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disciplinarum gradus ediderunt; ego omne Aristotelis opus quodcumque in manus venerit, in romanum stylum vertens... Hæc si vita otiumque supererit, cum multa hujus operis utilitate nec non etiam laude contenderim, qua in re faveant oportet, quos nulla coquit invidia" (1).

Il ne s'est trompé ni dans le service qu'il prétendait rendre, ni dans la gloire qu'il en attendait. Son livre de la Consolation n'est pas un témoignage moins manifeste de son érudition grecque. On peut voir dans les notes de M. L. Judicis quels nombreux passages il emprunte à Homère, à Platon, en sorte que dans son œuvre la plus originale, dans celle que le moyen âge a surtout lue et admirée, il faisait pénétrer par son style latin, dans les intelligences un reflet de la beauté grecque, le charme de la poésie, et la sublimité des plus belles conceptions de l'Académie. Sa vie fut douce jusqu'au dernier soupir, consacrée tout entière aux lectures grecques. Il a bien mérité de passer pour être en Occident le plus grand et le plus glorieux initiateur des esprits; et, s'il est vrai qu'il s'attira les rigueurs de Théodoric pour avoir souhaité le rétablissement de la liberté romaine, et comploté avec le sénat pour s'entendre avec l'empereur Justin, sa mort confirmait son hellénisme. Il fut décapité vers la fin de l'année 525. «Si au début de sa carrière, il avait pu espérer quelque bien du gouvernement des Goths et accepter la faveur du grand roi qui les commandait, il était tristement revenu de cette illusion, et lorsqu'il les vit de plus près, les Goths ne furent plus pour lui barbares sans foi et des voleurs publics » (*). Il n'attenque des dait rien que des malheurs du règne d'Athalaric gou

() Anicii Manlii Severini Boethii Opera omnia, Basileæ, 1570. in-fol. p. 318.

t. 1.

() M. Judicis. p. XXXIX.

verné par sa mère Amalasonte, ou par son oncle Théodat un barbare frotté d'hellénisme plus pédant que savant, fourbe et bassement cruel, haï des Romains pour son avarice, méprisé des Goths pour sa lâcheté." La mort de Boèce et celle de Symmaque son beau-père, jetaient un triste voile sur cette royauté des Goths à laquelle la restauration des lettres semble d'abord donner un glorieux éclat.

XIX.

Après les travaux de Boèce on n'ose plus parler de l'hellénisme de Sidoine Apollinaire ou de celui de Fortunat. Il n'est pas douteux que ces deux hommes, le premier surtout, ne connussent le grec, mais ils inclinent visiblement à n'en faire qu'une parure frivole de leur talent. Sidoine Apollinaire fait grand étalage de mots grecs qu'il introduit dans son texte latin; les diverses matières qu'il traite supposent un emploi fréquent de livres venus de la Grèce; cependant au milieu des Huns, des Hérules, des Goths et des Alains, il a bien à faire s'il veut maintenir sa latinité. Fortunat, qui est en rapport avec toutes sortes de princes barbares, ne peut guère exiger d'eux qu'ils aillent dans leurs études au-delà du latin. N'était-ce pas beaucoup, pour un Frank comme Charibert d'avoir appris le latin. Fortunat pouvait-il imaginer un plus bel éloge que celui-ci :

Cum sis progenitus clara de gente Sygamber,
Floret in eloquio lingua latina tuo.

Qualis es in propria docto sermone loquela
Qui nos Romanos vincis in eloquio (') !

(1) Venantii Fortunati opera. lib. VI. c. IV.

Il a beau dire en s'adressant à tous les poètes et à tous les orateurs de son temps qu'ils s'enrichissent des biens de Démosthène, qu'ils s'abreuvent aux sources d'Homère:

Quos bene fruge sua Demosthenis horrea ditant,
Largus et irriguis implet Homerus aquis ('),

nous ne pouvons nous laisser aller à cette idée flatteuse que l'on recourût d'une manière si générale et si constante aux textes originaux de ces grands maîtres. La barbarie fait trop de progrès chaque jour malgré les efforts de quelques beaux-esprits. Cependant, Félix, évêque de Nantes, mérite encore qu'on ait dit de lui: «On le regardait comme la lumière de l'Armorique; et l'on jugeait que cette province possédant un si digne prélat, pouvait entrer en parallèle avec la Grèce et tout l'Orient. Il possédait si parfaitement la langue grecque, qu'il semblait à son panégyrique, que Constantinople fut passée dans l'Armorique. » Il était né à Bourges. Il parlait, dit-on, le grec comme sa langue maternelle (*).

On surprend aussi quelque lueur fugitive d'hellénisme dans Chilpéric ce roi barbare qui faisait des vers latins sur le modèle de ceux du prêtre Sédulius. Il ne devait pas être demeuré tout-à-fait étranger à la connaissance du grec puisqu'il eut recours à l'alphabet de cette langue quand il voulut enrichir la sienne de quatre lettres nouvelles. Il lui prit l'o, le ч, le Z, le A (3): addidit autem et litteras litteris nostris, id est A,

(1) Ven. Fortunati opera. lib. VIII. c. I. (2) Hist. litt. de la France, t. III, p. 330. III, 33; X, 15.

Ozanam. p. 407.

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(3) Sur les lettres de Chilpéric. Hist. litt. t. III, p. 342: Un des plus anciens manuscrits de Grégoire de Tours, qui peut remonter au-delà de 800 ans, les représente de cette façon, Q, Y, Z, A. Mais on croit qu'il y a plus d'apparence que ce sont celles qu'Aimoin nous représente sous ces quatre figures O, Þ, X, Q.

sicut Græci habent, E, the, vui, quarum characteres subscripsimus. Hi sunt Q, Y, Z, A. Et misit epistolas in universas civitates regni sui, ut sic pueri docerentur ac libri antiquitus scripti, planati pumice rescriberen— tur (1). » Lettré et théologien, ce prince avait quelque jalousie de la grandeur impériale. Lorsqu'il reçut de Tibère à qui il avait envoyé une ambassade, de grands médaillons d'or décorés sur une face de la tête de l'empereur et sur l'autre d'un quadrige monté par une figure ailée avec ces mots « Gloire des Romains, » en même temps qu'il concevait une idée des arts de l'Orient, il eut la vanité de rapprocher de ces produits splendides un énorme bassin d'or, décoré de pierreries, qui venait d'être fabriqué par son ordre. Il ne pesait pas moins de cinquante livres. Ce fut parmi les barbares des cris d'admiration sur le prix de la matière et sur la beauté du travail; il dit alors avec une expression de contentement et d'orgueil : « J'ai fait cela pour donner de l'éclat et du renom à la nation des Franks, et si Dieu me prête vie, je ferai encore beaucoup de choses (3). »

66

Ces goûts singuliers chez un barbare ont frappé la postérité d'admiration, et l'on avait sculpté plus tard sa statue au portail de Notre-Dame. Il tenait un violon à la main, dans l'attitude d'Apollon (3).

Au temps où vivait Fortunat (il mourut en 609), l'histoire enregistre les noms de quelques savants qui passent pour avoir étudié le grec. Réovalis, médecin de Poitiers, avait étudié en Grèce. Des moines grecs, comme Egidius, venaient chercher dans les Gaules, un ciel plus sévère et des mœurs moins faciles (*).

(1) Greg. Turon. Hist. Fr. lib. V. ap. Script. rer. Gallic. et Francic. t. II, p. 260. (2) Aug. Thierry, Récits Mérov. 6o récit, année 581. Grég. -Tur. lib. V. (3) Montfaucon. Monum. de la Monarchie, t. I.

S. Egidii vita. Bolland. 1 septemb. Ozanam, 408.

Une école célèbre florissait alors à Toulouse. Ozanam a parlé des études bizarres qui s'y faisaient, des douze latinités qui y avaient cours, des jeux de mots, des énigmes, des périphrases, des chiffres qui composaient le mérite de Virgile le grammairien. Nous renvoyons les lecteurs (') à ce qu'il en a dit. Ce qu'il y avait de sérieux dans cette école, c'est qu'on y faisait profession d'étudier le latin, le grec et l'hébreu. C'est dans cette ville que vinrent s'instruire plusieurs moines Irlandais, et nous les avons vus cultiver dans leur patrie les secrets de l'école toulousaine.

Entre les raffinements dont se piquaient les docteurs de Toulouse, le principal était de créer des mots : il les empruntaient à la langue grecque. Ainsi, l'on disait charaxare, pour écrire, de thronos, trône, on faisait thors, le roi qui s'yassied. «Quod Græce dicitur thronus, unde et qui in eo sedet thors, id est rex, nominatur.» On lit à la page 94 anthropea, à la page 97 catizo (2). A Toulouse, on avait deux bibliothèques; l'une était consacrée aux ouvrages des philosophes païens, l'autre renfermait exclusivement ceux des chrétiens. Cette distinction n'entraînait pas le discrédit des études antiques. On reconnaissait qu'il était nécessaire de laisser aux hommes instruits dans les sciences du siècle, l'habitude de continuer les travaux auxquels ils s'étaient d'abord livrés : « hunc namque morem, ex apostolico

(1) P. 421.

(2) Virg. epist. p. 9. Ozanam. p. 430. Maï auctores classici, t. V, Virgile de Toulouse. Dans l'épitome, V. de Catalago grammaticorum, on lit: Erat apud Ægyptum Gregorius Græcis studiis valde deditus, qui tria millia librorum de Græcorum historiis conscripserat. Aput Nicomediam Balapsitus nuper vita functus, qui nostræ legis libros, quos ego in Græco habui sermone, me jubente vertit in latinum, quorum principium est: principio cœlum terramque omniaque astra spiritus intus alit.-P. 94. Anthropea mens uno sub totum momento pervolans polum.-P. 97. Hoc ergo nobis omnimodatim catizandum est. P. 13. Adverbium perduo i charaxabis, ut hiic. - P. 14. Adverbium hisdem litteris charaxari solita. P. 87 Epita (TET) igitur. — P. 88. De même Epita, igitur.

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