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monnaies marseillaises, tous ces détails diligemment recueillis et habilement commentés par le savant helléniste, ne permettent pas de douter que, dans les temps rapprochés de l'ère chrétienne, Marseille ne possédât une littérature fort riche, où le grec avait une large place à côté du latin.

Il est à regretter que cette littérature grecque ait péri tout entière sans laisser de traces apprécia bles. Il est certain pourtant qu'elle s'était répandue, non-seulement dans les cités les plus voisines, filles de Marseille, Nîmes, Aix, Saint-Remi, Orange et Arles; mais encore elle avait pénétré à l'ouest, jusqu'à Bordeaux, au nord, jusque dans Trèves, où de'florissantes écoles en conservèrent longtemps la tradition et l'enseignement. Autun (') était également célèbre par ses écoles; la capitale des Arvernes, aujourd'hui Clermont-Ferrand, entretenait des artistes grecs et les payait généreusement, tel était Zénodore, qui fit pour elle la statue colossale de Mercure, au temps de Néron. Des fouilles récentes, entreprises sur le Puy-de-Dôme ont mis hors de doute les assertions de Pline l'ancien sur cette merveille de l'art païen transportée dans là plus hérissée de toutes nos provinces. Faut-il s'étonner après cela qu'à Avenche, sur le territoire de la Suisse, les écrivains de l'Histoire littéraire de la France, aient trouvé la mention d'un Claudius, qui a traduit de grec en latin les Annales romaines de Caïus Acillius (2).

(1) On l'appelait la Rome Celtique :

Celtica Roma dein voluit cæpitque vocari.

(Vit. Germani, authore Herrico. Spicileg. D'Achery.) Les écoles de cette ville s'élevaient entre le temple d'Apollon et le Capitole. Sur les murs, on avait peint des cartes géographiques. Tacite en parle en ces termes : « Nobilissimam Galliarum sobolem liberalibus studiis ibi operatam. » Ann. liv. III, ch. 43. Eumène, qui y prononça en 296 le panégyrique de Constance-Chlore, accepta une somme de 25,000 francs comme appoin. tements; puis il demanda la permission de les appliquer à la restauration des écoles de cette ville. · Ampère. t. I, p. 200,

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(2) Histoire littéraire de la France. t. I, p. 132, 134, 135, 138.

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Au IIe siècle après Jésus-Christ, disent les mêmes historiens, Dieu se servit du ministère des Grecs pour communiquer à notre pays les premières lueurs de l'évangile, comme il s'en était servi pour y introduire les maximes et les coutumes de la Grèce païenne (1). " Saint Pothin et Saint Irénée vinrent, en effet, s'établir à Lyon. « Ils ne s'y trouvèrent pas tout-à-fait étrangers. On y parlait assez communément leur langue, qui était la grecque. » Cette langue y était en usage depuis longtemps, le commerce continuel de Lyon avec Marseille, les jeux publics et les combats littéraires qui se donnaient à Lyon en grec et en latin depuis l'empereur Caligula en sont une preuve suffisante. Saint Pothin, Saint Irénée et les autres Grecs qui vinrent à Lyon prêcher l'évangile se servirent de leur langue. Ce n'est pas que le grec fût le seul idiome dont on se servît dans ces pays, mais il était la langue ordinaire du plus grand nombre des colons que l'esprit du commerce avait fixés dans ce groupe de cités, telles que Marseille, Lyon, Arles, Narbonne, etc. Irénée ne se contentait pas de prêcher en grec, il écrivait dans cette langue tout ce qui était destiné, soit aux églises de Lyon et de Vienne, soit au pape. C'était aussi dans cette langue qu'il combattait les erreurs. On a de lui un écrit contre les hérésies, il était fait pour préserver de l'imposture des faux chrétiens jusqu'aux femmes que les hérétiques avaient séduites sur les bords du Rhône (2).

Dans la grande persécution ordonnée ou tolérée par Marc-Aurèle, les chrétiens de Lyon subirent courageusement le martyre. Saint Pothin, Attale, Ponticus, Maturus, Sanctus, Blandine et Perpétue reçurent la mort ensemble dans l'arène. Leurs frères s'empressérent d'écrire aux églises d'Asie et de Phrygie le récit

(1) Hist. litt. de la France. t. 1. Ibid. 224.

(2) Irénée. 1. I, ch. 13, n° 7. - Hist. litt. de la France. t. I, p. 228 et suiv.

de leurs souffrances. Cette lettre, qui nous a été transmise par Eusèbe, est l'un des monuments les plus prẻcieux de cette époque. M. Egger dit de cette relation : « On a de graves raisons de croire que le récit du martyre des premiers chrétiens lyonnais, conservé sous forme épistolaire dans l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, était primitivement écrit en grec (1).»

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Il faut sans doute mettre au nombre de ces raisons la tournure grecque des noms de plusieurs martyrs, Pothin, Пoletvós, (Désiré), l'origine incontestable de ces premiers apôtres, et le soin qu'on prend d'avertir le lecteur quand les martyrs se servent de la langue latine. Ainsi, il est dit que le diacre Sanctus répondit en latin à toutes les questions qu'on lui faisait sur son nom, sa nation, sa ville, sa condition: «Je suis chrétien.» Ainsi, Attale de Pergame, que le gouverneur se crut obligé d'épargner jusqu'au retour d'une lettre de l'empereur, parce qu'il était citoyen romain, fut promené dans l'amphithéâtre avec un écriteau devant lui où était en latin : « C'est le chrétien Attale (2). "

Ampère n'hésite pas à dire « La lettre des martyrs de Lyon est écrite en grec. » Et il ajoute : « Il est quelques passages où, à la grâce de certains détails, on reconnaît qu'une main grecque tenait la plume. Dans la description de cette effroyable boucherie, on rencontre une phrase comme celle-ci : « Les martyrs offraient à Dieu une couronne nuancée de différentes couleurs, et où toutes sortes de fleurs brillaient assorties (3). »

Saint Irénée était fort instruit dans la littérature de l'antiquité. Il cite Homère, Hésiode, et fait allusion à la fable de Pandore; il cite Pindare; il affirme que ce poète a dit très-sagement; il compare ceux qui sont coupa

(1) L'Hellénisme en France. t. I, p. 37.

(1) Eusèbe. Histoire ecclés. liv. V, ch. 2, p. 130.

(3) T. I, p. 166.

bles d'un aveuglement volontaire à l'Edipe tragique s'aveuglant lui-même (1). Ainsi, l'on peut bien dire avec M. Egger (2), que le christianisme fut, pour nos ancêtres, une occasion nouvelle de cultiver les lettres grecques. Le saint évêque n'est pas tout-à-fait dépourvu des préoccupations littéraires, il s'excuse sur son style; il dit que, s'il n'écrit pas assez purement, il faut s'en prendre à la résidence qu'il faisait au milieu des Gaulois avec lesquels il était obligé de parler un langage barbare (3).

Il serait faux de dire que tout le peuple de ces contrées parlât le grec. Il y a grande apparence qu'il conservait l'usage de son idiome national, qu'il parlait plus communément le latin, et le grec concurremment dans certaines contrées. Ces deux dernières langues surtout devaient se trouver souvent mêlées ensemble, comme on les voit unies dans une inscription trouvée à Ainay, qui constate en deux langues la prospérité d'un grec de Syrie qui avait de riches entrepôts en Aquitaine et à Lyon et qui est mort dans cette dernière ville (). Curieux rapprochement, dit M. Egger, qui atteste dans l'ancien monde, un esprit d'active sociabilité (5).

La prédication chrétienne, les offices divins, la discussion des affaires ecclésiastiques, maintenaient donc autour de Marseille, dans toute la vallée du Rhône (†), l'usage de la langue grecque, au milieu de populations qui parlaient des langues différentes. Un hérétique, comme Marc, natif d'Egypte, disciple de Valentin, chef

(1) Ibid. 167.

(2) Ibid. 37.

(3) Histoire littéraire de la France. t. I, p. 230.

(4) Cette inscription a été publiée par M. Almer, dans les Mémoires de la Société impériale des Antiquaires. t. XXVII.

(5) T. I. p. 37.

(6) Une inscription grecque, de onze vers, récemment découverte à Autun, expose, ou tout au moins mentionne assez clairement le sacrement principal de l'église chrétienne. Egger. Ibid. p. 37.

de l'hérésie des Valentiniens, trouvait dans ces contrées des oreilles toutes prêtes à recevoir ses enseignements qu'il prodiguait dans la langue de Saint Irénée (1).

En dehors de l'église et de son action, l'hellénisme des écoles était toujours florissant. Dans toutes celles de la Gaule, il n'y avait pas d'études sans la connaissance du grec. Il y avait en chacune d'elles quelque homme profondément versé dans les lettres helléniques, et quelquefois c'était un professeur issu de parents grecs ou venu directement de la Grèce. Le grand père d'Eumène était né dans Athènes ; il avait passé à Rome pour y enseigner la rhétorique, et il était venu à Autun pour y continuer les leçons de cette science (*). Les grands maîtres d'éloquence que les Gaules produisirent au troisième siècle, les deux Mamertius, Nazaire, Arbore, Patère, Minerve, Alcime, Delphide, Drépane, n'étaient autre chose que des disciples des grecs. N'oublions pas que Lucien, dans un voyage en Gaule, rassemblait autour de lui des auditeurs avides d'entendre sa parole spirituelle; il ne s'en étonnait pas dans un pays où les habitants avaient symbolisé, sous la figure d'Hercules Ogmius, l'éloquence et sa force. « Pendant longtemps, dit le rhéteur grec, je regardai cette image avec un mélange de surprise, de doute et d'indignation. Alors, un Gaulois qui se trouvait là m'adressa la parole « il n'était pas étranger à notre littérature, comme je le vis, il parlait bien la langue grecque : c'était un philosophe, je crois, dans le genre du pays. pays. Lucien ne croyait pas blesser la vraisemblance en prêtant à son philosophe les paroles que voici : « L'éloquence, pour nous autres Gaulois, n'est pas, comme chez vous, l'attribut de Mercure : pour nous, Hercule la représente, parce qu'il est beaucoup plus fort que Mercure. » Qu'on

(1) Histoire litt. t. I. p. 242. (3) Histoire litt. Ibid. p. 243.

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