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le peigne vieux, cela n'est pas étonnant; l'éloquence seule peut déployer dans la vieillesse sa perfection. Vos poètes n'ont-ils pas dit: " L'esprit du jeune homme est flottant," et encore : « Le vieillard parle mieux que le jeune homme. » Chez vous aussi, le miel découle de la langue de Nestor (1). » Faisons la part de la fiction, il reste encore l'expression d'une assez haute estime de l'esprit gaulois et des lumières dont il était capable.

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Fronton n'en pensait pas plus mal. Nul, mieux que lui, ne savait peser la valeur de ses éloges. Instruit à parler et à écrire la langue de l'Italie, aussi bien que celle de la Grèce, « il décernait le titre d'Athènes des Gaules à la capitale des Rémois, c'est-à-dire à Durocortorum, dont le rude nom ne rappelle que trop l'ancienne barbarie gauloise. N'est-il pas probable que cette gracieuse flatterie s'adresse à une ville qui renfermait des écoles grecques? (2) »

le

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Favorinus était d'Arles. Il vivait entre le milieu et la fin du premier siècle de l'église. Philostrate (3) nous a raconté sa vie. Il nous le donne pour très-habile dans grec. Il visita l'Asie, Athènes, Ephèse, et finit par se fixer à Rome. Il se fit partout admirer, et passa pour le plus célèbre sophiste de son temps. On lui éleva une statue dans Athènes. Il s'étonnait de trois choses, dont nous ne rapporterons que la première; c'est qu'étant gaulois, il se servait de la langue grecque. A Rome, il excita un empressement extraordinaire pour venir l'entendre. Ceux-mêmes qui n'avaient aucune connaissance

(') Ταῦτ ̓ ἐγὼ μὲν ἐπὶ πολὺ ἑιστήκειν ὁρῶν καὶ θαυμάζων καὶ ἀπορῶν καὶ ἀγανακτῶν· — Κελτὸς δέ τις παρεστὼς οὐκ ἀπαίδευτος τὰ ἡμέτερα, ὡς ἔδειξεν, ἀκριβῶς Ἑλλάδα φωνὴν ἀφιεὶς, φιλόσοφος, οἶμαι, τὰ ἐπιχώρια · κ Ἐγώ σοι, ἔφη, ὦ ξένε, λύσω τῆς γραφῆς τὸ αἴνιγμα · πάνω γὰρ ταραττομένῳ ἔοικας πρὸς αὐτήν.... Η

(3) Egger. Ibid. 36.

3) Soph, vit. I, p. 496.

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de la langue grecque ne laissaient pas d'assister à ses leçons et à ses discours. Ils y étaient attirés par l'harmonie de sa voix et le langage de ses yeux, qui savaient à leur manière animer ce qu'il exprimait ('). Nous avons sur lui le témoignage d'un auditeur qui rapporte un fragment de l'un de ses discours et ajoute: Hæc Favorinum dicentem audivi Græca oratione (2).

Il n'y avait, dit Philostrate, que Plutarque qui lui fût comparable par le grand nombre d'écrits qu'il donnait au public. S'il faut en croire les auteurs de l'Histoire littéraire de la France (3), Phrynicus Arabius, qui fleurissait sous Commode, disait de lui : « vǹp λóyou atos, c'est un homme fait pour l'éloquence et qui éclipse tous les Grecs. Nous avons le titre de quelques-uns de ses écrits : Παντοδαπη Ιστοριά. Απομνημονεύματα. Περὶ τῆς ̓Ακαδημικής διαθέσεως.— Περὶ Πυρρωνικών τρόπων. Περὶ ἰδεῶν, περὶ ἐυχῆς (4).

X.

Le IIIe siècle est rempli dans les Gaules par la littérature païenne, et l'on y trouve les traces les moins. contestables d'une culture hellénique.Eumène, à Autun, continue la tradition grecque, quoiqu'il n'ait écrit qu'en latin; on trouve auprès de lui des hommes venus d'Athènes. Trèves conserve encore ses chaires de grec; mais, au milieu du IVe siècle, un rescrit de Valentinien II et de Gratien fixent les honoraires des professeurs de littérature latine et de littérature grecque dans des termes tels qu'il semblait alors difficile de trouver des professeurs de grec...«Item Viginti (annonæ) Gram

(1) Histoire litt. t. I, p. 265-268.

(2) Aul. Gel. Noct. Attic. XIII.

(3) T. I, p. 270.

(4) Philostrate cité par les auteurs de l'Hist. litt. de la France.

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matico latino, græco etiam, si quis reperiri potuerit, duodecim præbeantur annonæ (1).» Outre cette restriction significative si quis reperiri potuerit, on remarquera l'infériorité des appointements accordés au professeur de grec. Il est vrai que Trèves, au nord de la Gaule, était, plus que toute autre cité, exposée aux dévastations des barbares. Une inscription antique de Trèves est l'épitaphe d'un certain Epictetus, ou Hedonius qui s'intitule lui-même, grammairien grec (3).

Bordeaux comptait dans ses chaires quelques grecs, tels que Sperchée, Ménestrée, un ancien prêtre de Bélen, Phæbitius et son fils Patère.

Arles entendit l'oraison funèbre de Constantin le jeune, mort en 340, écrite en grec. Elle portait le titre de Monodie. Il faut bien croire que le grec avait encore dans ces pays de nombreux adhérents.

On peut suivre dans Ausone (309-394), mieux que chez aucun autre, l'influence de l'hellénisme sur un professeur illustre. Précepteur de Gratien, comte de l'Empire, questeur, préfet et consul en 379, il dut toutes ces dignités à son esprit et à son talent. Il ne nous appartient pas de redire ici tout ce qu'on a déjà écrit sur la frivolité de ses écrits; nous ne voulons y voir que les traces d'une éducation soignée, où les souvenirs et les connaissances helléniques servent à caractériser l'état des études grecques. On ne peut nier qu'Ausone ne se fasse grand honneur de ses connaissances en grec. Il a un intendant grec nommé Philon. Voici ce qu'il en dit à l'un de ses amis: « Philon a été mon fermier, ou, comme il dit lui-même, mon iníτρоños: le mot lui semble plus relevé et sent mieux son dorien. »

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Indécis lui-même entre la muse grecque et la muse latine, il prend le parti bizarre d'adresser en même

(1) Cod. Theod. XIII, 3; de medicis et professoribus.

(2) Egger. t. I, p. 39.-Corp. inscript. Rhenanarum, ed. Brambuch. no 801.

temps à l'une et à l'autre de grotesques hommages. Il écrit à Axius: « Partagé entre les deux muses grecque et latine, Ausone salue Axius par un badinage en deux langues :

Ἑλλαδικῆς μετέχων Μούσης, Latiæque Camænæ

Αξίω Αυσόνιος Sermone alludo bilingui.»

Il continue sur ce ton. Jusque là ce sont les vers que se partagent les deux muses; elles finissent par se disputer le même mot, et l'on voit dans cet étrange exemple de macaronisme Ausone se plaindre de plaider ou d'enseigner la rhétorique dans des chaires ingrates:

Ἔντε Ιορῳ causαιςτε, καὶ ingratαίσι καθέδραις.

Pour désigner les jeux ridiculement laborieux auxquels il consacre ses loisirs, il est obligé d'inventer un mot nouveau.SonTechnopægnion, composé de réx vŋ et de ñzíyviov, est un badinage sans valeur sur les monosyllabes. On peut toutefois excepter de ce blâme celui qui porte ce titre De litteris monosyllabis græcis ac latinis. Dans cette comparaison de l'alphabet grec avec l'alphabet latin au moins peut-on recueillir un ou deux détails qui intéressent le lecteur. Ainsi ces deux vers:

Hta quod Æolidum, quodque & valet hoc latiale E Præsto, quod E Latium semper breve, Dorica vox E. prouvent qu'au temps d'Ausone, l'H n'avait pas encore le son de l'I qu'on lui donne dans la prononciation moderne. C'est un argument que peuvent faire valoir à l'appui de leur opinion, ceux qui condamnent la confusion de l'H avec l'I. L'on ne voit pas que M. Egger ait pensé à s'en servir dans son appendice à sa VIIe leçon sur la prononciation du grec. Recommandons de même à l'attention des philologues ce vers-ci sur le B, il tranche aussi une question en suspens:

Dividuum Betæ monosyllabon Italicum B.

Le B italien ne se confondait pas avec le V, puisque les latins avaient imaginé cette consonne inconnue, dit l'auteur, aux descendants de Cécrops:

Cecropiis ignota notis, ferale sonans V (').

Les passages que nous venons de citer rendent donc inutile, au moins pour le temps d'Ausone, toute discussion sur la valeur du B et de l'H grecs, ils se prononçaient comme notre B et notre E.

En d'autres écrits, Ausone nous a conservé quelques détails curieux. Dans le Protrepticon de studio puerili, c'est-à-dire dans un plan d'études destiné à son petitfils, il recommande de faire lire à cet enfant Homère et Ménandre parmi les grecs, Térence, Cicéron, Horace et Virgile parmi les latins (2).

Quelques-uns de ses écrits sont des imitations de Pythagore, tel que le oui et le non; d'autres, des sommaires de chaque livre de l'Iliade et de l'Odyssée.

C'est dans la Commémoration des professeurs de Bordeaux, qu'il nous a laissé les souvenirs les plus intéressants pour la connaissance des études grecques en son temps. On sait qu'il a consacré, dans des vers de différentes natures, l'expression de sa reconnaissance pour les maîtres de sa jeunesse, pour ses collègues et ses amis, que la mort avait enlevés à l'enseignement. Cette liste, beaucoup trop courte, se recommande surtout par la mention qu'Ausone y fait de plusieurs professeurs de grec. Notons d'abord le professeur de latin Alcimus Alethius, qui unissait la science des deux lan

(1) Voir là-dessus la dissertation de M. Egger, sur la prononciation du grec. t. I. p. 462. On a souvent cité aussi le vers suivant d'une comédie de Cratinus, conservé par Eustathe, d'après le grammairien Ælius Dionysius: ὁ δ ̓ ἡλίθιος, ὥσπερ πρόβατον, βῆ, βῆ, λέγων βαδίζει.

(Et le niais s'avance en disant bê, bê, comme une brebis.)

(3) Hist. litt. de la France. t. II, p. 299.

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