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qui avaient quelque talent de parole, sophistes, rhéteurs, philosophes, étaient attachés aux vieilles religions. Ils avaient beaucoup d'autorité en Asie, ils en avaient un peu moins peut-être dans Rome, mais ils y étaient estimés,et leur enseignement entretenait l'attachement au culte du passé. Libanius disait, Rome possède des rhéteurs semblables aux plus célèbres (). Ils n'étaient certainement pas chrétiens. Ce sont eux qui sont demeurés attachés les derniers à la religion des dieux de l'Olympe. Leur éloquence ne pouvait se passer de tout un attirail de figures, de souvenirs, d'images, d'invocations, qu'ils trouvaient dans le paganisme. Quel étrange discours prononça dans le Sénat Romain (377) un rhéteur grec venu de Constantinople, Thémistius? Pour louer Gratien, il composa avec le souvenir du banquet de Platon, un discours amoureux sur la beauté du prince, Ερωτικὸς (λόγος) ἢ περì xáλλous Baotλixos. Alcibiade, Socrate, Charmide, les souvenirs les plus hardis, les phrases les plus fades remplissent ce discours, et la péroraison n'est pas moins singulière que le panégyrique lui-même : « Te voici sous mes yeux, Rome, illustre cité, véritable mer de beauté... Je vois le séjour de ces lois saintes et révérées par le moyen desquelles Numa a uni cette ville au ciel. Grâce à vous, fortunés mortels, les dieux n'ont pas encore déserté la terre... Le temps est venu, illustres rejetons de Romulus, où, déposant la toge, vous devez revêtir la robe blanche, pure comme le siècle et comme l'empire qui commencent, célébrer des chœurs, remplir les places publiques de l'odeur des sacrifices, et couvrir de vos hommages l'objet de mes amours.... Et toi, ô père des dieux et des hommes, Jupiter, fondateur et gardien de Rome; Minerve, dont Jupiter est à la fois le père et la mère; Quirinus, divin tuteur de l'empire (1) Ep. 983, p. 460.

romain, faites que mes amours chérissent Rome, et que Rome, en retour les chérisse ('). »

Qu'on juge d'après cela l'enseignement des professeurs qui tenaient école à Rome, à Milan, à Bordeaux, à Trèves, à Toulouse, à Narbonne! Sous prétexte d'enseigner les belles-lettres, d'expliquer Homère, Hésiode, Aristote ou Platon, ne devaient-ils pas s'attacher à répandre dans les jeunes esprits les idées favorables à l'ancien culte. Tous leurs disciples n'étaient pas en état de résister à cette influence ou de s'y soustraire plus tard, comme Saint Augustin, qui fut le disciple de Thémistius (2), comme Saint Basile et Saint Jean-Chrysostome, qui reçurent les leçons de Libanius (3). N'y avait-il pas quelque danger à donner un de ces sophistes pour précepteur à des enfants destinés à monter sur le trône? Si Théodose-le-Grand confiait l'éducation de son fils Arcadius au Sophiste Thémistius, qui n'était pas chrétien, ne devait-on pas soupçonner cette éducation philosophique d'entretenir dans les âmes des dispositions trop hostiles aux dogmes nouveaux, et l'exemple de Julien, s'appliquant à détruire la religion du Christ, n'était-il pas bien fait pour éloigner de ces études? Quand, en Occident, on voyait Julien écrire en grec ses ouvrages les plus agressifs contre la mémoire de Constantin et les institutions chrétiennes, il y avait de quoi faire abhorrer le génie grec et la langue qui lui servait d'interprète.

De là, ces alternatives de faveur ou de persécution dont les écoles sont l'objet, tant à Rome qu'à Constantinople. Suivant la vivacité ou la tiédeur de leur foi, les empereurs protégent ou bannissent les rhéteurs. Valentinien Ier chasse de Rome tous les sophistes; il croit faire beaucoup d'en débarrasser la ville où siége

(1) De Broglie. t. 1, p. 292.
(2) Schoell. t. VI, p. 141.
(3) Schoell. ibid. p. 162.

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le pape. Gratien, au contraire, qui n'aime pas le clergé, qui l'a dépouillé de ses biens, établit par une loi de l'an 376 que les rhéteurs et les grammairiens recevront du trésor public un traitement annuel (1). Cette même loi établit des écoles dans les Gaules, une part y est faite à la littérature latine, une part égale à la littéra– ture grecque.

Dans l'empire d'Orient, la langue d'Homère ne pouvait pas être proscrite, et, jusqu'au règne de Justinien (527 à 565), elle s'était assez bien défendue contre le temps. Elle s'enseignait dans des écoles florissantes. Constantinople avait des maîtres nombreux de grammaire et de jurisprudence. Dans Edesse, le grec et le syriaque servaient en même temps à répandre la grammaire, la rhétorique, la philosophie et la médecine. Il y avait à Béryte sur les côtes de la Phénicie, une école de droit, qui passait pour être une des plus fameuses de son temps. Déjà pourtant, on commençait à voir grandir les soupçons contre la science du passé. La riche bibliothèque fondée par les Ptolémées dans Alexandrie, augmentée par Marc-Antoine de celle de Pergame, avait péri en grande partie dans la destruction du temple de Sérapis, ordonnée par Théodose l'an 390. « Orose, qui a écrit une cinquantaine d'années après cet événement, dit avoir vu les armoires où les livres étaient anciennement placés, vidées par les chrétiens « exstant, quæ et nos vidimus, armaria librorum, quibus direptis exinanita ca a nostris hominibus, nostris temporibus » (2). Enfin, sous Justinien, Athènes, qui n'avait cessé d'avoir des philosophes occupés dans leurs leçons à expliquer les ouvrages de Platon et d'Aristote, qui comptait des maîtres d'éloquence et d'érudition philologique, Athènes fut frappée dans ses plus chères études. Un édit de

(') Beugnot. p. 478, t. I. (2) Orose. Hist. VI, 15.

Code Théod. XIII, tit. 3, 1. II.
Schoell. ibid. 9.

l'empereur en expulsa les philosophes et les rhéteurs, et renversa leurs chaires. « Il est vrai, dit Scholl, que ces maîtres imprudents s'étaient attiré un traitement si rigoureux par une conduite qu'aucun gouvernement connaissant ses devoirs ne pourrait tolérer. Ils avaient hautement annoncé le projet de renverser la religion de l'Etat, et la jeunesse, dont ils égaraient l'imagination, qui, à cet âge, n'est pas dirigée par la raison, devait fournir les instruments de cette révolution. » C'était le néo-platonisme que Justinien ruinait par cette mesure; il portait assurément un coup aux lettres grecques, et, même en Occident, où les philosophes bannis d'Athènes n'osèrent pas aller chercher un refuge, l'hellénisme dut en être affaibli. C'était une nouvelle cause de décadence et d'oubli qui s'ajoutait à tant d'autres plus énergiquement efficaces. On était au milieu des invasions germaniques, et l'avenir appartenait à des peuples nouveaux. Leurs destinées doivent s'accomplir longtemps sans le secours de l'esprit grec.

IV.

Nous essaierons maintenant de faire voir où en étaient, dans l'église latine, au IVe siècle, les études helléniques. On ne saurait refuser à Saint Ambroise d'avoir été versé dans la connaissance du grec. Son livre de l'Hexaéméron, ou Traité sur les six jours de la création a été visiblement inspiré par celui de Saint Basile. Le titre même en fait foi. On suit également dans ses autres ouvrages les traces d'une connaissance étendue de la langue grecque; c'est par là qu'il se mit en état de choisir dans les pères grecs, et surtout dans Origène, ce qu'ils avaient enseigné de plus important sur la religion.

Moins que personne, on ne peut soupçonner Lactance d'avoir été étranger à la culture grecque. Ses écrits sont pleins de l'enseignement des philosophes; il les cite quelquefois pour les louer ou pour leur emprunter des arguments en faveur de la religion chrétienne; le plus souvent, il en parle pour les combattre par le ridicule et par le mépris. Il n'a pas toujours eu ce dédain pour les grecs. Tant qu'il fut païen et professeur de rhétorique à Nicomédie, il dut leur consacrer la plus grande partie de son temps, et ils avaient alors toute son admiration. En l'an 300, il se fit chrétien ; en 318, il quitta l'Orient pour devenir dans les Gaules le précepteur de Crispe César, fils de Constantin. Son hellénisme subit alors une éclipse. Tertullien et Saint Cyprien deviennent ses principaux docteurs, et ses études inclinent du côté du génie latin. Les sept livres de ses Institutions divines abondent de science grecque. Il écrit dans cette langue les termes de philosophie dont le latin ne lui offre pas d'équivalents. Il a lu Platon, Aristote; il les a vus, non à travers des traductions, mais dans le texte même; pourtant il semble parfois ne les juger que d'après Cicéron, et souvent aussi il les lit avec une prévention chrétienne qui nuit à la parfaite intelligence de leurs doctrines. On le voit recourir de préférence à un hellénisme inférieur. Les oracles Sibyllins et Mercure Trismégiste ont plus d'autorité pour lui que les grands génies de la Grèce antique. Il n'épargne pas les reproches à l'esprit de légèreté et de mensonge des Grecs; en parlant de l'adulation qui fait les dieux, il dit : « Quod malum a Græcis ortum est, quorum levitas instructà dicendi facultate et copia, incredibile est, quantas mendaciorum nebulas excitaverit. » Il fait dériver de là toute la religion païenne qu'il réduit à l'évémhérisme : « itaque admirati eos et susceperunt primi sacra illorum, et universis gentibus tradide

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