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verve poétique, font tout le mérite de ces compositions informes, tombées dans un juste oubli. » Ces paroles sont de 1828 ('). Celui qui les prononçait, craignait que la Grèce n'eût pas assez d'horreur pour le temps de son esclavage et pour les œuvres nées dans ces tristes circonstances. Le danger n'est plus le même aujourd'hui. La Grèce, qui n'a plus de crainte pour son indépendance, regarde avec intérêt les poëmes qui ont servi à conserver sa langue et l'espoir de la liberté future. On peut donc en appeler de ce jugement de Rizos-Neroulos, et, pour le poëme d'Érotocritos, il me semble qu'on peut le casser.

(1) Jacovaki Rizos-Neroulos, cours de littérature moderne donné à Genève, 1828.

ANECDOTA HELLENIKA (1).

Tant que les Hellènes ont eu besoin d'intéresser l'Europe à leur sort, ce sont les noms de leurs plus glorieux ancètres qu'ils n'ont cessé d'invoquer. C'est à Platon, à Sophocle, à Périclès, à Phidias, à Homère, qu'ils ont voulu faire plaider la cause de leur indépendance.

Ils ne pouvaient pas choisir de plus illustres et de plus éloquents avocats. Alors ils ne regardaient qu'avec un mépris mêlé d'horreur les temps malheureux où ils avaient péri sous les Turcs. Tout ce qui venait de cette époque leur paraissait odieux et ils en repoussaient jusqu'au souvenir.

Aujourd'hui qu'ils sont assez forts pour vivre tout seuls; qu'ils ont fait des révolutions et soutenu fièrement les menaces de la Sublime-Porte, ils cessent de remuer selon l'expression d'un allemand, la poussière de Marathon, et l'histoire de leur moyen âge commence à les occuper. C'est à ce retour d'attention sur les années qui ont précédé ou suivi immédiatement la chute de Constantinople que les ouvrages de M. Sathas, doivent leur naissance.

C'est en 1865 que M. Constantin Sathas a commencé à se faire connaître. Il étudiait alors la médecine à Athènes, lorsqu'il entreprit de publier la chronique de Galaxidion, ou l'histoire d'Amphissa,

(1) 2 vol. in-12 par M. Constantin Sathas. Athènes. 1867

de Naupacte de Galaxidion, de Loidorchion et des lieux environnants, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Ce travail, précédé d'une longue et savante introduction, puisée aux sources de toutes les archives d'Italie, reçut à son apparition les éloges de M. Charles Hopf. Ce savant consacra les études de M. Sathas en les citant plusieurs fois avec éloge (1), tandis que, à ce qu'il paraît, l'Académie des Inscriptions et BellesLettres de Paris, celles de Bruxelles, de Madrid et de Berlin donnaient aussi au jeune écrivain des témoignages d'une approbation flatteuse.

Le

gouvernement grec ne resta pas lui-même indifférent à ces travaux, il se montra au contraire fort disposé à les encourager. Le ministre de l'instruction publique était alors M. Constantin Lombardos; il se trouvait qu'il était passionné pour les études sur le moyen âge, il s'appliqua donc à faire obtenir à M. Sathas les moyens de poursuivre ses recherches.

C'est ainsi que celui-ci reçut une somme de quatre cents drachmes pour faire un voyage dans les îles et sur la terre ferme.

pas

Levoyageur revint après deux mois d'absence, il rapportait à Athènes des manuscrits, des livres anciens dont la publication fut décidée: sept mille drachmes furent allouées à cet effet. Des fonds votés, ne sont toujours des fonds disponibles; les changements de ministères, l'opposition de quelques mal-intentionnés arrêtèrent la publication projetée, si bien qu'en 1867 seulement, M. Christopoulos, continuant l'œuvre de son prédécesseur, put mettre M. Constantin Sathas en mesure de publier deux volumes de pièces inédites.

la

Deux poëmes, l'un sur Mercurios Buas, l'autre sur guerre de Crète, au milieu du XVII° siècle, le récit

1) Histoire de la Grèce au moyen âge publiée dans l'Allgemeine Encyklopadie von Ersch und Gruber,

d'une révolte populaire à Zante en 1628, une chronique écrite par un certain Matesès, de 1684 à 1699, voilà ce que renferment ces deux volumes d' Ελληνικά Ανέκ Sora. Ce ne sont pas sans doute des ouvrages de bien grande conséquence. Ils ne laissent pas néanmoins d'avoir un très-vif intérêt pour l'histoire de la Grèce depuis la chute de Constantinople, et surtout pour l'histoire de la langue et de ses divers changements.

Mercurios Buas, le héros du premier de ces deux poëmes, descendait de l'ancienne famille des Buas qui se glorifiait de venir de Pyrrhus, roi d'Épire; la principale preuve qu'elle en donnait était, dans ses armoiries, qui n'étaient rien autre chose que l'écusson de cet ancien roi, sur un champ de gueules quatre serpents de sinople tenus par une main. Les Buas y montraient aussi la croix d'or accostée de deux étoiles d'argent, souvenir de l'empereur Constantin quand il passa à Durazzo venant de Rome, pour aller fonder Constantinople.

Ce sont les fables dont les maisons illustres aiment à embellir leur berceau. Il est un peu plus certain que les Buas habitèrent l'ancienne Epire de Pyrrhus, et que leur histoire telle que nous la fait connaître M. Sathas offre plus d'un point de ressemblance avec celle de ce prince aventureux, qui ne pouvait vivre qu'en faisant de continuelles entreprises. Ils appartenaient à cette nation que nous appelons aujourd'hui les Abbanais, que les Turcs désignent sous le nom d'Arnautes et qui se donnent à eux-mêmes celui de Sckypetars. Etaientils d'origine grecque? c'est un point encore en discussion. Asseman, Milétios, Chremmydas et surtout Fallmerayer veulent en faire des Slaves; Hahn, Nicoclès, Kamardas et Koupitoris leur donnent pour ancêtres les Pélasges. C'est aussi l'opinion de M. Sathas, et, dans

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ce débat, il apporte des témoignages qui avaient été négligés avant lui.

Ainsi, dit-il, Chalcondyle qui, le premier, a parlé des Abbanais, les rattache aux Macédoniens : « Αλβανούς γὰρ ἔγωγε μᾶλλον τι τοῖς Μακέδοσι προστίθεσθαι ἄν λέγοιμι ἤ ἄλλῳ τινι τῶν κατὰ τὴν οἰκουμένην ἐθνῶν· οὐδενί τε γὰρ συμ φέρονται, ὅτι μὴ Μακεδονικόν γένος ('). » Ainsi, dans les différentes cours de l'Europe, on désignait sous le nom de Macédoniens Μακεδονικὸν Τάγμα les Abbanais ou Epirotes au service des princes qui les payaient. Scanderberg écrivant au prince de Tarente, se faisait gloire de commander aux descendants des Macédoniens: «Se vuoi dire che l'Albania e parte della Macedonia, concedi che assai più nobili sono stati i loro avi... » Cantacuzène confond ensemble l'Épire et la Thessalie, il appelle les Albains indifféremment Thessaliens et Épirotes.

Ces prétentions inspirées par la vanité et par l'ignorance auraient à nos yeux moins de valeur qu'à ceux de M. Sathas, si nous ne savions que Strabon les confirme : « Καὶ δὴ καὶ τὰ περὶ Λυγκηστόν, καὶ Πελαγονίαν, καὶ ̓Ορεστιάδα, καὶ Ελύμειαν, τὴν ἄνω Μακεδονίαν ἐκάλουν, οἱ δ ̓ ὕστερον καὶ ἐλευθέραν. Ενιοι δὲ καὶ σύμπασαν τὴν μέχρι Κερκύρας Μακεδονίαν προσαγορεύουσιν, αιτιολογοῦντες ἅμα ὅτι καὶ κουρᾷ καὶ διαλέκτῳ, καὶ χλαμύδι, καὶ ἄλλοις τοιούτοις χρῶνται παραπλησίως, ἔνιοι δὲ καὶ δίγλουτοί εἰσι » si Pline enfin ne comprenait dans la Macédoine l'Illyrie et la province des Molosses.

(1) Pouqueville, qui n'accepte pas cette opinion, reconnait pourtant que dans la langue des Albanais, on retrouve quelques expressions de l'idiome Macédonien. Il cite là-dessus ce passage de Plutarque : « Alexandre est né le sixième jour du mois Hécatombéon, que les Macédoniens appellent Loos. (On le voit aussi dans Démosthène : Pro coron. Lett. de Philippe.) Ce mot de Loos se retrouve bien encore altéré dans l'idiome des Albanais, pour dési gner le mois des Hécatombes ou juillet, qu'ils appellent Loonari et Alonar. Le même auteur dit qu'ils appelaient Achille Ispète; or, ce mot se retrouve dans leur langue, c'est ichpeïte qui veut dire homme aux pieds légers. Aspate ou Spache, un messager à pied. Ange Masès. Traité de la nation Albanaise, cité par Pouqueville, t. I, ch. V.

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