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de pourpre. Des divertissements et des jeux d'un goût bizarre accompagnaient ces richesses.

Luitprand en décrit plusieurs, nous choisissons celuici pour l'offrir à nos lecteurs : « Il parut un homme qui sans le secours de ses mains portait sur la tête, une pièce de bois, longue de plus de vingt-quatre pieds au haut de laquelle était un travers d'une coudée, et au bas un autre travers de deux coudées. On amena ensuite deux jeunes garçons qui étaient tout nus à la réserve de l'endroit que l'honnêteté ne permet pas de nommer, et qui montèrent au haut de la pièce de bois sans empêcher qu'elle ne demeurât aussi ferme et aussi droite, que si elle eût tenu à terre par des racines. L'un des deux étant descendu, l'autre fit des tours qui me jetèrent dans un profond étonnement. Il demeura longtemps au haut de la pièce de bois, se tenant en équilibre et se balançant également, puis en descendit sans se faire aucun mal. "

On s'attendrait à trouver d'autres divertissements dans la Cour de Constantinople. Cette première ambassade de Luitprand dura quelques mois. Il les mit à profit pour apprendre la langue grecque courante.

Lorsqu'en 968 il retourna à Constantinople, il s'était fait une grande révolution en Italie. Bérenger avait été chassé et Otton régnait à sa place. C'était la puissance germanique qui s'établissait dans toute la péninsule avec l'appui du pape. Otton qui prenait le titre d'empereur, voyait à regret les Grecs garder encore dans le sud la Calabre et l'Apulie. Il cherchait les moyens de les en déposséder. Il s'arrêta au projet de proposer à Nicéphore Phocas une alliance matrimoniale en faisant épouser la fille de l'empereur d'Orient à son fils Otton. Pour le faire réussir il jeta les yeux sur l'évêque de Crémone. Ses antécédents diplomatiques le recommandaient à l'empereur. Luitprand reçut donc mission

de négocier ce mariage et il partit dans l'attirail d'un ambassadeur germain, accompagné de quelques officiers qui parurent à Constantinople comme des demibarbares (1).

La cour grecque avait deviné les projets d'Otton. Elle ne vit venir le diplomate Luitprand qu'avec une grande défiance et même avec beaucoup de haine. A peine eut-il mis le pied à Constantinople que l'évêque de Crémone jugea les dispositions de Nicéphore à son égard. Il était difficile de s'y méprendre d'ailleurs, car il ne lui épargna nul affront. Luitprand demeura vingt jours à la cour, et ce ne fut qu'une suite d'avanies. Le récit qu'il en a fait, adressé aux deux Otton et à Adélaïde, l'épouse de l'empereur, est tout plein de ses ressentiments et de ses rancunes. Dans sa colère il ne ménage rien. Toute chose est par lui tournée en ridicule. Nicéphore est un monstre. « Ila, dit-il, une taille de pygmée, une grosse tête, de petits yeux, une barbe courte, large, épaisse, entremêlée de blanc et de noir, un cou fort court, des cheveux fort longs et fort noirs, un teint d'Ethiopien, et capable de faire peur à qui le rencontrerait dans l'obscurité de la nuit, de longues cuisses, de courtes jambes, un habit déteint et usé, une chaussure étrangère, une langue piquante et ingénieuse, un esprit dissimulé et fourbe."

Rien ne trouve grâce devant lui, il s'égaie sur le cérémonial de la cour, et le présente à ses lecteurs de manière à provoquer des rires méprisants; c'est ainsi qu'il dépeint une troupe de marchands et de bourgeois de Constantinople armés de petits boucliers et de traits, assemblés et rangés en haie des deux côtés des rues, depuis le palais de Nicéphore jusqu'à la porte de SainteSophie, avec une foule de pauvres gens, les pieds nus,

Mamboling Buvval uehérα. Athènes 1858.

ramassés au même lieu pour rendre la cérémonie plus imposante. « Les grands de la cour passèrent au milieu de cette foule, vêtus de tuniques fort vieilles et fort usées, et je ne crois pas qu'aucune eût été portée neuve par leurs bisaïeuls: nul n'était couvert d'or ni de pierreries, à la réserve de Nicéphore à qui les ornements impériaux, qui n'avaient point été faits pour lui et qui ne convenaient point à sa taille, ne servaient qu'à le rendre plus difforme et plus ridicule. La moindre de vos robes vaut mieux que cent des robes de ces grands de Constantinople. On me mena à cette procession et on me plaça dans un lieu élevé pour les chantres. Quand ce monstre commença à marcher, les chantres commencèrent à chanter par une basse flatterie : « Venez étoile du matin, venez aurore, venez bel astre, dont la lumière efface celle du soleil. Venez la terreur et la mort des Sarrasins; Prince Nicéphore! au prince Nicéphore plusieurs années! Peuples, rendez-lui vos respects, et vous soumettez à sa puissance. » Ils auraient chanté avec plus de raison : « ne viens pas, tison infernal, visage de Sylvain, rustique, farouche, grossier, barbare, cruel et insatiable Cappadocien."

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Toutes les fois que la conversation s'établit entre l'Empereur et le plénipotentiaire d'Otton, elle finit en termes aigres et offensants. Nicéphore ne ménage pas ceux qu'il appelle des barbares, des Lombards, des Saxons; Luitprand les défend avec une hardiesse généreuse. Les soldats de votre maître, dit l'Empereur, ne savent l'art de combattre ni à pied ni à cheval. La grandeur de leurs boucliers, la pesanteur de leurs casques et de leurs cuirasses, et la longueur de leurs épées les empêchent de combattre; mais rien ne les en empêche si fort que leur taille prodigieuse et la grosseur excessive de leur ventre, qui est leur Dieu. La débauche fait toute leur hardiesse, et l'ivresse toute leur

force. Il n'y a rien de si faible qu'eux, quand ils sont à jeun, rien de si lâche quand ils sont sobres. Votre maître n'a pas un grand nombre de vaisseaux. Il n'y a que moi qui suis puissant sur mer. Quand je voudrai attaquer votre maître, je ruinerai toutes ses villes maritimes et réduirai en cendres tout ce qu'il possède à l'embouchure des fleuves. Que s'il est trop faible sur mer pour me résister, il ne l'est pas moins sur terre. Il n'y a pas longtemps qu'avec sa femme, son fils, et les troupes de Saxe et de Souabe, de Bavière et d'Italie, il assiégea une place de nulle importance, et ne la put prendre. Comment donc soutiendra-t-il ma présence quand je paraîtrai à la tête d'une armée où il y aura autant de vaillants hommes qu'il y a de grains de blé au mont Gargare, de grains de raisin à Lesbos, d'étoiles au ciel et de gouttes d'eau dans la mer. "

A ces forfanteries l'Empereur ajoutait l'insulte : "Vous n'êtes pas des Romains, disait-il, vous êtes des Lombards." Luitprand ne reste pas muet; il repousse hardiment ces outrages. « Vous n'avez pas lieu de vous glorifier de votre origine, réplique-t-il à Nicéphore. Romulus était fils d'une prostituée, il était l'assassin de son frère, ses compagnons ne valaient pas mieux; c'étaient des fugitifs, des homicides, des débiteurs insolvables. Voilà la véritable noblesse de ces empereurs que vous appelez les maîtres du monde. Mais nous, tout ce que nous sommes de Lombards, de Saxons, de Français, de Lorrains, de Bavarois, de Souabes, de Bourguignons, nous avons un si grand mépris pour les Romains, que quand nous sommes en colère contre quelqu'un et que nous lui voulons dire une injure, nous l'appelons Romain ('). »

On conçoit que l'empereur n'eût que de la colère

- Pertz. t. III, Antapodosis.

pour un si rude interlocuteur, et qu'il ne lui épargnât aucun désagrément.

Mis en présence de Léon Curopalate et de quatre officiers de Nicéphore, tous hommes fort habiles et fort éloquents, Luitprand expose sa mission. « Je suis venu, dit-il, pour proposer un mariage qui serait le lien d'une longue paix. » Voici la réponse qu'il reçut : « Il est inouï qu'une princesse née dans la pourpre s'allie à des étrangers. Néanmoins puisque vous cherchez une alliance si relevée, vous la pourrez obtenir en donnant Ravenne et Rome avec les pays qui s'étendent depuis ces deux villes jusqu'à notre frontière. Que si, sans faire de mariage, vous voulez faire un traité de paix, que votre maître laisse la ville de Rome dans la liberté et qu'il remette les princes de Capoue et de Bénévent dans leur premier état, où ils relevaient de cet Empire contre lequel ils ont eu l'insolence de se soulever. "

Si la politique les divise, la théologie est loin de les rapprocher. A certaines moqueries de Nicéphore, Luitprand laisse exhaler toute l'amertume de son cœur orthodoxe, toutes les prétentions d'un homme d'Occident. "Toutes ces hérésies sont nées chez vous, et sont crues parmi yous; elles ont été étouffées ici par les ecclésiastiques et les évêques d'Occident. Le livre d'Eutychès a été brûlé par Grégoire. Evode, évêque de Pavie, ne fut-il pas, autrefois, envoyé par le Pape à Constantinople pour y éteindre une autre hérésie qui s'y était élevée. »

On ne peut s'étonner qu'après des débats si passionnés, sur des questions si difficiles à traiter de sang-froid, l'Empereur ait cherché à déplaire à Luitprand. C'est du moins ce que s'imagine le malencontreux diplomate. Il se croit en butte aux malices de l'Empereur. Dans les petits désagréments qu'un étran

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