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Le poème IV n'offre qu'un mot grec, il se trouve au vers vingt-sixième :

Quam Karolus reperit fortis et almus žvaž.

Le poème V a pour sujet la résurrection du Christ. On y remarque le vers quarante-septième:

Προσευχῆς petimus votis et corde precamur.

Le quarante-huitième et le quarante-neuvième sont complétement grecs:

Βασιλέει Καρόλῳ ἡμῶν σὺ Χριστὲ βοήθει

ὡς κληροῦσθαι χόρους δυνατὸς οὐρανίους.

Les pièces qui portent les chiffres VI et VII, consacrées à la descente du Christ aux enfers se terminent ainsi :

Στοῖχοι Ἰωάννου τῷ Κυρίῳ αὐτοῦ ἄνακτι Καρόλῳ.

Στοίχοι τοῦ Ἰωάννου τῷ Κυρίῳ αὐτοῦ ἄνακτι Καρόλῳ.

La pièce huitième, de Verbo incarnato, est celle qui est la plus diaprée d'expressions grecques. On y trouve au premier vers οὐρανίας; au sixième γνόφος (p. δνόφος) κορυφήν; au septième, Θεσμόν ; au huitième, ταρσῶν; au dixième, épʊyas; au onzième, Çox; le quatorzième peut bien passer pour être grec quoi qu'il soit écrit en caractères latins in genus, in species rhythmosque chronosque, toposque; au dix-huitième, Alyn. Viennent ensuite trois vers grecs qui se suivent, vingt, vingt-et-un, vingt-deux :

Φοίβη, καὶ στίλβων, καὶ φῶς, καὶ Ἥλιος, Αρης,
Φοίτων καὶ Φαίνονος ἄκροι περὶ κλίματα πάχνη

Ἑξῆς τοῦ κόσμου κέντρον Θέτις ἄσχετον ἅλας.

Au vingt-troisième, évveάployyos; au vingt-quatrième, tas; au vingt-septième, wý. Les trente-troisième et trente-quatrième sont grecs:

ὢν τέλος, ὢν ἀρχὴ πάντων, ὢν ὄντα τὰ εἰσίν,
ὢν ἀγαθὸς καὶ καλός, κάλλος, μορφῶν τε χαρακτήρ.

Au trente-sixième avрws; au trente-huitième, рóуovos; au trente-neuvième, λutpathy; au quarantehuitième, vouote λóyos te; au quarante-neuvième, xpκικά, φύσις, αὐγάς ; au soixantième, παρθένος; au soixantedeuxième, yxotp; au soixante-sixième, avopz; au soixante-onzième, qúov; au soixante-douzième, qúois.

La pièce IX qui porte dans le titre en lettres grecques le nom de l'auteur Versus Iohannis Ckolot, n'a que trois mots grecs, au vers quatrième adŋv, au vingttroisième σάρξ, au quarante-neuvième σταυρῷ.

Le poème X s'intitule Preces pro Karolo, on y lit au vers quinzième :

Vota tui τέκνου Karoli tua λείψανα sancta,

au vers dix-neuvième Harmonici Cantus Olaowtov. La pièce XI est celle qu'Usher a citée; au mot Onévo que nous avons déjà relevé, il faut ajouter σπένδω σταθμῷ.

Le poème XII et dernier, de Magno Dyonysio Areopagita, présente au troisième vers σλývηy; au quatrième σταυρῷ; au vingt-et-unième ἀρχῶν ἀρχαγγέλων τε chorus ἀγγέλωντε, τελαυτῶν, ce dernier mot a été sans doute estropié par les copistes; au vingt-deuxième, táğış.

Ampère en parlant de cet usage d'intercaler même dans les vers latins des mots grecs, et des vers grecs entiers (1) dans une pièce latine, dit qu'il lui semble voir un débris de statue ou un tronçon de colonne antique dans un édifice de la décadence (3). Ces débris sont quelquefois mutilés et méconnaissables, chez Scot Erigène, malgré l'ignorance des copistes, les fragments

(1) Pour les mots grecs dans des vers latins, voir le Recueil des historiens français, t. VII, p. 311 et 314.

(2) Tome III, p. 217.

grecs, sont plus entiers; la main qui les dispose en marqueterie en connaît davantage la valeur.

Scot Erigène, en flattant la manie de son âge, nous a laissé la preuve que la cour de Charles-le-Chauve était, pour dire comme Ampère, « plus savante, plus lettrée; le grec, en particulier, y était plus connu qu'on ne serait porté à le croire en songeant aux agitations du IXe siècle. » Charles-le-Chauve y prenait grand plaisir et Scot ne perdait pas son temps lorsqu'il enchassait des mots grecs dans ses vers latins; il savait que l'empereur en serait ravi. Ses autres correspondants n'étaient pas moins friands de ce « nectar hellénique. » Le „Le grec jouait dans cette société à peu près le rôle que l'espagnol et l'italien jouèrent au XVIIe siècle. Il n'y avait pas alors d'éducation complète sans la connaissance de l'une ou l'autre de ces deux langues et même de toutes deux. On sait l'usage qu'en fait Mme de Sévigné dans ses lettres. On peut bien dire qu'il en était de même du grec sous Charles-le-Chauve. Lorsque Scot adressait les vers suivants à Hincmar, assurément l'archevêque de Reims pouvait les comprendre :

Λαμπρότατος κήρυξ στίλβων κηρύγματος ἄκρου,
Ινκμαρὸς ζήτω φρόνιμος καὶ ἀξιάγαστος,

Ρήματος ὅπλα θεοῦ ζῶντος διὰ στόματος ἔχων.

M. Cramer rapporte cet éloge de Charles-le-Chauve par Scot; le prince qui en est le sujet, en pouvait déchiffrer les caractères et le sens, il n'y a nul doute làdessus :

Ορθόδοξος ἄναξ Φράγκων, τῷ δόξα τίμη τε
Θεσπέσιος καὶ ἄγαθος καὶ ἄκρος τε μόναρχος,
Ελπις τῆς πατρίδος, τῆς ἄξιος ἀθανασίας,

ὢν δὲ φέρων στέφανον χρύσεον, διαδήματα πατρῶν etc...
Εὔχετε ταῦτ ̓ ἄλλοι νῦν, εἶχε σὺ Φραγκία πᾶσα.

Cependant il n'y avait pas alors une telle abondance de grécisants que Louis-le-Pieux ne fût embarrassé

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quand il voulut faire traduire un livre grec qu'il avait reçu en cadeau de Michel-le-Bègue, empereur d'Orient. C'étaient les œuvres en grec de Denys (1) l'Aréopagite. Elles roulaient sur la hiérarchie céleste. Louis-lePieux, en 827, s'était adressé à Hilduin, bibliothécaire du monastère de Saint-Denis, pour en obtenir une traduction. Il fallait bien que ce moine eût la réputation de connaître le grec puisque le prince lui écrivait : « Monere te volumus, ut quidquid de Dionysii notitia ex Græcorum historiis per interpretationem sumtum, vel quod ex libris ab eo patrio sermone conscriptis ac tuo sagaci studio interpretumque sudore in nostram linguam explicatis, etc. (2). » Hilduin chercha à établir l'identité de l'Areopagite Denys converti par Saint Paul, avec Saint Denis venu au troisième siècle en Gaule; il attribua à ce dernier l'ouvrage mis, sans aucun fondement, sous le nom de l'Aréopagite, et qui n'a pas été écrit avant le Ve siècle; à l'aide d'une fausse érudition « il composa au patron des Gaules une pédantesque et mensongère auréole (3) » mais il ne put traduire le texte. Heureusement Jean Scot était là; il se mit à l'œuvre et c'est encore sa traduction qui sert aux lecteurs de Denys l'Areopagite.

Il ne suffit pas d'avoir montré que Scot Érigène savait le grec, il faut faire voir aussi quelle influence ces études eurent sur son esprit. Elle n'est rien moins que surprenante. Si les temps y avaient été favorables c'eût été dès lors une émancipation entière de l'intelligence, une anticipation sur le XVI° siècle. Nous avons déjà fait voir ce qu'il y avait d'indépendance et de libre savoir chez les Irlandais; Scot suit la tradition hiber

(1) Pépin-le-Bref l'avait déjà reçu du pape Paul 1er. Voir plus haut. Ozanam. t. II, p. 527.

(2) Staudenmaier, Joh. Scotus Erigena, und die Wissenschaft seiner Zeit, 1, p. 288 et 481, de Dionysio Areopagita, Cf. Fabric. Biblioth. Græca VII, p. 7 (3) Ampère, t. III, p. 112.

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nienne et ouvre une plus large voie à la raison. N'est-ce pas une chose singulière d'entendre au IX° siècle, le commensal de Charles-le-Chauve, le directeur de l'École du Palais écrire ceci : « La philosophie, l'étude de la sagesse n'est pas une chose et la religion une autre chose. Qu'est-ce que traiter de la philosophie, si ce n'est exposer les préceptes de la vraie religion suivant laquelle nous adorons humblement et nous poursuivons de mystère en mystère la souveraine et première cause de toutes les causes, Dieu ? D'où il suit que la vraie philosophie est la vraie religion, et réciproquement la vraie religion est la vraie philosophie. que C'est avec une hardiesse également surprenante qu'il prodit, selon la doctrine des hiberniens: « L'autorité cède de la droite raison, et nullement la raison de l'autorité. Or, toute autorité dont les décrets ne sont pas approuvés par la raison est une autorité sans valeur, tandis que la droite raison, établie comme dans une forteresse inexpugnable derrière le rempart de ses propres forces, n'a besoin d'être protégée par le secours tellement épouvanté pas d'aucune autorité. Je ne suis par l'autorité, je ne redoute pas tellement la furie des esprits inintelligents que j'hésite à proclamer tout haut ce que ma raison démêle clairement et démontre avec certitude. » C'est déjà le langage de Descartes.

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M. Hauréau qui fait ressortir la liberté des démonstrations de Scot, y reconnaît le dernier mot de l'audace antique. « Ce n'est pas la doctrine d'Aristote; il la méprise ni même celle de Platon, il va bien au-delà, c'est à la lettre celle de Proclus. M. de Gérando s'étonne aussi de voir la philosophie du moyen-âge débuter par un ordre de conception aussi singulier. » Cet étonnement doit cesser quand on se rappelle que Scot est un disciple des Grecs, quand on sait qu'il a pu s'instruire directement auprès des maîtres de la pensée humaine.

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