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Le même Cassiodore rend un éclatant témoignage à l'instruction grecque de Boèce. Il lui dit qu'il est rempli d'une ample érudition, et qu'il a puisé à la source même de la science les arts que le vulgaire pratique sans les connaître.... « Au moyen de tes traductions, on peut lire en Italie Pythagore le musicien, Ptolémée l'astronome; l'arithmétique de Nicomaque, la géométrie d'Euclide sont entendues des Ausoniens, et le théologien Platon, le logicien Aristote disputent dans la langue de Romulus. Que dis-je? Tu as rendu à la Sicile le mécanicien Archimède transformé en fils du Latium, et tous les arts et toutes les sciences que des hommes différents avaient donnés à la Grèce féconde, Rome les a reçus de toi seul, exposés dans sa langue nationale. -Translationibus enim tuis Pythagoras musicus, Ptolomæus astronomus, leguntur Itali; Nicomachus arithmeticus, geometricus Euclides audiuntur Ausoniis; Plato theologus, Aristoteles logicus Quirinali voce disceptant. Mechanicum etiam Archimedem Latialem Siculis reddidisti, et quascumque disciplinas vel artes fecunda Græcia per singulos viros edidit, te uno auctore, patrio sermone Roma suscepit (1).»

Cette ample et solide connaissance du Grec honore beaucoup Boèce et l'Italie; elle paraît plus précieuse encore quand on se souvient que Boèce a vécu à la courdu roi des Goths Théodoric; que, de toutes parts, se levait déjà la barbarie avec des noms comme ceux de Clovis, et que Cassiodore, en priant Boèce de choisir un joueur de harpe que Théodoric veut envoyer en présent au roi des Francs, dont il a épousé la sœur Audeflède, fait observer qu'il doit être le meilleur de l'époque, car il aura à opérer le miracle d'Orphée lorsqu'il apprivoisait des hordes sauvages par la douceur de ses accords. «Citha

(1) Cassiodore. Variar. Epist. lib. I. 45.

rædum, quem a nobis diximus postulatum, sapientia vestra eligat præsenti tempore meliorem, facturus aliquid Orphei quum dulci sono gentilium fera corda domuerit (1).

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Cave (2), J. Scaliger (3), Vossius (*), Pierre Bertius (5), Fabricius (6) répètent tous les éloges de Cassiodore. Depuis Varron, dit Vossius, Rome n'avait pas eu de plus grand érudit.»

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Dans le catalogue de la bibliothèque du monastère de Vivaria, dressé par Cassiodore lui-même, nous avons la liste des ouvrages que Boèce a traduits. L'abbé en recommandant à ses moines de les lire, nous en a transmis les titres; ce sont : l'Introduction de Porphyre, les Catégories, le Traité de l'Interprétation, le Commentaire sur le livre des syllogismes hypothétiques d'Aristote, les Analytiques, les Topiques du même auteur; plusieurs Dialogues de Platon, la Mécanique d'Archimède, la Géométrie d'Euclide (une partie seulement), l'Astronomie de Ptolémée, l'Arithmétique de Nicomaque, le traité de Pythagore sur la musique.... Isagogen transtulit Patricius Boetius, commentaque ejus gemina derelinquens. Categorias idem transtulit Patricius Boetius, cujus commenta tribus libris ipse quoque formavit. Περὶ Ερμηνείας supra memoratus patricius Boetius transtulit in latinum, cujus commenta ipse duplicia minutissima disputatione tractavit.... Supra memoratus Fabricius Boetius de syllogismis hypotheticis lucidissime pertractavit, etc. (7). »

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Nous ne parlons pas de ses travaux originaux qui se

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sentent tous de son érudition hellénique, nous ne nous arrêtons pas sur ses commentaires de Porphyre, d'Aristote; nous avons surabondamment prouvé que, depuis Cicéron, il ne s'était pas rencontré un homme si complétement versé dans la connaissance des livres grecs, si capable de les traduire et de les entendre. Ses livres n'ont pas été la moins précieuse de toutes les écoles pour le moyen âge. A partir du XI° siècle, la Scolastique n'aura pas d'autre autorité. Si l'on peut croire que le Boèce cité dans Saint Thomas et dans Aventinus n'est pas le même le même que le Boèce patricien romain et contemporain de Cassiodore ('), il n'en est pas moins vrai que celui dont nous parlons ici a été le maître dialecticien grâce auquel le moyen âge a connu d'abord Aristote dans ses traités de logique. L'Aristoteles logicus, qui a fait délirer toute l'école, n'est arrivé à nos docteurs que par lui, ainsi que le perihermenias dont la signification et l'origine grecques échappaient certainement à nos écoliers du parvis Notre-Dame et de la montagne Sainte-Geneviève.

Le moyen âge, il faut le reconnaître, n'a pas été in– grat à l'égard de Boèce. Il s'est fait dans ces temps-là, un concert de louanges sur son nom. Bien longtemps avant que Jean de Meung, à la requête de Philippe-leBel, eut donné une version française du traité de la Consolation, un auteur inconnu avait fait une longue paraphrase rimée du livre de Boèce. Ce poème en langue provençale, dont l'abbé Leboeuf a retrouvé deux cent cinquante-sept vers dans un manuscrit du X° siècle, provenant de l'antique abbaye de Fleury, conserve dans le passage suivant un souvenir de la langue grecque.

(1) Recherches sur les traductions d'Aristote par Amable Jourdain, nouvelle édition. 1843.

On y décrit le costume de la philosophie (c'est la traduction de Boèce lui-même).

El vestement, en l'or qui es repres,
Desoz avia escript un pei II grezesc;

Zo signifiga la vita qui inter'es.

Sobre la schapla escript avia un tei grezesc :

Zo signifiga de cel la dreita lei.

Antr' ellas doas depent sun l'eschalo;

D'aur' no sun ges, mas nuallor no sun.....

Mas cil qui poden montar al al cor (')...

Aimon vante la science de Boèce dans les lettres profanes, et, pour lui donner le mérite d'avoir été catholique, il lui attribue des traités de théologie qu'il n'a point composés (*).

Sigisbert, de Gembloux, le compare et même le préfère à tous les philosophes séculiers et ecclésiastiques. Les profanes peuvent le louer de ses traductions et de ses commentaires, les ecclésiastiques lui doivent leurs éloges pour les traités de théologie Boethius, vir consularis, conferendus vel præferendus philosophis et secularibus et ecclesiasticis, quia nos ambiguos esse fecit, an inter seculares, an inter ecclesiasticos scriptores fuerit illustrior (3).

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(1) L. judicis LXVI. Le vêtement dans le bord qui est replié dessous avait écrit un II cela signifie la vie qui entière est. grec; - Sur la chape écrit avait un grec; — cela signifie du ciel la droite loi. Entre elles deux dépeints sont les échelons: d'or ne sont point, mais moins valant ne sont. .. Mais ceux qui peuvent monter au, au cœur.....

(2) Qui videlicet Boethius quam disertus fuerit in litteris secularibus, quamque fuerit catholicus ex ejus comprobatur codicibus. Testatur hoc Arithmetica, nec non dialectica, ipsa etiam omnium animis gratissima musica ab eo translata, et Latinorum jamdudum desiderantium auribus delectabiliter infusa. Porro ejusdem de Sanctæ Trinitatis consubstantialitate Liber liquido ostendit quam eximius suo, si licuisset, tempore Sanctæ Ecclesiæ colonus exstitisset. De scriptoribus ecclesiasticis ap. Bibl. ecclesiast. J. Alb. Fabricii. Hamburgi, 1719, liv. IV, c. 37. Voir Jourdain, Recherches sur les traductions d'Aristote, p. 55 et 56.

(3) Recueil des Historiens des Gaules et de la France, par D. Bouquet. t. III. p. 45.

Dante qui a recueilli et consacré toutes les légendes du moyen âge, n'hésite pas à mettre Boèce dans les sphères lumineuses de son Paradis, avec Albert-leGrand, Saint Thomas d'Aquin, Denis l'aréopagite, Salomon, Pierre Lombard, Orose, Isidore, Beda, Sigier. L'âme sainte, c'est ainsi qu'il désigne Boèce, goûte la paix et vit dans la lumière en récompense de son martyre, tandis que le corps repose à Pavie dans l'église dite le Ciel d'Or. C'est Saint Thomas qui parle :

Per videre ogni ben dentro vi gode
L'anima santa, che'l mondo fallace
Fa manifesto a chi di lei ben ode;

Lo corpo, ond'ella fu cacciata, giace
Giuso in Cieldauro, ed essa da martiro
E da esilio, venne a questa pace (').

Ainsi le moyen âge se montrait reconnaissant envers la mémoire de Boèce de la peine qu'il avait prise de lui ouvrir les trésors de la science grecque. Il savait bien lui-même quel service il rendait à son temps. On eût dit qu'il prévoyait les obscures ténèbres dont ces écrits grecs allaient être enveloppés. Quoiqu'il rendit justice aux latins qui avaient consacré leurs travaux à l'étude des mêmes sciences, il ne trouvait en eux ni le grand savoir, ni la juste méthode, ni l'ordre lumineux; et il venait en aide à l'insuffisance des docteurs de l'Occident. Il avait donc conçu le projet de faire passer dans la langue latine toutes les productions de la sagesse des grecs, attentif à rendre fidèlement le sens de l'original, plutôt que la gràce du style. Voici ce qu'il dit dans son commentaire du livre de l'Interprétation: «Mihi autem, si potentior divinitatis annuerit favor, hæc fixa sententia est, ut quanquam fuerint præclara ingenia, quorum labor ac studium multa de his quæ nunc quoque tractamus, latinæ linguæ contulerit, non tamen quemdam quodam modo ordinem filumque disponendo,

(') Parad., X, v. 125.

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