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vicissitudes à l'aide des renseignements épars que l'histoire littéraire a recueillis.

La politique et la guerre ayant uni Pépin, fils de Charlemagne avec le duc de Bénevent, il s'établit entre eux des rapports qui ne furent pas inutiles à la connaissance du grec dans notre France. Il vint de ce pays chez nous de fréquentes ambassades; les années 797, 798, 799 et 802, sont les époques où les relations furent les plus suivies. Ces ambassadeurs, qui ne parlaient que le grec, restèrent longtemps à la cour des Francs, y furent comblés d'honneurs, et s'ils ne firent pas des élèves dans leur langue, ils en firent au moins connaître quelques détails, et jetèrent les semences d'une instruction qui se développera plus tard (1). Le commerce très-actif qui se faisait entre Constantinople d'une part, Venise, Durazzo et Amalfi de l'autre, entretenait les peuples dans une certaine notion de la langue grecque.

Sous Charlemagne, ces rapports devinrent plus marqués. Le désir qu'avait conçu cet empereur de recueillir les débris de l'empire d'Orient, le projet de mariage qu'il poussa fort loin avec l'impératrice Irène, préparèrent la renaissance des études grecques. Les empereurs de Constantinople, Nicéphore, Michel et Léon cultivèrent son amitié, accréditèrent auprès de lui des ambassadeurs et firent avec lui des traités de paix. Constantin, en 786, envoya des ambassadeurs à Charlemagne pour lui demander la main de sa fille aînée Rothrude (2). Puis, c'est l'impératrice Irène qui

(1) Ann. Bertinian. ap. Pertz script. t. I, p. 413, seq. cité par Cramer, p. 5. (2) S'il faut en croire Cedrenus (Hist. comp. t. II, p. 21. éd. Bonn) le traité conclu et les accords arrêtés, l'empereur d'Orient laissa auprès de la jeune princesse un de ses eunuques, afin de lui apprendre le grec et de l'instruire dios usages de la Cour impériale. « Γενομένων συμφώνων καὶ ὅρκων κατελείφθη Ἐιλισσαῖος ὁ εὐνοῦχος ἐἰς τὸ διδάξαι αυτὴν (τὴν θυγατέρα ἐρυθρών τά τε την

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lui députe en 798, Michel Ganglione et Théophile, prêtre de l'église des Blaquernes. Lui-même envoie à Constantinople l'évêque d'Amiens, Jessé et le comte Hélingaud (). On peut voir dans Eginhard, ces échanges répétés d'ambassades.

Voici le détail le plus curieux d'une de ces cérémonies où la politique avait plus de part que la littérature. Les députés de Michel, Arsaphe et Théogniste, parurent devant l'empereur à Aix-la-Chapelle (812) et le saluèrent en leur langue en qualité d'empereur.

Tous les historiens de Charlemagne nous disent qu'il et qu'il l'entendait mieux qu'il avait appris le grec, ne le parlait (*). »

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Cette louable activité d'esprit aurait dû exciter autour de lui une vive émulation. Il ne paraît pas cependant qu'il en ait été ainsi. Les grands seigneurs, qui avaient les plus hautes places dans son palais, ne se piquaient guère d'hellénisme, et ils n'en partaient pas moins volontiers pour Constantinople. Cette ignorance de la langue leur attirait des désagréments de la part des grecs fort disposés à traiter de barbares et à soumettre à de rebutantes épreuves ceux qui ne s'exprimaient pas dans leur langue. On sait la mésaventure d'Hatton, évêque de Bâle, de Hugues, comte de Tours, et d'Aio, de Forli; ils avaient été fort maltraités et renvoyés avec toutes sortes d'affronts.

Quant Arsaphe et Théogniste vinrent à leur tour en France, envoyés par Michel, Charlemagne voulut punir

Γραϊκῶν γράμματα καὶ τὴν γλῶσσαν καὶ παιδεῦσαι αὐτὴν τὰ ἤθη τῆς Ῥωμαίων Caoikelas. Une princesse destinée à vivre dans un royaume étranger ne fait pas seule le voyage, elle emmène avec elle des officiers et des femmes qui ont également besoin de savoir la langue du nouveau pays qu'elle va habiter. On peut donc supposer qu'il se forma dès lors autour de la fille de Charlemagne une école dont elle n'était pas l'unique élève.

(1) Annales d'Eginhard.

d'Occident.

Le Président Cousin.

(2) Eginhard. Vie de Charlem. p: 31.

Hist. de l'Empire

sur eux l'insolence de leur Cour. Il les fit longtemps promener dans son royaume, les exposant à des courses inutiles et coûteuses. Quand ils furent enfin bien las de ces rebuffades et épuisés d'argent, Charlemagne les reçut à Aix-la-Chapelle. Il leur ménagea plus d'une surprisedésagréable, se moquant de leurs bévues. Plusieurs fois, ils s'étaient prosternés devant des officiers du palais, croyant voir en eux, grâce à la magnificence qui les entourait, l'empereur lui-même. Enfin, ils arrivèrent jusqu'à lui. Ils le virent dans un éclat qui dépassait tout ce qui s'était jusque là offert à eux. Il était entouré de sa famille et appuyé sur Hatton et sur Hugues, le comte de Tours. Les ambassadeurs reconnurent aussitôt les députés qu'ils avaient maltraités à Constantinople. Leur terreur fut grande, ils se jetèrent à ses pieds, et ils ne s'en relevèrent qu'après avoir reçu de lui la promesse de leur pardon. Ils firent alors en langue grecque l'éloge du prince et l'appelèrent empereur et roi, imperatorem xai 6xorλéa (1).

L'un des héros de cette aventure, Hatton, abbé de Reichenau (2), paraît cependant avoir étudié le grec, puisqu'il donne le titre d'hodoeporicum au livre dans lequel il a fait la relation de son voyage à Constantinople (3). Cette abbaye de Reichenau conserva la tradition de l'hellénisme. On y voit, en effet, Walafrid Strabon, moine, puis abbé, disciple de Raban Maur, citer Homère, Platon et Sappho, dont il ne connaissait peut-être que les noms, mais il faut remarquer surtout, qu'en 866, un de ses disciples

(1) Martin Crusius. Annales Suevici, p. 9.

(2) Abbas Augiensis.

(3) On lit dans Martin Crusius, Annales Suevici, p. 329: Hoc tempore, 782, Petrus quidam divitis Augiæ abbas erat, homo decrepitæ ætatis ; hic tamen Romam petivit et psalterium septuaginta interpretum consecutus in Augiam detulit. Intelligo græcum psalterium, hoc tunc miraculum fuisse in Germania videtur.

qui fut un des hommes les plus savants du IX® siècle, Ermenric, partit pour la Bulgarie, afin d'évangéliser ce pays où l'on parlait grec (1). On trouve dans les écrits de Hatton, des mots grecs comme exhippitare, pascemata, logo kyriou (2).

Nous ne redirons pas tout ce que Charlemagne a fait pour les écoles. Nous bornant à ce qui est l'objet de nos recherches, nous ferons observer qu'il fonda en 805 à Osnabruck, (M. Cramer dit en 804), une école avec priviléges, où l'étude du grec et du latin devait être l'objet des plus grands soins de la part des maîtres (3). L'empereur voulait en faire une sorte d'institut d'où il pourrait tirer au besoin des ambassadeurs instruits dans la langue grecque et capables d'être chargés de missions en Orient. Voici, en effet, les termes du décret de fondation « Nisi forte contingat, ut imperator Romanorum vel rex Græcorum conjugalia foedera inter filios eorum contrahere disponant, tunc ecclesiæ illius episcopus, omni sumptu a rege vel imperatore adhibito, laborem simul et honorem illius legationis assumat. Et hoc ea de causa statuimus, quia in eodem loco Græcas et latinas scholas in perpetuum manere ordinavimus, et nunquam clericos utriusque linguæ gnaros ibidem deesse confidimus (*). » Les paroles sont précises, l'intention est formelle; avant la fondation du collège de France, par François Ier, on ne trouve pas de disposition plus favorable à la langue grecque dans notre pays.

Ce laborieux empereur ne se contentait pas de fonder des écoles, il donnait lui-même l'exemple de l'étude la plus sérieuse. Il nous apparaît presque comme un véritable helléniste. Thegan, l'historien de son fils Louis, nous

(1) Cramer. Ibid. p. 16.

(2) Mai. Script. Vatican. t. VI.

(3) Martin Crusius. Annales Suerici. p. 6. Cramer. Ibid. 17.

dit que depuis le départ de l'empereur Louis, Charles ne s'occupa qu'à la prière, qu'au soulagement des pauvres, et qu'à corriger des livres. L'année qui précéda sa mort, ajoute-t-il, il corrigea très-exactement sur le grec et sur le syriaque l'évangile de Saint Mathieu, de Saint Marc, de Saint Luc et de Saint Jean. Il n'y en a pas beaucoup dans la suite de nos rois que nous trouvions occupés de tels soins. « Quatuor evangelia Christi in ultimo ante obitus sui diem cum græcis et syris optime correxerat ('). :

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On ne sera pas surpris qu'il eût rassemblé quantité de livres et formé déjà une bibliothèque considérable. Comme beaucoup de nos princes qui ont toujours laissé se disperser les livres qu'ils avaient acquis, il n'eut pas l'idée d'en fonder un dépôt durable, il laissa cette gloire à Charles V. Ilordonna donc, dans son testament, que ses livres fussent vendus à juste prix à ceux qui voudraient s'en rendre acquéreurs, à la condition qu'on distribuerait aux pauvres l'argent qu'on en aurait fait. « In testamento suo Karolus de libris quorum magnam copiam in bibliotheca sua congregaverat, statuit ut iis qui habere vellent, justo pretio venderentur, pretium in pauperes erogaretur (2). »

les

Si nous recherchons dans la haute société de ces temps personnages amis de la science qui n'ont pas ignoré le grec, nous avons à citer Louis-le-Débonnaire. Thegan son historien nous apprend qu'il avait fort bien appris les langues grecque et latine. Comme Charlemagne, il entendait mieux le grec qu'il ne le parlait. Nous le voyons recevoir de fréquentes ambassades de Constantinople, tantôt à Aix-la-Chapelle, tantôt à Compiègne, les traiter avec beaucoup de civilité et de munificence

(1) De gestis Ludovici imperatoris, ch. 7. Pertz, monum. Histor. Germanicar. I, p. 592.

(2) Martin Crusius. Annales Suevici, p. 8.

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