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Saint Basile. Sur l'invitation de Saint Chromace d'Aquilée, il fit une version de l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe. Ce travail fut achevé en moins de deux ans. Enfin il entreprit la traduction des livres d'Origène qui devait le brouiller avec son ami Saint Jérôme. Déjà il avait donné une traduction latine de l'apologie d'Origène attribuée au martyr Saint Pamphile. En abordant le livre des Principes, il dit dans sa préface: « Je sais que plusieurs de nos frères ont désiré qu'Origène fût traduit en latin par quelques savants hommes; et en effet notre confrère (il entend Saint Jérôme), ayant traduit deux homélies sur le cantique, à la prière de l'évêque Damase, y a mis une préface si magnifique, qu'il n'y a personne à qui il ne donne envie de lire Origène, et il promet de traduire plusieurs autres de ses ouvrages. Je veux donc faire connaître cet homme, que Jérôme appelle le second docteur de l'église après les apôtres et dont il a traduit plus de soixante-dix homélies. Je suivrai aussi sa méthode, en supprimant ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'il a dit ailleurs touchant la foi catholique. Nous n'avons point à dire comment Saint Jérôme fit, par une traduction nouvelle, où rien n'était omis de ce qu'avait d'abord écrit Origène, sentir le venin dont les livres de ce docteur étaient infectés; la querelle qui s'éleva entre lui et son ami ne nous regarde pas non plus; nous ne voulons que faire voir dans Rufin un prêtre de l'Occident instruit dans le grec, nous voulons montrer aussi de quelle nécessité il était dès lors de traduire en latin les livres sortis des mains des Grecs.

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VI.

On retrouverait sans peine des traces d'un hellénisme direct dans les œuvres de Saint Ambroise. Le haut rang de sa famille lui avait assuré une éducation solide et

vraiment littéraire. Il est probable qu'il avait abordé, comme tous les écoliers de son temps, l'étude de la langue grecque. Né dans la Gaule, élevé à Trèves, transporté plus tard dans Rome, il avait eu à la fois les meilleurs maîtres et les livres en grande abondance. Dans ses fonctions d'administrateur, comme préfet de Milan, il n'avait point fait des lettres son occupation principale; elles n'étaient tout au plus pour lui qu'une distraction et son ardente piété dut encore, les maintenir dans un cercle plus étroit. Une fois devenu évêque, il sentit la nécessité de donner un nouveau cours à ses lectures. Il dut penser à combler les lacunes de son éducation théologique. Nous savons qu'il y mit tous ses soins. Dès l'aube du jour, ses dévotions faites et le saint sacrifice célébré, il s'asseyait à sa table, dévorant des yeux un volume de l'Ecriture sainte, auquel il joignait quelque commentaire d'Origène, de Saint Hippolyte, ou quelque sermon de Basile, de Césarée, recueilli par les sténographes d'Orient (').» Saint Augustin raconte (2) qu'il lui arriva plus d'une fois d'entrer chez Saint Ambroise et de le contempler lisant à son bureau, sans l'interrompre (3).

Il est impossible de douter que ces lectures de Saint Ambroise ne se fissent en grec. C'était la destinée de la langue grecque de contribuer à toute initiation. Elle avait enseigné aux Romains la voie qui conduisait aux poètes et aux philosophes. Elle avait offert au génie mal débrouillé de Rome le secours de ses plus précieux ouvrages. Après l'établissement définitif du christianisme, elle rendait encore à l'Occident le même service. Elle lui ouvrait les trésors de la science nouvelle. Nul ne pouvait avancer dans les

(1) S. Ambr. Vit. à Paulo scripta, p. X, et ep. XLVII. 1.

(2) Conf. VI. 3,

(3) De Broglie. t. II. p. 10.

études sacrées sans recourir à ses livres. Elle offrait les modèles, elle donnait les inspirations. Saint Ambroise les a acceptées. Qu'est-ce en effet que son Hexaéméron, sinon une imitation de Saint Basile. Ces six sermons enchaînés l'un à l'autre, expliquant l'œuvre des six jours, sont, à la façon de l'évêque grec, un commentaire des premiers chapitres de la Genèse. L'évêque de Milan et celui de Césarée passent en revue la création entière pour « en tirer une série d'applications morales ». En composant son ouvrage Saint Ambroise a eu celui de Saint Basile sous les yeux. En effet, sans le nommer, ille désigne clairement (1), il le contredit dans ces textes. C'est un effet de la diversité des deux esprits. « L'imagination d'Ambroise est moins riche que celle de Basile, mais son jugement est plus sévère. Il rectifie sur certains points, avec une critique scrupuleuse, les assertions de science douteuse et les conclusions hâtives trop fréquentes chez Basile. Moins de grâce littéraire, et aussi moins de familiarité avec l'assistance; moins de souvenirs des poètes, moins d'allusions aux événements du jour: quelque chose de plus soutenu qui tient l'auditoire à distance... » C'est-à-dire que l'hellénisme conserve encore, même dans ce demi-déclin de sa grâce et de sa force, son vrai caractère de facilité, de jeunesse et d'improvisation libre.

On retrouve un peu de cet esprit aisé et pour ainsi dire joyeux, dans un traité sur le Saint-Esprit qu'Ambroise offrit à Gratien. Il avait mis deux années entières à le composer. C'était une suite de textes de l'Ancien et du Nouveau Testament, accompagnés de commentaires dans lesquels on reconnaît sans peine l'inspiration des ouvrages précédemment écrits sur le même sujet par Athanase et Basile. L'austérité du génie romain y est tempérée par les images riantes que l'esprit

(1) S. Ambr. Hexaéméron III. 4; IV. 7; V. 18. Op. t. I.

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des pères de l'église grecque a répandues à profusion dans ses compositions. Il y a cette abondance de comparaisons, de figures, de métaphores, qu'on verra toujours reparaître sous la plume des écrivains religieux, lorsqu'ils traiteront les mystères de la religion avec les mouvements du style oratoire. Ainsi la personne divine du Saint-Esprit est représentée sous mille formes, sous mille noms différents. Il est la lumière, la vie, la source; il sort de la bouche de Dieu; il est l'onction ou l'eau sainte dont les âmes sont enduites ou arrosées. On croirait lire Saint Basile ou Saint François-de-Sales dans ce passage, où la magnificence orientale semble avoir passé à l'Italie grâce à l'évêque de Milan : « Voyez le Seigneur se dépouillant de ses vêtements et se ceignant les reins d'un linge, versant de l'eau dans une aiguière et lavant les pieds de ses disciples. Cette eau était la rosée céleste... tendons-lui les pieds de nos âmes. (Et nunc extendentes pedes animarum nostrarum.) Venez, Seigneur Jésus, dépouillez ces vêtements que vous avez pris pour nous; soyez nu pour me vêtir de votre miséricorde; ceignez-vous pour nous ceindre aussi d'immortalité... Comme un Dieu, vous envoyez la rosée du ciel... que cette eau vienne donc, ô Seigneur, sur mon âme et sur ma chair, et que, sous l'humidité de cette pluie, les vallées de nos âmes et les champs de nos cœurs reverdissent (1).

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L'Occident n'eut pas de disciple plus fidèle aux enseignements de la Grèce que le saint et éloquent évêque de Milan. Il suit pas à pas Saint Basile. C'est d'après ce modèle qu'il reproduit, en l'allongeant outre mesure, cette scène pathétique: Un pauvre, obligé de vendre un fils pour nourrir le reste de sa famille, hésite dans de cruelles angoisses. Il se dit: Qui vendrai-je le

(1) St. Ambr. De Spiritu Sancto. t. II. p. 602-603.

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premier? Il va de l'un à l'autre sans pouvoir choisir, il ne sait que résoudre dans son désespoir (1).

tu

L'imitation est encore plus sensible dans son discours sur la chute d'une vierge consacrée à Dieu, De Virgipassages nitate. Il traduit, il imite un grand nombre de empruntés à Saint Basile; il les tire d'un discours prononcé par le Père grec dans des circonstances pareilles. Dans ces endroits il n'y a d'autre différence que celle qui vient naturellement de la diversité des caractères. Là où Saint Basile est insinuant et tendre, Saint Ambroise est amer et violent. L'un dit à la jeune fille, avec de gracieux reproches: « Souviens-toi que tu as fait partie de ces choeurs de vierges pareils à des choeurs corps, d'anges, souviens-toi comment, déposant ton vivais ainsi qu'un pur esprit; comment sur la terre tu trouvais des entretiens célestes, rappelle-toi les jours paisibles, les nuits éclairées par les flambeaux, et comment tu te plaisais aux chants des psaumes, des hymnes et des cantiques. » L'autre avec plus d'amertume: «Comment, au sein de ton crime et de ta honte, ne te sont-elles pas revenues en mémoire les habitudes de ta première vie? Comment ne t'es-tu pas vue marchant dans l'église, au milieu des vierges tes sœurs? Le chant et les hymnes ne pénétraient donc pas ton oreille et les vertus des saintes lectures ne rafraîchissaient pas ton âme?... Ton père maudit ses entrailles, ta mère maudit le sein qui t'a conçue; regarde-toi comme morte et cherche comment tu pourras revivre; couvre-toi d'un vêtement lugubre et macère ton corps. » Il finit enfin ces tristes remontrances par une lamentation non moins lugubre: « Pleurez-moi, montagnes et collines; pleurez-moi, fleuves et ruisseaux, parce que je suis la fille des larmes..." On sent passer dans cette éloquente invective le souffle âpre et dur de l'Occident, que Saint (1) Ampère. Hist. de la Litt. av. le XIIe siècle. t. 1. p. 393.

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