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accents, le caprice qui les lui fait omettre sur certains mots, placer sur d'autres, désigne également une insuffisance notoire d'instruction. Rappelons toutefois à sa décharge que pendant longtemps, jusqu'au début même de notre siècle, on se dispensa d'écrire les accents. Des hommes de grand savoir, Brunk par exemple, manquaient à cette règle de l'orthographe grecque.

Le livre IV et le livre V sont ceux où l'on rencontre le moins de mots grecs, on n'en trouve qu'un dans le Vec'est opáλuara; quelques uns à peine dans le livre VI inachevé comme nous avons dit plus haut. Dans la relation de sa légation à Constantinople, la partie la plus intéressante de ses écrits, on note Baλéz, Põya, στεφάνα, ἄσκοπον, προέλευσιν, μέδων, πολλὰ ἔτη, parakinumenos, symphona, ταπεινὲ και ταλαίπωρε, πήγας, Εντόλινα, chelandia, ειρωνικῶς, ὁράσεις, λέων καὶ σκίμνος ὁμοδιώξουσιν ὄναγρον, perivolia (περιβόλαια) αμφίσβητον, Keramicum, κωλυόμενα, ποιότητα, και ποσότητα, mandrogerontes (Eunuchi), kitonita. Tous ces mots, quand ils ont la forme grecque, sont écrits avec plus de correction et de soin que ceux que nous avons relevés dans l'Antapodosis. L'évêque d'Espagne auquel Luitprand s'adressait dans cet ouvrage, ne lui faisait éprouver sans doute ni le respect ni la crainte que lui inspiraient Otton 1er et sa noble épouse Adélaïde, auxquels il dédiait la relation de son ambassade à Constantinople.

Si les fautes et les imperfections que nous avons montrées dans les expressions grecques, dont Luitprand a décoré ses écrits, nous font regretter qu'il n'ait pas mieux profité de son séjour à Constantinople, il n'en est pas moins vrai qu'il a fait preuve de zèle pour le grec. Peut-être, le savait-il mieux entendre et lire que parler; cela n'a pas été rare après lui. On voit qu'il connaissait Platon ('). Il avait certainement feuilleté

(1) Antap. I, 12, Legatio. c. 26..

Homère. Il fait des emprunts à l'Iliade (1). Dans la citation de Lucien que nous avons relevée, il abrége en une phrase quelques pages de cet auteur avec beaucoup de netteté et de sûreté. Il cite, d'après le texte grec, le passage de Saint Marc (2), relatifà la difficulté qu'éprouveront les riches à entrer dans le royaume des cieux, et il se montre partout fort versé dans l'Ecriture Sainte (3). Il est d'ailleurs impossible de révoquer en doute son érudition latine. Il cite Virgile, Térence, Plaute, Horace, Juvénal; il leur fait des emprunts, et l'on peut dire qu'à l'époque où ses écrits ont été composés, il eût été rare de trouver beaucoup d'hommes aussi lettrés que lui. On peut regretter que la mort l'ait enlevé trop tôt, il eut pu mettre plus amplement à profit les connaissances qu'il avait acquises dans son voyage en Orient.

N'oublions pas que d'autres diplomates que Luitprand, furent envoyés à Constantinople pour négocier le mariage de la princesse Théophanie, ce furent Jean de Calabre ou de Plaisance, et Bernard de Vurtzbourg (*). Il n'est pas étonnant que Jean, né dans la Calabre, ait su le grec, puisque c'était la langue de son pays, mais à Wurtzbourg, la connaissance et l'étude de la langue grecque, ne pouvaient être qu'un ornement curieux, et l'effet des soins qu'on prenait déjà en Allemagne de s'instruire.

La princesse Théophanie devenue l'épouse d'Otton II, ne contribua pas peu à maintenir cette étude en hon

(1) Antap. I. 12; Iliade, I, 62; Antap. III, c. 35; Iliade, I, 23, III, 377; Antap. III, 25, IV, 4; Odyssée, VII, 24.

(2) Saint Marc, 10, 25, facilius est camelum per foramen acus transiri, quam divitem intrare in regnum cælorum, ευκοπώτερον γαρ εστην καμηλον δια τρυμαλίας ραφίδος εισελθεῖν η πλουσιον εἰς τὴν βασιλείαν του θεοῦ. Eucopoteron gar estin camilon dia trimalias rafidos iselthin i plusion is tin basilian tu theu.

(3) Cramer, 48.

(4) Schoell. Hist. de la litt. III, 491.

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neur. On la voit en inspirer le goût à son fils Otton III. Nous avons parlé plus haut de la demande que ce prince faisait à Gerbert de lui apprendre le grec et l'arithmétique. Il voulait que le savant français le perfectionnât dans cette science. Il lui écrivait donc : « Volumus vos Saxoniam rusticitatem abhorrere, sed Græciscam nostram (a matre acceptam) subtilitatem ad id studii magis provocare quoniam si est, qui suscitet illam, apud nos invenietur Græcorum industriæ aliqua scintilla. Cujus rei gratia, huic nostro igniculo vestræ scientiæ flamma abundanter apposita, humili prece deposcimus, ut Græcorum vivax ingenium Deo adjutore suscitetis, et nos arithmeticæ librum edoceatis, ut pleniter ejus instructi documentis aliquid priorum intelligamus subtilitatis. » Il nous semble que les rédacteurs de l'Histoire littéraire de la France dont nous avons rapporté le témoignage ('), et M. Cramer, qui le reproduit, se trompent sur le sens de ce passage. On ne peut pas en induire qu'il demandât à Gerbert de lui apil en avait reçu l'enseignement de son prendre le grec maître Jean de Calabre et de sa mère, mais il veut perfectionner son éducation par l'arithmétique. Il se sent disposé par les dons de sa naissance à faire des progrès dans cette science, il se rend bien compte des qualités heureuses qu'il doit au sang grec qu'il a reçu; il n'a besoin que d'une chose, c'est qu'on excite son génie naturel et qu'on le perfectionne. Gerbert rend de son côté également hommage à la facilité grecque de son esprit; il reconnaît en lui une faculté oratoire qui l'étonne, et il fait ressortir ce qu'il y a de singulier dans la personne de ce prince, romain par son père, grec par sa mère, qui peut puiser des deux mains aux trésors de l'Italie et de la Grèce : « Ubi nescio quid divinum ex

(1) T. VI, p. 588.

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primitur, cum homo genere Græcus, imperio Romanus quasi hereditario jure thesauros sibi Græcæ ac Romanæ repetit sapientiæ (1). »

Otton III avait également pu apprendre le grec dans la conversation de son père. Celui-ci n'avait dû son salut qu'à la connaissance de cette langue, dans la grande défaite qu'il subit en Calabre (982) contre les Grecs et les Sarrasins réunis. Il put se faire passer pour un grec et un simple soldat, en parlant grec avec les ennemis qui l'avaient fait prisonnier. Joignant beaucoup d'audace et d'agilité à ce premier avantage, il sauva sa vie et sa couronne dans cette circonstance difficile (3).

XXVI.

Gian Girolamo Gradenigo a recherché les noms des écrivains d'Italie qui, du XIe siècle au XV, ont connu la langue grecque. Nous empruntons à son travail intitulé Ragionamento istorico-critico intorno alla letteratura Greco-Italiana (3) les renseignements qui suivent.

Il s'étonne que Vossius, dans son étude de Scriptoribus Græcis, que Boechler, dans son petit traité de Scrip

(1) Gerberti, Epist. 54; Duchesne, Script. Francorum, t. II, p. 789-827. (2) Martin Crusius. Annales Suevici. p. 147. Voici comment Sigonius raconte cette aventure: «Terrore namque tantæ defectionis perturbati, violenter incubantibus hostibus, fusi, concisi, fugati fuere. Ac victor exercitus si recta Romam contendisset, haud difficulter ejus potitus fuisset... thesauri imperatoris capti et direpti. Ipse abjectis impedimentis, fugere contendit ad sinum Carentinum, oppidumque in eo littore Rossanum... Persequentibus vero Sarracenis, in mare desiliens, natatu elabi conatur. Sed ab hostium manibus interceptus, inque navim sublatus, se militem gregarium simulat græce cum eis colloquens, ac vim auri sibi esse Rossani dicens. Quo allato ad littus, dum illi pecuniis avidius intenti, Ottonem minus observant, saltu is se proripit, equum pernicem arripit, in eum se conjicit, velocissime Rossanum avolat; ad uxorem evadit. Ita divinitus, beneficio ignorationis hostilis, scientia linguæ græcæ, vigore mentis, agilitate corporis, conservatus est. >

(3) Brescia, 1759.

toribus græcis et latinis ab Homero ad initium sæculi post Christum natum decimi sexti (1708) n'aient fait aucune mention des hellénistes italiens, dont ils s'est appliqué à retirer les noms de l'oubli où ils étaient tombés. Laurent Inghevald, Laurent Reinhard, ont partagé la même erreur. Quand ils ont voulu parler de la restauration des lettres grecques en Italie, en Allemagne, en France, ils ont négligé d'étudier le moyen âge. Ils ne font remonter qu'à Manuel Chrysoloras, les premières connaissances du grec en Europe (1). Humphry Hody (1742) va un peu plus loin dans son livre De Græcis illustribus linguæ Græcæ, etc, mais il ne dépasse pas l'époque où vivaient Pétrarque et Boccace, auxquels il attribue la gloire de s'être les premiers appliqués à l'étude de la langue grecque. Eusèbe Renaudot, dans sa dissertation sur les Traductions Arabes d'Aristote, n'est guère plus favorable au moyen âge que les auteurs cités plus haut. Il n'attribue qu'à un très-petit nombre de savants la connaissance des lettres grecques. Il affirme que, malgré la fréquence des relations de l'Occident avec Constantinople, nos écrivains n'ont presque point tiré profit des livres grecs (2).

Adrien Valois était mieux renseigné quand, dans ses notes sur un éloge anonyme de l'empereur Béranger, publié par Muratori (3), il disait que depuis

(1) P. 10.

(2) P. 21. « Licet ab anno 1096, quo Hierosolymitana urbs in christianorum potestatem venit, multa essent Græcos inter, atque Europæos commercia, pauci tamen admodum ex istorum numero græce sciebant, et ex ipsa Græcia studiis humanioribus, aut philosophicis subsidium ex transmarina expeditione exiguum omnino comparatum est, vel prope nullum. »

(3) T. II, p. 1. Scriptorum rerum Italicarum, p. 587. Post occupatum a Carolo magno imperium occidentis, cum nostros inter et Græcos crebra essent epistolarum commercia, cœpit in occidentalibus nosci, et in usu esse lingua græca, quod qui scriptores nostros Eginardum, Abbonem, Luitprandum, Dudonem, aliosque legerit facile agnoscet græca verba, aut pro verbia latinis inserta. »

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