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texte. J'y remarque d'abord un goût singulier d'allégorie. Il y a là comme un prélude aux jeux d'esprit, dont le Roman de la Rose continuera trop longtemps l'usage. Ainsi, l'on voit figurer sur les degrés du trône de Dieu ces personnifications étranges Le mercredi saint, Ἡ ἁγία Τετράδη, la sainte Parasceve ou vendredi saint, Ἡ ἁγία Παρασκεβή (παρασκευή) et la sainte journée du Seigneur ou dimanche Ἡ ἁγία Κυριακή.

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Ces personnages qui doivent leur naissance à la subtilité d'esprit propre aux byzantins, ne sont point enflammés du feu de la charité. Ils respirent la colère monacale et une implacable haine contre les hérétiques. Submerge les hérétiques, ô Seigneur, dit le dimanche; nous ne pouvons supporter davantage leurs honteuses actions. Voilà qu'à partir de la neuvième heure du sabbat jusqu'à la seconde du jour suivant, leurs enfants travaillent sans respecter le jour de ta résurrection; ils allument leurs fours, ils vont dans leurs voies et font d'autres ouvrages des mains. Submerge-les, Seigneur, dans les flots de la mer. » Et une voix répondant à leur appel, maudit cette gent odieuse. De leur côté, le mercredi saint et la sainte Parascevé réclament les mêmes supplices contre les hérétiques qui mangent de la viande et du fromage pendant ces jours profanés par leur gourmandise. Et la même voix terrible les condamne et les maudit. Heureusement, la Sainte Vierge arrête l'effet de ces plaintes et de ces menaces : mais la colère de Dieu n'est que suspendue sur ces têtes coupables.

Un autre caractère de ce fragment, c'est l'ardeur des invectives contre les membres du clergé qui, à tous les degrés, manquent à leurs devoirs. Au plus profond des enfers, dans les flammes les plus dévorantes, l'auteur a placé les prêtres bigames, les abbés fastueux, les prêtres qui traînent les fidèles devant les tribunaux, ceux qui voient leur femme les dimanches et les jours de grande

fête, ceux qui ont des femmes cachées, qui reçoivent des présents, embrassent de nouvelles doctrines, vivent dans la débauche. Les abbés ont aussi leur part dans cette virulente satire; on voit en effet dans les flammes des abbés brigands, avares, ivrognes, d'autres simplement enjoués. Les abbesses ne sont pas épargnées davantage. L'enfer recèle et punit les abbesses qui n'honorent point leurs abbés, celles qui s'abandonnent à une vie impudique, à l'ivrognerie, celles aussi qui sont bigames (1).

Jusque dans le paradis, le satirique poursuit les membres du clergé de ses censures. Il y voit en effet des évêques qui n'y ont pas de trône, des prêtres qui n'y ont point d'étoles : ils ont été appelés et n'ont pas été élus, ils expient les désordres de leurs femmes sur la terre. Il eût été plus piquant, mais moins juste, peutêtre, d'exclure les évêques du paradis, comme on disait au XVII° siècle à une provinciale admirant une cérémonie religieuse où huit évêques officiaient, et s'écriant dans sa naïveté: « N'est-ce point ici le paradis? — Non, il n'y a point tant d'évêques.

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Un pareil ouvrage donne à celui qui le compose une juridiction absolue sur tous les ordres de la société, les rois eux-mêmes ne peuvent y échapper, et l'écrivain qui a composé la révélation qui nous occupe n'a pas épargné les souverains de Constantinople. Il voit, en effet, dans le ciel, un trône vide; derrière, se tient un ange redoutable. Il apprend de lui que ce trône est celui de Jean Tzimiscès, le meurtrier de Nicéphore Phocas. Par une imagination vraiment saisissante, le satirique prête la parole à l'empereur assassiné, et on l'entend s'adresser à son meurtrier: « Seigneur Jean, pourquoi m'as-tu fait périr dans un meurtre injuste? Ne savais-tu pas

(1) C'est-à-dire, prcbablement celles qui se remarient.

que nous avions mis nos mains l'une dans l'autre dans Sainte Sophie; que nous nous étions promis la paix l'un à l'autre? Tu n'as point observé nos conventions, et maintenant tu jouis de ton crime. » A ces paroles, Tzimiscès ne répond que par des gémissements et des cris de douleur. « Hélas, malheur à moi!"

Voilà, je crois, une scène qui relève avec bonheur cette élucubration monacale. Dans un état comme celui de Constantinople, où les princes mouraient si souvent victimes de menées odieuses et d'assassinats que la débauche et la perfidie provoquaient, il était bon qu'une voix vengeresse s'élevât en faveur de la justice et du droit. Il faut savoir gré à cet écrivain, ridicule lorsqu'il appelle la colère de Dieu sur les impies qui mangent de la viande et du fromage aux jours interdits, de s'élever au-dessus des préoccupations puériles des cloîtres, pour réclamer au nom de la conscience humaine, et placer au milieu des supplices éternels de l'enfer celui qui a joui un instant sur la terre du fruit de son crime et succédé sur le trône à la victime de son ambition.

Disons aussi à l'honneur du clergé de Constantinople que Nicéphore Phocas n'eut pas seulement, dans un récit de pure imagination, un vengeur de sa mort. Quoique ses ordonnances eussent soulevé contre lui le mécontentement des moines, en mettant des limites aux donations religieuses, le vieux patriarche Polyeucte refusa d'admettre dans Sainte Sophie l'assassin Tzimiscès, lorsque, quelques jours seulement après le meurtre, il voulut s'y faire couronner encore tout couvert du sang de son ami et de son parent. Toutefois Polyeucte céda quand le prince eut déclaré par un mensonge qu'il n'avait pris aucune part au crime; et la protestation du moine écrivain demeure seule ineffaçable et terrible encore.

C'était dans la nuit du 10 décembre 969, que Nicé

phore Phocas avait été égorgé. Tzimiscès mourut empoisonné le 10 janvier 976, c'est donc aux dernières années du X° siècle que fut composé cet ouvrage. Cette date précise qui n'est pas un des moindres titres de ce manuscrit à notre intérêt, m'a servi à classer comme je l'ai fait plus haut la révélation de la Vierge vers le VIII° siècle. Le style de la première Apocalypse est d'une date beaucoup plus ancienne que celui du manuscrit 1631. Ce dernier, en effet, nous offre l'usage, non pas préconstant, mais régulier déjà, des formes qui vaudront plus tard dans la langue moderne. On y lit καλά εἶσαι. χείρας μας ἐθήκαμεν — γράφουν τὴν ἁμαρτίαν

Voilà ce que j'ai cru devoir ajouter aux observations beaucoup trop sommaires de M. Constantin Tischendorf sur notre manuscrit grec 1631. J'ai pensé qu'il n'était pas inutile de faire mieux ressortir ce qu'il contient d'intéressant au point de vue historique. Quant au manuscrit 390, il est bon que l'on sache qu'il nous conserve un texte inconnu jusque là, et qu'il nous dispenserait désormais, si la chose en valait la peine, d'envier à Oxford, à Venise et à Vienne la possession d'une Apocalypse de Marie (1).

(1) Il faut lire dans l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, année 1871, les Supplices de l'enfer d'après les peintures byzantines, par M. Léon Heuzey, de l'Académie des inscriptions et belleslettres j'en rapporterai ici les premières lignes : « J'avais écouté avec un intérêt particulier, dans la séance du 5 janvier, la lecture de M. Gidel, sur les Descriptions apocalyptiques de l'enfer, chez les grecs du moyen âge. Je me rappelais, en effet, avoir relevé curieusement sur les murs de quelques vieilles églises grecques, des peintures qui reproduisaient avec des détails presque identiques, le tableau des différentes catégories de damnés et toute la série des tourments qui leur sont infligés par la justice divine. Sur beaucoup de points, la description peinte peut même servir à combler les lacunes ou à réparer les omissions des manuscrits étudiés par M. Gidel. >

LA LÉGENDE D'ARISTOTE

AU MOYEN AGE.

On a fait de très-savants ouvrages sur Aristote, précepteur d'Alexandre le Grand. Il était naturel qu'on voulût savoir, s'il était possible, par quels principes l'illustre philosophe avait formé son illustre élève. On n'a pu recueillir sur ce point que des renseignements très-rares et des notions peu précises. Plus le problème était difficile, plus l'érudition devait s'appliquer à en donner une solution. Un peu d'opiniâtreté sied bien à la science: elle a même parfois ses témérités, en Allemagne surtout. Dans ce pays, on ne se résigne pas assez à ignorer, dit M. Egger. «On est souvent effrayé, ajoute le judicieux et éminent critique, de ce qu'elle entasse de volumes sur des sujets qui comportent à peine quelques pages d'assertions ou de conjectures discrètes. En ce qui concerne les rapports d'Alexandre et d'Aristote, la déclamation sophistique et la légende avaient, dès l'antiquité, trop complaisamment élargi le champ de l'histoire; chez les modernes, l'abus des conjectures aventureuses n'aura pas moins fait pour nous égarer (1). »

(1) Voir les Mémoires de littérature ancienne, XVIII, Aristote considéré comme précepteur d'Alexandre le Grand, où l'auteur apprécie l'ouvrage de M. Geier: Alexandri Magni historiarum scriptores ætate suppares. Vitas enarravit, librorum fragmenta collegit, disposuit, commentariis et prole gomenis illustravit R. Geier, Lipsiæ, 1834, in-8.

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