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Charlemagne, la langue grecque avait été connue et usitée dans l'Occident.

C'est à dissiper cette ignorance presque générale, et à réparer l'injustice faite aux Italiens hellénisants que Gradenigo a consacré ses efforts.

Au commencement du XI° siècle, on vit apparaître en Italie quelques lueurs des études grecques. Des artistes venus de Constantinople fondirent les portes de la basilique Saint-Paul à Rome, et l'on y pouvait lire en caractères grecs les noms de quatre prophètes, Baruch, Ezéchiel, Daniel et Joël (1). C'était en introduisant à Rome tout à la fois leurs arts et leur langue que les moines grecs payaient l'asile, que les papes leur accordaient avec une si grande bienveillance (2).

Dès le XIe siècle à Rome, l'usage du grec s'était introduit dans la liturgie et dans le chant des psaumes. A Saint-Pierre, le grec s'unissait avec le latin dans la célébration des louanges du Seigneur. Les psaumes, les leçons, les symboles et d'autres prières se chantaient souvent dans les deux langues, comme on peut le voir dans les livres de liturgie publiés par le cardinal Tommasi et par Mabillon (3). On en trouve encore une preuve dans les lignes suivantes tirées d'un opuscule intitulé, Bibliotheca Veronensis MS, produit par le marquis Maffei : « Apostolorum symbolum et oratio dominica super masculos et feminas dicuntur et expo

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(1) VIIIe s. « Quare et in valvis æneis seculo XI, pro eadem basilica S. Pauli via ostiensi constructa, tam majores quos vocant, quam minores (propheta) recensentur ut constat ex litteris superstitibus quamplurium ex unoque numero ibidem adhuc spectandis nempe BAPOYX, IEZEXIHA, AANI HA, IQHA. » P. 29.

(2) P. 30. Ut enim ea ætate (dit Fapebrok), frequentes e græcia advenie bant monachi eleganter scribendi pingendique periti iconomachorum principum declinantes vesaniam; ita eorum imitatio passim crescebat in monasteriis, et græcanicæ litteraturæ affectatio placere incœperat etiam latine scribentibus.

(3) P. 31.

nuntur græca et latina lingua »; et ailleurs : « Leguntur igitur (sabbatho sancto) in quibusdam ecclesiis XXIV lectiones, XII græce, XII latine; græce propter auctoritatem LXX interpretum, quorum auctoritas floruit in græcia ; latine propter auctoritatem Hieronymi, cujus translatio prævaluit in italia. » Il est vrai de dire que les lignes grecques sont écrites en caractères latins, et cela ne nous oblige pas à croire que le grec fût alors connu de ceux qui lisaient ou récitaient ces leçons (').

Au même siècle on trouve des actes publics écrits en grec et en latin. Gradenigo en rapporte deux exemples. Un jugement rendu à Pavie en présence de l'empereur Henri II, l'an mil quatorze, offre entre autres signatures, la suivante écrite en grec et en latin Sicgefredus EYTнPHAOYE (2). Une seconde ordonnance rendue au nom de l'empereur dans la même année, à Pavie, offre la même signature en deux langues; on rencontre encore la même particularité dans une charte de l'année 1043 (3).

Voici des preuves plus concluantes : Un certain Papias appelé Papia Lombardo, a écrit, vers l'an mil, un dictionnaire latin étymologique, ou élémentaire dédié à

(1) P.33. La France, à la même époque, ne restait pas en arrière dans l'étude du grec, s'il est vrai que le duc Richard II, mort en 1028, attirait près de lui par ses bienfaits et ses récompenses, des évêques, des clercs, des abbés, des moines. On vit même des Grecs et des Arméniens quitter leurs pays et aller illustrer la Normandie par leur présence et leur savoir. Tous les ans, il venait auprès de lui un moine du mont Sinaï, Saint Siméon, qui savait cinq langues : l'égyptien, le syriaque, l'arabe, le grec et le latin. C'est de là sans doute que vient le manuscrit grec signalé par les rédacteurs de 'Histoire littéraire de la France, sous le n° 4954, qui contient l'office ecclésiastique à l'usage des grecs. Il y est marqué qu'il fut fait en 1022 par un moine nommé Helie. « Et ce qui fait croire que ce copiste était normand et qu'il écrivait en Normandie, c'est que son manuscrit est enrichi de l'alphabet des norvégiens. Il y a beaucoup d'apparence que l'original sur lequel fut faite cette copie, avait été apporté en France par quelqu'un de ces moines grecs, qui y venaient recueillir les aumônes du duc Richard.» (Hist. litt. de la France, t. VII. p. 67.)

(2) Muratori, Antichità Estensi, c. 54. (3) P. 33.

ses fils. L'ouvrage manuscrit a été vu à Turin par Gradenigo. Partout où il se présente quelque mot grec, Papia en donne la signification en latin; il interprète les mots grecs avec assez de compétence. L'exemple suivant avait déjà frappé le marquis Maffei au mot Charité, Papia cite cinq vers d'Hésiode, tirés de l'original grec. Voici comment il les donne et la traduction dont il les fait suivre :

Τρίς δὲ οἱ εὐρυνομυ χαρίτας τεκε καλλιπάργους
Ωλεανοῦ κουρη πολυήρατον είδος εδοσα
Αγλαϊην χαι ευφροσυνεν θαλίηντ ερατεινσω
Των κι απο Βλεφαρων ἔρος ειδεται δερχομεναων
Λυσιμελεσ χαλον δήποφρυοι δαχτυὄνται.

Trisque Jovi charitas præstanti corpore nata
Oceano tulit Eurinone. Si nomina quæris,
Aglaje prima: Euphrosine Thalieque sequuntur.
Ex oculis pulchrum aspiciunt intentius harum.
Sidereis irrorat amor lascivus ocellis (').

Cette citation se trouve à la page 26 du dictionnaire de Papia. Il adressait son ouvrage à ses fils.

Dominico Marengo, Patriarche de Venise, fut beaucoup plus versé que Papia dans la connaissance de la langue grecque. En l'année 1073 il fut envoyé par Grégoire VII vers l'empereur Michel, à Constantinople, pour rétablir l'unité entre les deux églises. Il écrivit à Pierre, évêque d'Antioche, une lettre en grec, que Cotelier a publiée dans le tome second des Monuments de l'Eglise grecque. Ducange fait mention de cet écri

() Voici les vers d'Hésiode si cruellement défigurés :

Τρεῖς δὲ οἱ Εὐρυνόμη Χάριτας τέκε καλλιπαρήους
Ὠκεανοῦ κούρη, πολυήρατον εἶδος ἔχουσα,
Αγλαίην τε καὶ Εὐφροσύνην, Θαλίην τ' ἐρατεινήν -
Τῶν καὶ ἀπὸ βλεφάρων ἔρος εἴβετο δερκομενάων
Λυσιμελής · καλὸν δὲ θ ̓ ὑπ ̓ ὀφρύσι δερκιόωνται.

Θεογονία, 907.

vain à la page XLIV du tome II de son glossaire Medic et infimæ græcitatis (').

André de Milan, Ambroise de Bergame sont désignés par Landolfo, au tome quatrième des Historiens de l'Italie, comme ayant été versés tous les deux dans la connaissance du grec. On y lit en effet les mentions suivantes : « De decumanis (dignité spéciale de l'Eglise de Saint-Ambroise) autem Andreas Sacerdos in divinis et humanis, græcis et latinis sermonibus virilis, seu decorus." Au chapitre 23° du même ouvrage, on lit: «Sermo Ambrosii in latinis litteris et græcis eruditi; ideo biffarius dictus (2).

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Sur la fin du XIe siècle, l'an 1086, un italien du nom de Jean passa à Constantinople et s'y fit remarquer par les doctrines étranges qu'il y répandit. Muratori, au tome III des Antiquités d'Italie pendant le moyen âge, cite le jugement que porte sur lui Anne Comnène au livre V de l'Histoire d'Alexis. Cotelier (3) déclare qu'il est connu des gens même d'une instruction médiocre. y a lieu de s'étonner que Fabricius n'en ait rien dit dans sa Bibliothèque, medice et infimæ ætatis (*).

Il

Quoiqu'il faille bien se garder d'attribuer à Jean l'italien les éloges qu'Anne Comnène fait de Michel Psellus, erreur qu'avait commise Muratori, il n'en est pas moins vrai, qu'au témoignage de la princesse Anne, Jean interprétait dans des leçons publiques, à Constantinople, les philosophes les plus renommés de

(1) P. 44.

(2) P. 44.

(3) T. 1, p. 375. dans les notes de ses Monumenta Ecclesiæ Græcæ. Paris, 1677.

(1) Edit. de Paris 1651. p. 144, de Venise 1720, p. 115. Voici le passage d'Anne Comnene : Παιδείας τοίνυν λογικῆς ἐξ ἐκείνων μετασχῶν καὶ Μιχαὴλ ἐκείνῳ τῷ Ψελλῷ ἐν ὑστέρῳ προσωμίλησεν, ὃς οὐ πάνυ τοι παρὰ διδασκάλοις σου φοῖς ἐφοίτησε. Διὰ φύσεως δὲ δεξιότητα, καὶ ὀξύτητα... εἰς ἄκρον σοφίας ἁπάσης ἐληλακώς, καὶ τὰ Ἑλλήνων, καὶ τὰ Χαλδαίων ἀκριβωσάμενος, γέγονε τοῖς τότε χρόνοις περιβοήτος ἐν σοφίᾳ. Τούτῳ γοῦν ὁ Ἰταλὸς προσομιλήσας...

la Grèce, Platon, Aristote, Proclus et Porphyre. Il est bien probable qu'il parlait grec. Le même historien fait remarquer qu'il n'avait pu attrapper la vraie prononciation, et qu'en écrivant le grec il lui échappait souvent des solécismes et des barbarismes. Il y a en outre dans les manuscrits de la Bibliothèque de Vienne un livre grec de Jean l'italien sous ce titre : Μέθοδος ρητορικῆς κατὰ σύνοψιν (1).

Lami fait observer (2) que le grand nombre de manuscrits grecs conservés à Florence, et qui datent du X et du XI° siècle, attestent combien l'érudition grecque fut alors répandue dans cette cité que Marcello Adriani appelle la mère et la nourrice des belles connaissances et en particulier des lettres grecques, « madre e nutrice delle belle cognizioni, e in particolare delle lettere grecche." Angelo Maria Bandini (3), confirme ce témoignage (*).

Un autre érudit nommé Manni, tire les mêmes inductions des peintures et des inscriptions qui remontent aux mêmes siècles (5).

(1) V. Lambecius liv. 7, p. 149, des Commentaires sur la Bibliothèque impériale. Vienne 1665. p. 48.

(2) Part. 1. Odopericon p. 229, Florentiæ.

(3) P. XXVI de la Préface. Specimen litteraturæ Florentina seculi XV. Florentiæ 1748.

(4) P. 49. Seculo X et XI nonnullos latinis non modo sed et græcis litteris incubuisse crediderim, et quod insignia veterum codicum per ea tempora conscriptorum exemplaria græca et latina in bibliotheca monachorum Casinensium Florentiæ, ea tempestate constructa adserventur. »

(5) Dalle pitture, mercechè io conservo cinque pitture, alcune delle quali sono assolutamente del secolo XI, se piuttosto non vogliamo dire del X..., che hanno inscrizioni grecche, e non solo nomi, ma inscrizioni di più righe o linee con varie abbreviature condotte, che mostrano la perizia in esse de gli Artefici... ❤

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