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cachot fangeux et obscur, couvertes de vêtements sordides, elles n'ont que de l'eau et du pain. Arétusa fond en larmes, Phrosyne lui prodigue les conseils les plus sages; elle lui parle des retours inconstants de la fortune la patience est un grand médecin. Mais ces consolations adoucissent peu le chagrin d'Arétusa. Elle se plaint d'être la fille d'un roi. Si j'étais née pauvre, dit-elle, j'aurais épousé un pauvre, et je ne serais pas dans un tel tourment d'amour.

Le roi écrit au prince de Byzance que le mariage projeté ne peut se faire, la jeune princesse étant malade. Érotocritos vit exilé dans Négrepont. Ses pensées sont tout entières à Arétusa. Polydore, par l'entremise d'un serviteur fidèle, le tient au courant de ce qui se passe. Trois ans se sont ainsi écoulés.

Sur ces entrefaites, la guerre éclate entre le roi d'Athènes et celui des Vlaques, Vladistratos. Les Vlaques marchent sur la capitale avec des forces considérables. Ils mettent tout à feu, ils emmènent partout les hommes prisonniers. Le péril est grand pour Athènes. Érotocritos en est instruit; son amour pour Arétusa lui fait naître le désir de voler au secours de son père. Il espère entrer dans la ville, forcer la prison de son amante. Il réfléchit quelque temps au moyen de prendre part à la guerre sans être connu. Il va trouver une vieille magicienne, Maïssa; elle lui donne le jus d'une herbe qui doit rendre noire la couleur de son visage; dans un autre flacon il reçoit une eau qui doit lui rendre son teint naturel: Il part.

Bientôt il se signale contre les Vlaques. Il n'est dans l'armée question que de sa valeur. Il sauve la vie au roi d'Athènes qui, reconnaissant, l'embrasse, sur le champ de bataille, l'adopte pour son fils et veut en faire son héritier. Personne ne le reconnaît, tout le monde dans la ville s'entretient de son courage et de ses exploits.

Au bout d'une trève de douze jours, la trompette annonce l'arrivée d'un nouveau combattant: c'est Ariste, le neveu du roi des Vlaques, qui vient de France pour soutenir sa cause.

A l'instant, Vladistratos conçoit l'idée de terminer la guerre par un combat singulier, entre son neveu et le plus brave guerrier de l'armée d'Athènes. Il propose ce plan à son neveu qui l'accepte avec enthousiasme.

Des messagers envoyés à Héraclès lui communiquent ce dessein; le roi d'Athènes convoque son conseil. Ariste est brave, il a vingt-deux ans, qui pourrait-on lui opposer? Polydore est mourant et, fût-il en bonne santé, le roi hésiterait à lui confier sa couronne et son honneur.

Quel parti prendre? Chacun reste muet.

Phronistès se lève, il s'applaudit que cette proposition ait été faite aux Athéniens. Il espère pour eux la victoire puisqu'on peut opposer à Ariste le héros inconnu, qui est venu soutenir leur cause avec tant de courage et de succès. Il conseille donc d'accepter le cartel.

Le roi hésite à reconnaître les services de l'inconnu en l'exposant à une mort certaine.

Arétusa, de son côté, instruite de ce qui se passe, se désole de l'absence d'Érotocritos, dont le mérite et la valeur dans une telle circonstance auraient plus de prix que tous les trésors du monde.

Tandis que le roi, retourné dans le camp, délibère encore sur le parti qu'il doit prendre, Érotocritos vient s'informer si l'on combattra le lendemain. Sa joie éclate en apprenant le défi porté par le roi des Vlaques. Il y a lieu de s'en réjouir, en effet, car l'armée d'Athènes compte plus d'un brave, et surtout le guerrier qui, dans le dernier combat, a fait des prodiges de valeur. Érotocritos parlait ainsi de Polydore; mais il apprend que, grièvement blessé, il était près de mourir. Cette nou

velle l'afflige; cependant il demande au roi d'être chargé de répondre au défi de Vladistratos.

Touché de reconnaissance, Héraclès appelle l'inconnu son fils, il le déclare l'héritier de son trône, et fait savoir au roi des Vlaques que le cartel est accepté. Des deux côtés on se prépare à ce combat singulier. Les deux rois prodiguent leurs conseils aux champions qui en savent plus qu'eux. Enfin, le cinquième jour a paru. Les deux adversaires sont en présence; avant que le duel commence, les deux rois jurent et signent la convention.

Ariste est monté sur le cheval de son oncle, c'est le meilleur coursier qu'il y ait dans l'armée; Érotocritos n'a pas voulu d'autre monture que son palefroi. Enfin, les trompettes sonnent. Les deux rivaux s'élancent l'un sur l'autre au milieu de flots de poussière. Ils se heurtent avec la violence de l'ouragan. Les deux armées sont dans l'attente. Le combat s'engage à la lance; les lances se brisent. Les combattants tirent leurs épées. Érotocritos porte un coup terrible sur la tête de son antagoniste, qui le pare avec son bouclier; mais le bouclier est brisé, et Ariste est blessé au nez. Il prévient une autre blessure en portant à Erotocritos un coup de pointe qui perce son armure. Le combat continue. Érotocritos paraît plus lent, Ariste plus vif; il est mieux servi par son cheval. Le courage d'Érotocritos compense la faiblesse de sa monture. Les rois sont dans l'inquiétude, les spectateurs suivent en silence les péripéties de la lutte. Ariste jette son bouclier, il prend à deux mains son cimeterre, et, d'un coup, il brise le casque d'Érotocritos, coupe le cou de son cheval. Érotocritos saute à bas de son cheval; Ariste, par générosité, en fait autant: Il brave son ennemi par des propos menaçants.

Avant le coucher du soleil, le combat à l'épée recom

mence. Les pièces des armures se déclouent et se brisent. Impossible de dire de quel côté est l'avantage. L'inquiétude des armées et des rois est à son comble. Les femmes mêmes se rassemblent pour être témoins du combat de ces deux braves. Elles suivent avec effroi les coups et les ripostes.

Enfin, arrive le moment le plus terrible du combat. Voyant que la nuit approche, les deux champions jettent leurs épées et s'abordent le poignard à la main.

Érotocritos assène un rude coup à son rival, vers la mamelle; mais le coup glisse, et la main d'Érotocritos passe sous l'aisselle d'Ariste. Celui-ci serre le bras et prend la main de son rival comme dans un étau. Érotocritos parvient à dégager sa main. La lutte corps à corps redevient plus pressante. Érotocritos glisse et tombe, Ariste le suit et tombe sur lui. Érotocritos redouble ses efforts, il porte à son adversaire un coup mortel dans l'œil gauche. Celui-ci riposte par un coup qui pénètre son armure et arrive près du coeur. Le coup est terrible, mais il n'est pas mortel. Les rois accourent. On ôte les armures des combattants et les princes regardent lequel des deux peut survivre à ses blessures.

Ariste est pâle, sa voix expire: il ne peut dire qu'un mot: « Je meurs. » Et il rend le dernier soupir. Le tonnerre gronde. Le roi des Vlaques est dans le désespoir. Il fait faire à son neveu de belles funérailles. On porte son corps quatre fois autour du lieu où s'est livré le combat. Le roi pleure, s'arrache les cheveux, se frappe la poitrine: il destine à son neveu en Valachie de nouveaux honneurs.

LIVRE CINQUIÈME.

La douleur d'Héraclès n'est pas moins vive. Le guerrier qui lui donne la victoire reste sans connais

sance et à demi mort. Enfin, il revient à lui-même, mais ses blessures inspirent les plus vives inquiétudes. On le ramène dans la ville, on le transporte dans le palais du roi, on le couche dans le lit même d'Arétusa. Érotocritos en éprouve d'abord une vive joie; une grande douleur la remplace bientôt quand il songe au lieu où gémit celle qu'il aime. De son côté, Arétusa a su les détails du cartel. Elle a appris qu'un inconnu a remporté la victoire; elle regrette l'absence de son ami, dont le courage aurait sans aucun doute triomphé d'Ariste; et la victoire l'aurait réconcilié avec son père.

Cependant Érotocritos commence à se remettre de ses blessures. Polydore vient souvent lui rendre visite; près de cet inconnu, il s'attendrit, il lui parle d'un ami qui vit dans l'exil, dont les traits ressemblent aux siens, la couleur seule du visage n'est pas la même. Érotocri

tos se contient et ne laisse rien deviner de la vérité à son cher compagnon.

Héraclès entoure l'étranger de ses soins affectueux, il le presse de lui faire connaître sa patrie, sa famille, les raisons qui l'ont porté à prendre la défense d'Athènes. Érotocritos répond comme il peut en inventant une fable. Son nom est Critidès, il a quitté son pays pour un chagrin d'amour, celle qu'il aimait étant morte; il remet à plus tard le récit de son histoire.

Aux promesses du prince, Érotocritos répond: « Gardez votre royaume, ce que je vous demande c'est votre fille qui est en prison. Je l'aime; c'est pour elle que j'ai triomphé. Permettez que je l'épouse et que je sois votre fils. Cette demande met Héraclès dans l'embarras. Il dit que sa fille rejette toutes les propositions de mariage. Il engage Erotocritos à l'aller voir. Si elle lui convient, si, d'autre part, Arétusa se décide à l'épouser, il n'y mettra nul obstacle, trop heureux d'avoir pour héritier de son trône, celui qui fut son libérateur.

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