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genre des plus curieuses est celle où un certain Guillaume de Chancelier, chanoine et chantre de la Trèssainte Métropole d'Athènes, cède une portion de terre de sa chanoinie à Grégoire Kamachès; l'acte est écrit en grec, l'an 1432, par la main du notaire et chancelier d'Athènes Nicolas Chalkomatas; il porte les signatures en latin de trois vénérables chanoines de la métropole d'Athènes (1).

La persévérance des Grecs à parler leur langue et à repousser celle des Occidentaux obligea les chevaliers français à se départir de leur hautaine indifférence. Ils furent contraints, pour faire parvenir plus sûrement leurs ordres et leurs volontés à leurs sujets, de les proclamer dans la langue vulgaire. Ainsi nous voyons un Florent (Φλωρεντος ὁ ἐξ Αὐνωνίας), venant en Grèce avec sa femme Isabelle, fille de Guillaume de Villehardouin, héritière de la principauté d'Achaïe, prendre de la manière suivante possession du Péloponnèse. Il fit réunir à Glarentza les Francs et les Grecs, ses sujets, et donna ordre qu'on lût devant eux, dans le monastère des Franciscains, l'ordre du roi qui l'instituait prince du Péloponnèse. Ces dispositions avaient été écrites en latin, il les fit traduire et lire en grec, afin que personne n'en ignorat (2).

Ainsi, nous voyons encore les Français faire traduire en grec la deuxième partie des Assises de Jérusalem, qui d'abord avaient été proclamées dans leur idiome

(*) Τὸ περὶ οὗ ὁ λόγος περιεργότατον νομικόν γράμμα, δὲ οὗ Γουλίαλμος ντὲ Καντζηλιές, κανόνικος καὶ καντοῦρος τῆς ἁγιωτάτης μητροπόλεως τῶν ̓Αθηνῶν παραχωρεῖ χωράφιόν τι ἐκ τῆς κανονικαίας του προς Γρηγόριον τὸν Χαμάχην ἐγράφη καὶ τοῦτο ἑλληνιστὶ ἐν ἔτει 1432 διὰ χειρὸς Νοταρίου καὶ Καντζηλιέρου ̓Αθηνῶν Νικολάου Καλκοματα, φέρει δὲ τὰς λατινικὰς ὑπογραφὰς τριῶν ἀιδεσιμω· τάτων κανονικῶν τῆς μητροπόλεως ̓Αθηνῶν. Nouv. Recherch. t. II, p. 290-91.

- Acta et diplomat. σɛλ. 255-56. P. 57.

(*) Liv. de la Cong, p. 297. Romanos. p. 58.

originaire. Cette seconde partie, qui déterminait les droits des Grecs relativement à ceux des Français, portait ce titre : Βιβλίον τῆς αὐλῆς τῆς Μπουργεσίας, ἤ τῆς κρίσεως τῆς ἀυλῆς τοῦ Βισκουντάτου (1).

Les chevaliers de Rhodes, les rois de Chypre, toutes les fois qu'ils paraissaient en public dans les circonstances graves et sérieuses, ne faisaient usage que de la langue grecque, soit pour empêcher leurs sujets de se tromper sur leurs intentions, soit pour leur enlever tout désir de manquer à leurs ordres. On conserve dans ce genre des pièces écrites, dont les plus dignes d'attention sont celles du grand-maître de Rhodes, Jean de Lastich, pour exciter, en 1440, les peuples à la contre les Sarrasins (3).

guerre

Les rapports sociaux et politiques augmentant chaque jour dans une proportion plus grande, il n'est pas étonnant de voir augmenter aussi le nombre des personnes qui parlaient grec. Ainsi, par exemple, Guillaume de Villehardouin, né à Calamatta, parlait à la fois avec facilité, la langue grecque et la langue française:

ὁ πρίγκιππας, ὡς φρόνιμος, ῥωμαίϊκα τὸν ἀπεκρίθη (3).

Ancelin de Tucy, frère de Philippe de Tucy, Bayle de Constantinople, né en Grèce, est cité comme ayant connaissance du grec :

Διατὶ ἦτο ὁ μισὺς ̓Ανσελὴς ἄνθρωπος παιδεύμενος

ταῖς τάξαις ἤξευρε ἀκριβῶς, τὴν γλῶσσαν τῶν Ῥωμαίων (1).

Un nombre infini de pièces qui existent dans les archives ou qui ont été publiées dans les Recueils (5)

(1) Historia Juris Græco-Romani delineatio. Auctore C. E. Zachariæ. Heidelbergæ, 1839, p. 139-190 cité par M. J. Romanos, p. 59.

(2) Acta et diplomata Græca, t. III, p. 282. J. Romanos, p. 60.

(3) Liv. de la Cong. 2805.

(Ibid, 3905-6.

() Acta et dipl. t. III, 339-339-248-256.

prouvent que la maison florentine des Accaiciuoli faisait usage de la langue grecque. Françoise, femme de Charles de Tocco, comte de Céphalonie, duc de Leucade, seigneur d'Arta, a laissé plusieurs diplômes écrits en grec (1428) et elle signe elle-même Þρáyyioxx yapítı θεοῦ Βασίλισσα Ρωμαίων. C'est aussi cette signature qu'elle appose sur des actes écrits complétement en français. Cette particularité rappelle à M. J. Romanos celle-ci, qui n'est pas moins curieuse : le dernier des empereurs francs, chassé du trône de Constantinople, faisait circuler en Europe, pour y demander des secours afin de reconquérir son pouvoir, des diplômes latins portant, en cinabre, le chiffre grec dont il se servait quand il régnait.

On se figure sans peine à quels outrages était exposée la langue grecque de la part des ignorants qui la parlaient ainsi. Quand on lit dans le livre de la Conquête ('): « Si ordina deux frères meneurs, qui bien savoient la langue grégoise, car ils estoient nourris â Galathas et les envoia au despot, " il ne faut pas croire que ces frères mineurs connussent l'idiome de Platon. La langue qu'ils parlaient était un langage bâtard, rempli de locutions françaises et italiennes. Plus cette langue s'abaissait, plus elle devenait facile, plus elle se répandait. Les Vénitiens n'en parlaient plus d'autre, c'était elle que les étrangers apprenaient dans leurs voyages, l'intelligence de cet idiome ne leur suffisait pas pour comprendre le grec littéral, et plusieurs, suivant le témoignage de François Philelphe, qui, avec ces seules ressources, entreprirent de traduire les anciens écrivains, n'entassèrent dans leurs versions que des fautes et des obscurités (2).

(1) P. 319

(9) Fr. Philelph. Epistol. p. 62, Venise 1502. Léonard. Arret. Epist. IV, 22, p. 139, édit. Mehus. Citation de M. J. Romanos. p. 67.

Pour beaucoup d'écrivains, même relativement instruits, il n'y avait nulle différence entre cette langue vulgaire et l'ancienne langue savante. On en voit une preuve curieuse dans le poème du florentin Boniface Degli Uberti. Cette composition du XIVe siècle porte le titre de Dittamondo. A l'imitation de Dante, Fazio Degli Uberti voyage dans le monde alors connu, sous la conduite du géographe Solin. Après avoir manifesté son savoir dans la langue française et dans celle de la Provence en introduisant des interlocuteurs de ces différents pays, il suppose qu'il rencontre sur les bords du Pénée le grec Antidamas. Celui-ci est censé parler la langue de son pays, mais Degli Uberti, peu fidèle à la vérité littéraire et à la couleur locale, lui fait parler le grec moderne. Le passage est intéressant, le voici

tout entier :

66

E giunti a lui, dalla bocca m'uscio :
Terá σou (1) e fu greco il mio saluto,
Perchè l'abito lui greco scoprio.

Ed egli, come accorto e provveduto,
Καλῶς ἦλθες, allora mi rispose
Allegro più ch'io non l'avea veduto.
Cosi parlato insieme molte cose:

εἰπέ μου, ξεύρεις φράγκικα; ed esso:

εἶναι Ρωμαῖος, ξεύρω, e pii chiose :

Ed io : παρακαλῶ σε, φίλε μου, appresso,

Μίλησε φράγκικα, ancora gli dissi.

Μετὰ χαρᾶς fu sua risposta adesso.

:

Quand nous fùmes venus à lui ces mots sortirent de ma bouche « bonjour! » et mon salut fut fait en grec, parce que je voyais en lui la tournure grecque. Et lui, en homme adroit et sensé : « Tu es venu bien à propos, » me répondit-il, plus gai que je ne l'avais vu. Ainsi nous parlâmes ensemble: « Dis-moi, sais-tu la

(1) Pour υγιειά σου.

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langue franque? » Et lui: « Je suis Romain, je la connais. » Et il se tut. « Je t'en prie, mon ami, lui dis-je, parle-moi la langue franque. "❝ Avec joie, pondit-il aussitôt (1). "

XXXII.

» me ré

Les expéditions des Français en Orient, la conquête de Constantinople surtout, ne furent pas sans influence sur l'étude du grec dans les écoles de Paris. Un seul fait dit tout. Avant la première année du XIII° siècle, les philosophes arabes et Aristote ne paraissaient point cités dans les écrits des Scolastiques, dit Amable Jourdain (2): en 1272, époque de la mort de Saint Thomas, on possédait des versions faites, soit de l'arabe, soit du grec, de tous les ouvrages du Stagirite. C'est donc dans un espace de soixante-douze ans que s'est produit le grand mouvement qui a transformé l'étude de la théologie dans les Universités françaises. On vit alors chez les docteurs de l'Occident se renouer la tradition des premiers temps du Christianisme, où Tertullien et Saint Basile cherchaient dans les livres des philosophes païens des moyens de répondre aux Gentils ou aux hérétiques (3).

(1) Dittamondo, liv. III, chap. XXIII. Moustoxydi (Alcune Considerazioni sulla presente lingua de'Greci. Antologia no 51. Marzo 1825. Firenze). Traduction greque par M. Chiotès. Zacynthe 1851. Note de M. J. Romanos.

(2) Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote, p. 210. Abelard conseillait aux religieuses du Paraclet, d'étudier pour se rendre capables de lire et d'entendre l'Ecriture Sainte. Il les félicite de ce qu'elles ont une abbesse qui peut leur apprendre le latin, le grec et l'hébreu; il se plaignait que l'étude du grec fût négligée. Il souhaitait que ces filles pussent réparer cette science que les hommes ont laissé perdre. Louis Ellies du Pin, Histoire des controverses et matières ecclésiastiques, etc, XII siècle, Analyse des lettres de Saint Bernard.

(3) Philosophari nos provocant hæretici, disait Tertullien (de Resurrec tione). »

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