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avec une froideur et une jalousie mal dissimulées. Bessarion ne se contentait pas de réunir des manuscrits, il travaillait à les traduire lui-même. Xénophon, Aristote, Théophraste, d'autres grecs encore furent mis dans un langage plus à la portée des étudiants.

Ainsi devenait de plus en plus vif chaque jour le goût pour la littérature grecque, déjà les esprits étaient préparés à recevoir une plus ample instruction. L'événement tragique de 1453, attendu depuis longtemps, ne fut pas la cause de la renaissance des études grecques en Europe; il ne fit qu'en augmenter le développement et en doubler l'intensité. Bientôt ce fut une passion. Les professeurs abondèrent, les manuscrits arrivèrent en foule; l'imprimerie joignit ses bienfaits à tant d'heureuses circonstances. En effet, le siècle ne s'achève pas avant qu'Alde Manuce ait donné ses éditions savantes, changé l'incommode in-folio pour des formats plus maniables. Il a décrit lui-même l'enthousiasme. dont les intelligences s'enflammèrent pour la littérature grecque On vit, dit-il, jusqu'aux vieillards, à l'exemple de Caton, s'appliquer à l'étude du grec, que la jeunesse et l'enfance cultivèrent à l'égal du latin. " "Nostris vero temporibus multos licet videre Catones, hoc est senes in senectute græce discere. Nam adolescentulorum et juvenum, græcis incumbentium, jam tantus fere est numerus quantus eorum est latinis. " Il faut lui rendre hommage pour avoir augmenté le nombre des livres et répondu à l'ardeur de s'instruire dont ses concitoyens étaient enflammés: « propterea græci libri vehementer ab omnibus inquiruntur, quorum quia mira paucitas est, ego, adjuvante Christo Jesu, spero me brevi effecturum, ut consulam tantæ inopiæ.... (). » Attribuons-lui également l'honneur

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(1) Préface de l'Organon d'Aristote, 1495. Ambroise Firmin-Didot, ibid., p. 29.

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d'avoir propagé l'étude du grec en Allemagne, en France et jusqu'en Pannonie, en Angleterre et en Espagne. « Nam non in Italia solum, sed etiam in Germania, Gallia, Pannonia, Britannia, Hispania et ubique fere, ubi Romana lingua legitur, non modo adolescentibus juvenibusque quoque summa aviditate studetur litteris græcis (1). "

XXXV.

Ici s'arrête notre travail. Le grec n'est plus exposé à périr. Tandis que dans Athènes ou dans Constantinople l'ignorance va grandir de jour en jour, l'Europe recueillera les trésors que la barbarie des Turcs méprise. Nous n'en serons plus réduits à quelques débris épars, nous aurons à nous toute l'antiquité grecque. Des princes tiendront à honneur d'employer leurs richesses à faire rechercher partout les manuscrits grecs, à les multiplier par l'imprimerie, à en remplir des dépôts libéralement ouverts à la curiosité des savants. Nous n'avons point à redire ici ce que d'autres ont écrit en détail (*).

Nous croyons avoir achevé la tâche que nous nous étions imposée. On a vu comment, aux époques les plus reculées de son histoire, l'Europe n'ignora jamais complétement le grec. La lumière fut parfois bien incertaine, bien vacillante; on l'empêcha toujours néanmoins de

(1) Préface de l'édition de Stephanus de Urbibus, 1502. Ambroise Firmin Didot, ibid., p. 29.

(2) Martin Crusius, Turco-Græciæ libri; M. Egger, de l'Hellenisme en France; M. Constantin Sathas, Νεοελληνική φιλολογία - ἐν ̓Αθήναις 1868, Νεοελληνικής φιλολογίας παράρτημα ἐν ̓Αθήναις 1870; Papadopoulo Vretos.

etc etc.

s'éteindre. Il y eut des moments où elle jeta des lueurs plus vives qu'on n'était disposé à le croire autrefois. L'historien découvre trois époques où le grec, surtout en France, eut une véritable faveur : l'établissement du monastère de Lérins, le règne de Charlemagne et celui de Charles-le-Chauve, enfin le XIII° siècle. Ce sont trois périodes d'une grande activité intellectuelle, et le grec en aucune d'elles n'est absent des études. Il en est au contraire l'ornement le plus rare et le plus inattendu. C'est peu de chose sans doute en comparaison du grand élan de l'Italie au XIVe siècle, de la France et de l'Allemagne au XVI; mais c'est assez pour venger le moyen âge d'accusations injustes trop longtemps maintenues. En réalité, il n'y eut jamais un siècle entier où, dans l'Europe, on ait pu dire de la langue de Platon: græcum est, non legitur.

LES EXPLOITS DE DIGÉNIS AKRITAS

ÉPOPÉE BYZANTINE DU DIXIÈME SIÈCLE (1).

La littérature grecque est une des plus vieilles qu'il y ait au monde. Elle vit encore après avoir passé par les révolutions les plus diverses. C'est le plus long exemple de fécondité que l'on connaisse. Au moment où les barbares inondent l'Europe il semble qu'elle ait péri : c'est une erreur. Chassée d'Athènes, elle s'est transportée à Constantinople et jusqu'à la fatale époque de 1453 elle ne cessera de produire des œuvres qu'on a trop longtemps méprisées. Quand le monde moderne se fait péniblement des idiomes nouveaux, les Grecs ont le bonheur et le privilége d'avoir conservé leur langue; ils la parlent, ils l'écrivent, autant qu'ils peuvent, suivant les règles antiques. Après la conquête turque ils descendent fort bas dans l'ignorance: ils ne vont jamais jusqu'à la barbarie. Même à cette misérable époque, ils ne cessent d'avoir des historiens, si l'on peut appeler de ce nom de pauvres chroniqueurs; ils ont des prêtres qui commentent les écritures saintes; des poëtes qui chantent leurs regrets et leurs espérances. La perpétuité du langage a entretenu chez eux la perpétuité de la nationalité grecque: ils n'ont jamais désespéré de l'avenir. Le retour de la faveur et de la bienveillance européenne vers eux, a été sollicité par des fragments de chansons que les voyageurs n'ont jamais manqué

(1) Paris, Maisonneuve et C, 15, Quai Voltaire, 1875.

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