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Grégoire caracterise si bien « φυσῶντες ἡμῖν ἑσπέριόν τι καὶ Tрaxú. » La Grèce n'a pu vaincre tout à fait le vieil esprit τραχύ. gaulois ('). Eternelle opposition que l'on verra toujours reparaître jusqu'en Bossuet, jusqu'en Fénelon (2).

Saint Ambroise, qui avait l'âme tendre et forte, avait aussi l'imagination vive, et par là n'en était que plus facilement accessible à l'influence de la Grèce. Il s'y abandonna jusqu'à n'en pas éviter tous les périls. Lecteur assidu d'Origène, il lui emprunta l'usage des allégories si chères à l'Orient et si dangereuses pour l'intégrité du dogme. Saint Jérôme lui reproche en effet l'abus des interprétations morales ou anagogiques, qu'il blåmait chez Origène.

Parle-t-il du paradis terrestre, il ne fait que copier Origène : « Le paradis terrestre est donc une terre fertile, c'est-à-dire l'âme féconde plantée dans Eden, ou la volupté. Adam, c'est l'intelligence, Eve est la sensation et la fontaine qui arrosait le paradis terrestre, qu'est-ce autre chose que Jésus-Christ? (3)»

Dans un autre discours qui a pour titre : Cain et Abel, fidèle au même système, dit Ampère, non-seulement il marche sur les pas d'Origène et de Saint Basile, mais il va plus loin, il remonte à un homme dont le christianisme est plus que douteux, que le judaïsme et le platonisme peuvent se disputer: il remonte à Philon. Philon, qui a prêté des idées aux gnostiques, a fourni aussi des interprétations allégoriques à plusieurs Pères chrétiens, et divers ouvrages de Saint Ambroise, sont calqués en grande partie sur des ouvrages de Philon (1).

(1) On comprend que Cassiodore, au VIe siècle, ait dit de Saint Ambroise: < Cum gravitate acutus, perviolenta persuasione dulcissimus. Il est incisif avec gravité, sa persuation est douce et violente. >>

(2) Ampère. ibid. p. 406.

(3) Ambroise. Op. t. I, p. 149.

(4) Ampère. ibid. t. I, p. 384.

Jusque dans l'Hexaéméron de Saint Ambroise, on retrouve l'influence de Philon, car Saint Basile l'avait imité dans la composition de son ouvrage. Saint Grégoire de Nysse avait également fait un Hexaéméron.

C'est un grand et mémorable exemple de l'influence grecque Saint Ambroise méritait bien l'hommage que lui rendirent les Grecs à leur tour : ils ont écrit dans leur langue une biographie de l'illustre évêque. Elle a été publiée par les Bénédictins dans l'édition qu'ils ont donnée de ses ouvrages (1).

VII.

Il semblerait au premier abord que Saint Augustin eût participé plus que personne à l'hellénisme, et que nous dussions trouver en lui un studieux adepte de leur science. En effet, qui a paru plus imprégné que lui de la philosophie de Platon? Qui fait un plus grand cas de cette sagesse profane? Qui porte plus haut l'autorité de cette voix païenne, pour assurer davantage celle des dogmes chrétiens? Saint Augustin, docteur de l'église, voudrait qu'il y eût des jours marqués et des lieux publics, pour y lire, comme dans un sanctuaire, les écrits du disciple de Socrate. Cet enthousiasme donnerait lieu de croire que l'éloquent père de l'église a vu, face à face, la splendeur du verbe de Platon, qu'il l'a considérée sans intermédiaire, sans nuage. Lorsqu'il parle de la philosophie grecque, il se prévaut de ses fautes ou de ses erreurs avec tant de fierté, qu'on pourrait le croire maître absolu de l'idiome qui en donne la clef, en explique les principes. Cependant, quand on considère qu'il fait de Platon un disciple de Jérémie, on commence à douter, et l'on comprend que, parmi ceux qui ont étudié Saint Augustin, il se soit élevé cette question : Saint Augustin savait-il le grec?

Les Bénédictins l'y croyaient assez versé pour écrire :

(1) Ampère. t. I, p. 378.

« Augustinum haud ita mediocriter Græce scivisse (1). » Bossuet, sans croire, comme il dit lui-même, que Saint Augustin fût un grand grec, ne pensait pas se hasarder trop en affirmant qu'il savait le grec. C'était une erreur. Un des derniers écrivains qui se soit occupé des sources d'où Saint Augustin pouvait avoir tiré sa philosophie, M. Nourrisson, reconnaît que ce docteur, tout en empruntant beaucoup à Platon, à la Grèce, à l'Orient, n'a jamais été en communication directe avec les philosophes dont il fait un si bon usage. Il ne fait aucune difficulté d'avouer que Saint Augustin n'a lu que des traductions de Platon (2). Cicéron, Apulée et Victorin lui en ont exposé la doctrine; il n'a lu que des parties de quelques dialogues; le Timée est peut-être la seule composition qu'il ait lue d'un bout à l'autre (3).

Né à Tagaste, en Afrique, dans une contrée où l'éducation était toute romaine, il donna peu d'attention au grec. Il n'éprouva jamais de goût bien vif pour ce genre d'instruction, nous avons là-dessus ses propres aveux. Il déclare qu'Homère, dans son enfance, ne lui a jamais fait éprouver que des ennuis. Il dit formellement qu'il détestait la grammaire grecque. Le passage mérite d'être cité: « Cur ego græcam etiam grammaticam oderam talia cantantem? Nam et Homerus, peritus texere tales fabulas, et dulcissime vanus est, et mihi tamen amarus erat puero. Credo etiam græcis pueris Virgilius ita sit, cum eum sic discere coguntur ut ego illum. Videlicet difficultas omnino ediscendæ peregrinæ linguæ, quasi felle aspergebat omnes suavitates græcas fabulosarum narrationum (*).

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(') Vit. Sancti Aurelii Augustini. lib. 1, chap. 11, 5; Oper. omn. t. I, p. 69. (2) II lisait entre autres traductions, celle de Victorin, professeur de rhétorique à Rome. Aug. confess. VII, 9; V1I1, 2 et passim. Petil. II, 18.Trin, II, præfat.

(3) La Philosophie de Saint Augustin, par M. Nourrisson, ouvrage couronné par l'Académie française, 2 vol. t. 1, p. 105.

(4) Confess. lib. I, c. XIII et c. XIV.

. N'est-il pas surprenant qu'on ait pu conserver encore quelque doute sur ce point, et que des biographes trop bienveillants aient pu dire : « Il fit de grands progrès dans l'étude du grec et du latin... (') »

"

Erasme paraissait croire que Saint Augustin revint au grec dans sa vieillesse. L'abrégé que nous venons de citer nous dit aussi qu'il avait étudié le grec depuis son épiscopat, afin de mieux entendre le Nouveau Testament (2). Mais Tillemont, dans les Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique des six premiers siècles (3), affirme que Saint Augustin ne lut Eusèbe que dans la traduction latine de Rufin. On le voit d'ailleurs assez embarrassé dans sa lutte contre les Pélagiens, quand ils allèguent les pères grecs en leur faveur. Sans aborder directement la discussion des textes mis en avant, le docteur de l'église latine, fait observer à son adversaire Julien « qu'il n'a pas raison d'en appeler aux évêques d'Orient, parce qu'ils étaient aussi eux-mêmes chrétiens, et que l'une et l'autre partie de la terre n'avait qu'une même foi. » Julien rapportait des passages de Saint Chrysostôme et des autres pères grecs, mais Saint Augustin, en avouant que ces textes auraient pu être plus clairs, disait que ces saints docteurs parlaient sans garder toutes les précautions qu'ils auraient gardées s'ils eussent eu connaissance des disputes des Pélagiens « vobis nondum litigantibus, securius loquebantur. Les pères grecs étaient environnés d'hérétiques qui niaient le libre arbitre, et ils ne pensaient pas qu'il dût s'élever après leur mort une hérésie qui, sous prétexte de soutenir la liberté de l'homme, détruirait la grâce de Jésus-Christ et renverserait le premier article du symbole. Cependant, ajoute Saint Augustin, ces saints doc

(1) Abrégé de l'Hist. ecclés. t. II. p. 247. Utrecht, 1748.

(2) T. II. p. 308.

(3) T. XIII. Vie de Saint Augustin, p. 142.

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teurs montraient assez combien ils croyaient la grâce nécessaire, par le soin qu'ils avaient de la demander sans cesse. Ce n'est pas manquer de respect à la mémoirede Saint Augustin que de remarquer ici, que son argumentation est dépourvue de ce qui fait la force d'une discussion: la connaissance exacte des textes et la critique immédiate des mots et des phrases.

Cette ignorance du grec mit dans un plus grand embarras encore Orose, le disciple de Saint Augustin, lorsqu'il se trouva dans Jérusalem, opposé à Pélage lui-même au milieu d'une conférence de prêtres orientaux, présidée par l'évêque Jean. Le célèbre hérésiarque parlait grec, et Orose n'avait pour interprètes officieux qu'un prêtre ou deux du nom de Vitalis, d'Avitus et de Passérius, il était difficile de s'entendre. La malveillance des orientaux augmentait encore la difficulté. Aussi la conférence se passa-t-elle dans le plus grand désordre. « Les interruptions se croisaient, les déclarations se combattaient, les unes en grec, les autres en latin. Orose eut des doutes sur l'interprétation d'une de ses pensées, doutes justifiés par le témoignage de Passérius et du prêtre Avitus, qui taxaient l'interprète d'inexactitude et d'erreur. On réclama le procèsverbal, mais il n'y en avait pas. Jean n'avait appelé à la conférence qu'un interprète mal sûr et point de secrétaire pour recueillir les opinions (1). » Orose avait si bien senti l'embarras de sa position qu'il n'osa pas comparaître au concile des Prélats de Palestine, convoqué à Diopolis en l'année 451. « Seul occidental au milieu de tous ces orientaux, Pélage triompha sans conteste. Il fut vraiment le roi du concile, charmant l'assemblée par la facilité de son élocution en langue grecque (*).

(1) A. Thierry. p. 508. (*) Ibid. 510.

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