait envoyé, l'en remercie par une lettre, où il le compare aux meilleurs auteurs ecclésiastiques (1). Il a donc le droit de figurer dans ce groupe d'hommes éclairés, dont la Gaule s'honore au cinquième siècle, et que l'hellénisme a contribué à former (*).

L'historien de la Civilisation en France, a rendu, en termes très-vifs, hommage au mouvement intellectuel dont la Gaule, fut le théâtre au quatrième et au cin

(1) Sid. Apoll. epist. lib. V, liv. 2. «Librum de statu animæ tribus voluminibus illustrem Mamertus Claudianus peritissimus Christianorum philosophus, et quorumlibet primus eruditorum, totis sectatæ philosophiæ membris, artibus, partibusque comere et excolere curavit, novem, quas vocant Musas, disciplinas aperiens esse, non fæminas. » Parisiis, MDXCIX. (2) Bibl. Patrum. t. IV, p. 698.-De Mamertini Claudiani scriptis et philosophia dissertatio. A. C. Germain. Paris, 1840. ·Sidon. Apoll. epist. IV, c. 11. Ignobilium autem philosophorum plebe rejecta, Claudianus potiores quosque deligit, qui veritatem tueantur... ex his ergo quos contra veritatem vocat vocem veritatis oportet accipiat et genuinæ primum Græciæ classicum, multisonam pythagoreorum tubam et lituum Platonis. Pythagoræ igitur, quia nihil ipse scripserit, apud discipulos quærenda sententia est. In quibus vel potissimum floruisse Philolaum reperit, qui, multis voluminibus de intelligendis rebus, et quid quæque significent oppido obscure disserit, ac priusquam de animæ substantia decernat, de mensuris, etc... A. C. Germain, 53..... Claudianus ad Philolaum tandem redit, cujus insignem tunc περί ῥυθμῶν καὶ μέτρων, librum incorporalitatis auctorem invocat. Duorum præterea Phytagoricorum simul et Tarentinorum, Archytæ et Eumenis, testimonium profert, certus scilicet neminem contradicturum, si quis hoc idem sensisse scriptisque tradidisse Archippum, Epaminondam, Aristeum, Gorgiadem, Diodorum, et omnes Pythagoræ discipulos affirmaverit. Tum Platonem adducit in medium... Phædrum igitur et Phædonem testes vocat, quid idem Plato in Hipparcho, quid in Lachete, in Protagora, in Symposio, in Alcibiade, in Gorgia, in Critone, in Timæo de anima pronuntiaverit, brevitatis gratia missum faciens. Cujus insuper philosophorum omnium principis auctoritatem platonici Porphyrii auctoritate confirmat, qui multis post Platonem sæculis, a Magistro nusquam in eadem causa dissentit. Ibid. p. 58. A. C. Germain. Platonicus... non autem, ut innuit Jacob.

Bruckerus, peripateticus dici potest Claudianus, nisi forte de philosophandi modo tantum intelligatur. Argumentorum scilicet substantiam ex Platone, formam ex Aristotele depromit. Neque enim Aristotelem minus quam Platonem Callet, ut pote qui Aristotelis categorias æque ac Platonis dialogos in medium proferat. Ibid.

quième siècle ('). Si notre patrie a conservé une vie si animée dans la Lyonnaise, la Viennoise, la Narbonnaise et l'Aquitaine, il n'hésite pas à en attribuer la cause à l'influence prolongée de la philosophie grecque dans ces provinces. Si l'Espagne, l'Italie, sont à cette époque beaucoup moins actives que la Gaule, beaucoup moins riches en études et en écrivains, c'est que, depuis un siècle déjà, les études helléniques ont cessé d'y être cultivées. Parmi les Gaulois, au contraire, elles se conservent dans différents foyers à la fois. On trouve chez eux des philosophes de toutes les écoles grecques, « tel est mentionné comme Pythagoricien, tel autre comme Platonicien, tel comme Epicurien, tel comme Stoïcien.» Tout atteste en un mot, ajoute M. Guizot, que sous le point de vue philosophique comme sous le point de vue religieux, la Gaule, était à cette époque, en Occident du moins, la portion la plus animée, la plus vivante de l'Empire. Tant il est dans le génie de la Grèce de communiquer à tout le mouvement et la vie!

Fauste fut moine d'abord, abbé ensuite (433) du couvent de Lérins. Il en sortit. plus tard pour monter sur le siége épiscopal de la ville de Riez, dans les Basses-Alpes (462). Son pays originaire était la Bretagne. Comme Pélage, il était venu de ces écoles d'Irlande où la raison conservait une grande liberté. On peut croire, et l'on sait même que, comme Pélage, il était versé dans la connaissance du grec et de la philosophie antique. Il connaissait Platon, il ne l'avait pas oublié en entrant à Lérins (*). Même, il y continua ses études, pour se mettre mieux au courant des diverses écoles, afin de réfuter plus sûrement l'erreur. On le voit adresser une lettre à Græcus, diacre de Marseille, pour le détourner de l'hérésie

(1) T. I. p. 176.

(2) L'abbé Le Goux. Ibid. p. 57.

de Nestorius (1). Ses études l'inclinèrent lui-même à suivre des sentiments contraires à ceux de Saint Augustin. Nous avons dit plus haut comment, dans la grande question de la grâce, les pères de l'église grecque se séparaient de ceux de l'église latine. Nous trouvons une preuve de l'hellénisme de Fauste, dans la faveur avec laquelle il accepte une part des erreurs de Pélage. Il n'est pas sûr qu'il ait porté ce goût jusqu'à donner dans Lérins même, un asile à Julien d'Eclane condamné, mais on l'en a accusé (2). On a lieu de s'étonner qu'un disciple de Platon comme lui ait conçu la singulière opinion que l'âme est matérielle (3). C'est contre lui que Mamert Claudien écrivit son traité de Natura animæ, dans lequel il fait un si large usage des philosophes grecs. Il invoque leur autorité contre Fauste (*).

Quelles qu'aient été les erreurs de cet esprit actif, indépendant, « un peu brouillon » dit M. Guizot, nous ne devons pas oublier qu'il institua à Lérins une grande école, où il recevait les enfants des parents riches, et les faisait élever, leur enseignant les sciences du temps. Nul doute que le grec n'eût sa place dans ces études dirigées par un homme de grand esprit et d'intelligence ardente. Nul doute aussi qu'il n'ait ainsi contribué à maintenir dans les rangs de la société élevée l'usage d'étudier les philosophes et les poètes de l'antiquité, tandis que le peuple conservait en quelques endroits, dans Arles par exemple, la coutume de s'exprimer en

grec.

Si l'orthodoxie du couvent de Lérins avait besoin d'être défendue contre les accusations de semi-pélagia

(1) lbid. p. 176.

(2) Lérins au cinquième siècle, p. 177.

(3) Voir le traité de Natura animæ de Mamert, publié avec des notes d'André Schott et de Gaspard Barth, à Zuichawen, 1655.

(4) Guizot. t. I. p. 183.

Voir dans Sidoine Apollinaire, p. 441, édit. de Bâle, un remerciement, Eucharisticon, à Faustus.

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