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Il a en réalité, moins d'affinité avec le génie grec, et. s'il ne fut pas tout-à-fait étranger à l'hellénisme des écoles anglo-saxonnes où il fut élevé, il faut avouer qu'en Italie, qu'en France, il suivit plutôt le courant latin. C'est donc en d'assez étroites limites qu'il faut enfermer ce qu'Alcuin dut à la science grecque, et ce que les études helléniques lui durent au commencement du IXe siècle. On peut accepter là-dessus l'opinion de M. Cramer : Quum vero in Britannia esset natus atque educatus, ubi tunc præter Italiam et in ingenuis artibus et in Græcis versabantur maxime, fieri potuit ut Græca latine reddita legeret et quamvis minus in græcam incumberet grammaticam et lectionem, Græca quadam natura Græcoque ingenio afflaretur (1). » Faut-il voir une imitation de Platon et de Socrate, faut-il reconnaître le souffle grec dans la composition de ses dialogues sur la grammaire, la rhétorique et la dialectique? Ampère et Ozanam se sont plu à retrouver surtout le génie anglo-saxon dans « un dialogue fort singulier entre Alcuin et Pépin l'un des fils de Charlemagne (2).

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Bien mieux qu'Alcuin, Paul Diacre connut le grec. On peut dire qu'il naquit et vécut, jusqu'à son séjour en France, sous l'influence de l'hellénisme. C'était un Lombard, fils de Warnefrid et de Theudelinde. On sait que ce peuple qui paraissait d'abord rebelle à toute littérature prit un goût très-vif pour les lettres et les cultiva avec quelque distinction. Paul vit le jour à Pavie,

leus, immo omnium Anglorum ab initio, post Bedam et Aldhelmum, longe eruditissimus, latine, græce, et hebraïce peritus. Et quidquid politioris litteratura isto et sequentibus sæculis Gallia ostentat, totum acceptum referri debet. Pitsæus, citante Blounto p. m. 343.... erat singularis eruditionis, tersi sermonis . Polite tum versu, tum prosa scripsit. Cum latinarum litterarum scientia, græcarum etiam et hebraïcarum cognitionem conjunxit. Nam has linguas et perfecte calluit, et publice docuit. Hederiche, p. 883.

(1) Cramer, p. 19.

(2) Ampère. Hist. Litt. t. III, chap. 4. Ozanam. t. II, p. 523.

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au temps où Ratchis était sur le trône (744-749). Ce prince continuait à favoriser les études comme l'avaient fait ses prédécesseurs et surtout Luitprand. Paul, apprit le grec à la cour du roi, sous la direction d'un maître du nom de Flavien. Plus tard, il devint maître luimême et enseigna à Bénévent, sous le règne d'Arichi pour les et d'Adilperge fille de Didier, pleine d'ardeur lettres. Nous avons vu que Bénévent était dans une contrée remplie de Grecs qui parlaient leur langue et y avaient apporté avec eux leurs livres et leurs études. Les Lombards en relations continuelles de commerce avec eux ne pouvaient manquer d'apprendre le grec et de s'en servir. Le Duc de Bénévent lui même, Arichi, se distinguait par son savoir, il recevait de Paul Diacre écrivant à sa femme cet éloge précieux, d'être le plus éclairé des princes, « ut nostræ ætatis pæne principum sapientiæ palmam teneret." Le même écrivain dans l'épitaphe de ce prince a également dit:

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Facundus, sapiens, luxque decorque fuit.

Quod logos et physis, moderansque quod ethica pangit
Omnia condiderat mentis in arce sua (').

Adilperge elle-même, ne le cédait pas en savoir à son mari, elle avait été si bien élevée, dit Paul Diacre, qu'elle avait à sa disposition les sentences dorées des philosophes et les brillants des poètes. « Ut philosophorum aurata eloquia poetarumque gemmea ei dicta in promptu essent." Son fils Romuald ne déparait pas sa famille, le même apologiste nous le présente,

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Grammatica pollens mundana lege togatus.

A Bénévent, le duc Arichi avait fondé un couvent et une église du nom de Sainte Sophie, agian Sophian, ce qui fait bien voir que la langue grecque était dans ce pays d'un usage vulgaire. D'ailleurs les Grecs, en plus

(1) Pertz. Mon. Germ. Scrip. III. 482.

d'une circonstance, ont réclamé des princes de Bénévent et de Salerne des secours militaires; ils les regardaient comme une colonie grecque (1).

Au temps de Louis II (855-875), il y avait à Bénévent une école célèbre de philosophie. Nous avons déjà dit qu'on y comptait trente-deux philosophes. En Sicile à la même époque un auteur du nom de Jean, écrivait en grec une chronique depuis la naissance du monde jusqu'à l'année 866, ouvrage encore inédit (*). On cite également un moine du nom de Joseph, qui naquit en Sicile et mourut à Constantinople, dans le monastère de Studium (3).

Telles furent les premières impressions que Paul Diacre reçut dès son enfance. De Bénévent il passa au couvent du mont Cassin où sa science et son amour des lettres ne firent que s'accroître. La réputation de Charlemagne l'attira ensuite à la cour de France. S'il y jeta un viféclat ce fut surtout par son érudition grecque. Nous le trouvons là employé à enseigner la langue grecque aux nombreux prêtres que Charlemagne avait désignés pour accompagner Rothrude sa fille à Constantinople. Paul Diacre semble faire peu de cas luimême de sa science en fait de grec. L'abbé Leboeuf (*) cite un dialogue entre Paul de Pise et Paul Diacre où le premier lui adresse ces mots :

Græca cerneris Homerus,
Latina Virgilius,

In Hebræa quoque Philo.

et Paul Diacre lui répond:

Græcam nescio loquelam,
Ignoro Hebraicam.

(1) V. Cramer, p. 21, qui cite Bethmann dans une dissertation, Paul Diaconus leben, sur la vie de Paul Diacre; Giesebrecht, de liter. studiis apud Italos, et p. 9, 10. Erchemperti Histor. Longobard. c. 3. Apud Pertz III. 243. (2) Cramer, p. 21.

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On ne peut voir dans cet aveu qu'un détour de la modestie. Comment Paul de Pise se serait-il hasardé à faire un tel éloge du savoir de son ami, s'il n'eût été renseigné sur sa science. Aussi faut-il croire avec Ozanam, que Paul Diacre entend déclarer, non qu'il ignore la langue grecque, mais qu'il ne la parle point (').

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Nous retrouvons à la cour de Charlemagne, à celle de Louis le Débonnaire surtout, dans les palais de Charles le Chauve, les docteurs Irlandais dont nous avons parlé plus haut. Jamais on ne les y avait vus en plus grand nombre. Nous avons déjà signalé le mécontentement qu'ils inspiraient à Alcuin. Heiric d'Auxerre, sortant de l'Ecole du Palais, emportait un sentiment de vive admiration pour ces étrangers représentants d'une science qui, devenant moins rare, restait pourtant encore le privilége d'un petit nombre de maîtres. « Parlerai-je, dit-il, de l'Irlande, qui, méprisant les périls de la mer, a émigré presque tout entière sur nos rivages, avec son troupeau de philosophes? » Ces docteurs ont-ils été assez nombreux pour justifier l'hyperbole d'Heiric; on peut le croire, et pourtant on n'en a retenu que trois noms: Hélie, Mannon et Jean Scot Erigène. Voici ce qu'en a dit M. Hauréau (2) : « Les auteurs du Gallia Christiana ne désignent pas les écoles où professa maître Hélie; mais ils attestent du moins qu'il y eut de merveilleux succès, in Gallia mirifice scholas rexit. Son mérite fut récompensé : il mourut évêque d'Angoulême. Faut-il admettre, sur le témoignage d'un ancien, cité par les frères Sainte-Marthe, que le docte Heiric fut le disciple préféré d'Hélie? Cet ancien, dressant la nomenclature des premiers régents de nos écoles, a commis d'évidentes erreurs. Cependant, en ce qui re

(1) La Civilisation chrétienne, etc. T. II. p. 509 Ouvrage déjà cité.

garde Heiric et Hélie, il n'a peut-être pas été mal informé les Gloses d'Heiric émaillées de mots grecs traduits avec une fidélité contestable, nous font assez connaître qu'il a fait quelques études sous un maître Irlandais. Valère André attribue à Mannon des commentaires sur les lois et sur la République de Platon. Cette attribution est erronée. Mais ni le mérite de Mannon, ni son séjour dans les Gaules, ne sont choses douteuses. Il fut prévôt de l'abbaye de Saint-Oyand de Joux, qui prit plus tard le nom de Saint-Claude, au diocèse de Lyon, et il y mourut le 16 août 880. » M. Hauréau a recueilli encore quelques indications sur Mannon, mais elles sont si peu de choses qu'il espère qu'une nouvelle enquête sera plus heureuse, et que des bibliothè ques de l'Irlande, aujourd'hui si négligemment explorées, un autre Usher exhumera quelque jour un écrit de Mannon.

Avant de passer à Scot Erigène, nous dirons quelque chose de Raban Maure. Il a le renom d'avoir su le grec et, dans ses écrits, il en montre en effet quelque teinture. S'il faut ajouter foi à Trithème ('), il disait que le latin dérive du grec comme de sa source, et qu'on ne peut bien connaître le latin qu'à l'aide du grec. Il est certain que Raban se rattachait par ses études à l'école d'Aldhelm et de Bède, instruits tous deux par Théodore de Tarse, en Cilicie, qui vint fonder des écoles en Bretagne. Le monastère de Fuld, où Raban fut élevé, avait conservé des bretons, ses fondateurs (744), l'habitude de mettre le grec au rang des études ordinaires de ses moines.

On n'est donc pas surpris de trouver dans les écrits de Raban Maure, des passages qui supposent la connaissance de cette langue. C'est ainsi que dans les dé

(1) Docen. Miscellaneen zur Geschichte der deutschen Litteratur, I, 172. Rhabanus Maurus, v. Bach, p. 10, cité par Cramer, 23.

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