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estime et de son affection pour le savoir, aux personnes qui lui semblaient se distinguer par là. Il y eut donc une nouvelle floraison littéraire. Le grec qui avait dépéri avec le latin, reprit une nouvelle vigueur et un crédit plus considérable.

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Les historiens de Charles-le-Chauve ne lui ont point ménagé les éloges. Le biographe d'Herfroi, évêque d'Auxerre, dit de l'empereur: « il philosophe bien, et gouverne les philosophes de son Empire. Paschase Radbert lui dit en son langage versifié, qu'il est un soleil et que la science l'a mis au premier rang. Loup de Ferrières salue avec empressement la science qui refleurit à la Cour de l'empereur : « reviviscentem in his nostris regionibus sapientiam quosdam studiosissime colere pergratum habeo (1). » Heiric d'Auxerre, déjà cité par nous, lui dit surtout: « La Grèce se meurt d'envie en voyant qu'on la délaisse pour courir à nos rivages, et l'Irlande nous amène sur ses vaisseaux ses innombrables sages. Peu s'en faut que tout l'univers ne se soulève contre vous, qui, en vous efforçant de vous instruire vous et les vôtres, détruisez, dispersez les écoles des autres nations (2)."

(1) Epist. XXXV. L. Maître, p. 28.

(2) Launoi, De Scholis celebribus, p. 52, et de J. Scoto Erigena auctore anonymo, p. 16, ex edit Floss; Cramer. p. 33. -Luget hoc Græcia novis invidiæ aculeis lacessita, quam sui quondam incolæ jamdudum cum Asianis opibus aspernantur, tua potius magnanimitate delectati, studiis allecti, liberalitate confisi. Dolet, inquam, se olim singulariter mirabilem ac mirabiliter singularem a suis destitui; dolet certe sua illa privilegia, quod nunquam hactenus verita est, ad climata nostra transferri. Quid Hiberniam memorem pene totam cum grege philosophorum ad litora nostra migrantem? Cunctarum fere gentium, Cæsar invictissime, scholas et studia sustulisti, ita ut merito vocitetur schola palatium. >

XXIII.

J. Scot Erigène mérite à lui tout seul ces éloges, et il les justifie. Il est l'helléniste de ce temps; il tient école en grec, c'est lui qui a été le chef de ces hellénisants, Hélie, Heiric, Hubald et Remi. Une tradition qui n'est qu'une légende le fait voyager en Grèce et suppose qu'il s'est instruit dans Athènes (1). On en a dit autant de Boèce, et l'on sait pourtant que ce philosophe ne mit jamais le pied en Grèce. J. Scot s'est instruit dans l'Irlande, sa patrie, dans ces couvents hiberniens où des Grecs avaient déposé le germe des études qui n'ont cessé de se développer après eux, où des groupes distincts s'étaient formés, qui se consacraient à l'étude des Grecs et se désignaient de cette manière « Hellenici fratres. » Il fut entre eux l'un des plus brillants et des plus solidement instruits.

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Ce n'est plus un hellénisant à la manière d'Alcuin, ou d'Heiric, ou de Remi, ou de tous ceux que nous avons vus jusque-là, à l'exception de Cassiodore et de Boèce. Scot sait le grec pleinement, non pas de manière à faire parade de quelques mots jetés dans un texte latin; mais il est capable de le comprendre, de le traduire et même de l'écrire d'une manière courante et facile. Il a lu Platon, du moins le Timée, et semble avoir longtemps médité les doctrines de ce maître. Il connaît la doctrine d'Aristote et la méprise, pour lui préférer celle de Proclus. Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Saint Jean Chrysostome, Saint Basile,

(1) Roger Bacon lui prête ces paroles : « Nec reliqui locum nec templum, in quibus philosophi consueverunt componere et reponere sua opera secreta quod non visitavi, nec aliquem peritissimum, quem credidi habere aliquam notitiam de scriptis philosophicis quem non exquisivi. (Stauden. maier. p. 145 et 146, Cramer, p. 30.)

Origène lui sont également familiers. Il a appris l'astronomie dans Pythagore, la géographie dans Strabon, il les interprète avec soin dans son livre sur la Division de la nature, et l'on y trouve de fréquents emprunts faits à la langue grecque ('). Il y a plus, le titre de ce livre rapporté au XIII° siècle par Vincent de Beauvais, dans son Miroir historial, est grec «peri fision merismu. » Ce qui rend acceptable la supposition de M. Cramer, que cet ouvrage aurait bien pu avoir été écrit primitivement en grec. Si l'auteur avait eu recours à cette langue, c'était dans la prévision des embarras que la hardiesse de sa philosophie devait lui susciter plus tard.

Quoiqu'il en soit de cette supposition, Scot était capable d'écrire en grec (3). Il en a donné des preuves qui subsistent encore dans les poésies qui nous restent de lui. Déjà Usher dans son recueil avait cité une pièce adressée à Charles-le-Chauve, où se trouvaient quelques expressions grecques, témoin ce début (3) :

Hanc libam sacro græcorum nectare fartam,
Advena Joannes Spondo (*) meo Carolo.

L'auteur ne nous permet pas d'ignorer son dessein. Pour donner à son hommage plus de saveur et plus

(1) Edit. Floss. p. 49-1022. Quinque de divisione naturæ libris, et expositionibus super hierarchiam sæpe singula græca verba sunt immixta. Cramer, p. 31.

(2) Scotus non solum vertit Dionysii Areopagita hierarchiam, et quidem, ut Guilielmi Malmesburiensis utar verbis, de verbo verbum transtulit, quo fit, ut vix intelligatur Latina, quæ volubilitate magis græca quam positione construitur nostra, verum etiam adeo Græcus factus esse videtur, ut in rixis tunc inter Latinam et Græcam ecclesiam exortis, a Photii partibus staret, græcosque longe pluris quam Latinos haberet. Versioni enim Operum S. Dionysii hosce subjunxit versus:

Nobilibus quondam fueras constructa patronis,
Subdita nunc servis, heu! male, Roma, ruis.
Deseruere tui tanto te tempore reges,

Cessit et ad Græcos nomen honosque tuus.

Cramer, ibid. p. 30.

(3) Usher. p. 40.

(4) Pour σπένδω.

de prix, il veut mêler à sa composition le nectar des Grecs.

C'est la même méthode qu'on retrouve dans les pièces recueillies et publiées par le cardinal Angelo Maï au tome V, p. 426, de ses Auctores classici. Ce savant éditeur a donné douze poèmes de Jean Scot; à chaque vers à peu près, il y a un mot grec, quelquefois plusieurs vers se suivent écrits dans cette langue. C'est un jeu perpétuel. Quel que soit le sujet, Jean Scot trouve le moyen d'y introduire l'ornement qu'il suppose agréable à ses lecteurs. S'agit-il de Jésus crucifié? Scot débute ainsi :

Hellenas Troasque suos cantarat Homerus,
Romuleam prolem finxerat ipse Maro,
At nos cœligenum regis pia facta canamus
Continuo cursu, quem canit orbis ovans.
Illis illiacas flammas subitasque ruinas,
Trojarum que payas dicere ludus erat.

Le vers trente-huitième du même morceau offre un mot grec:

ólít; fortis reseravit claustra profundi.

Le second poème a pour titre de Cruce et on y voit au vers douzième cette allusion à un lieu célèbre dans Athènes par l'éloquence de ses orateurs:

Te nostra dehinc justo modulamine laudat.

Et sur ce vers Angelo Maï écrit cette note: « Rursus noster utitur in Græcis versibus hoc vocabulo. „

Ιδε βαθου (sic) θανάτου τὴν τοῦ ταφθέντος ἔγερσιν

Καὶ ζῶντι Χριστῷ πνὺξ μελόδημα βία.

Au vers trente-deuxième:

Si quis cybox; discit amare notas,

Au quarante-troisième :

Tunc λayux canit gaudens multumque triumphans.

L'éditeur ajoute encore dans une note ces exemples d'hellénisme:

et encore:

De nostro Karolo pacem qui sceptra dedisti,
Χριστὲ σῶσον Κάρολον τῷ τὴν βασιλείαν ἔδωκας,

Εἰρήνη πιστῷ δήμῳ, βασιλέϊ ή κλέος ἄκρῳ.

Cette même pièce sur la croix s'achève par ces deux

vers:

Ορθόδοξος ἄναξ, ευσεβής, κλύτος ὁπλίτης

Σώφρων χριστοφόρος, Κύριος ὁ Κάρολος.

M. Cramer qui rapporte ces vers donne à la fin du premier ἔγκλυτος ἄρχος. Le vers soixante-onzième de ce morceau offre encore un mot grec:

un dum lætus, regi mea debita solvo.

Nous continuons à recueillir ces accidents helléniques, dans le poème III qui a pour objet de célébrer la fête de Pâques, au vers dixième:

Vestitur que suis frondibus et λαχάνοις.

Au vers quarante-quatrième :

aquara dispersim Thetidis ima tegunt.

Au vers quarante-cinquième :

Hæc fuerunt venturi ivoλuata Christi.

Dans cette même pièce au vers vingt-quatre, le mot ophis a sans doute été mal copié et il faudrait le rétablir ainsi avec Angelo Maï:

Quam prius incautam perdidit astus opew.

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