Imágenes de página
PDF
ePub

de longs siècles d'oubli, la tradition grecque se renouait par le commerce des Grecs et par l'exil de leurs moines, il fut une lumière dans son temps. Il s'appliqua à tempérer la barbarie des Goths; il servit leurs rois pendant quarante années. On peut lui attribuer la rédaction d'une lettre d'Athalaric au Sénat, dans laquelle il ordonne le paiement régulier du salaire alloué aux professeurs publics : « C'est un crime, dit le prince, de décourager les instituteurs de la jeunesse. La grammaire est le fondement des lettres, l'ornement du genre humain, la maîtresse de la parole par l'exercice des bonnes lectures elle nous éclaire de tous les conseils de l'antiquité... Nous voulons donc que chaque professeur, grammairien, rhéteur ou jurisconsulte, reçoive, sans aucune réduction, ce que recevait son prédécesseur.

Ut successor scholæ liberalium artium, tam grammaticus quam orator, necnon et juris expositor, commoda sui decessoris ab eis quorum interest sine aliqua imminutione percipiat (1). "

Après cette longue carrière de ministre d'Etat, Cassiodore vit tomber la monarchie qu'il avait dirigée et illustrée; vers l'an 540, âgé d'environ soixante-dix ans, il se retira au monastère de Viviers, qu'il bâtit au bord du golfe de Squillace, dans une de ses terres, non loin du lieu où il avait pris naissance. Entre toutes les merveilles qui faisaient de cette retraite un objet de curiosité pour les pèlerins, un séjour hospitalier pour les pauvres, une demeure charmante pour les moines, jardins arrosés d'eaux courantes, bains et viviers creusés dans le roc, lampes qui brûlaient longtemps sans qu'on

(1) Cassiodore. Variarum Epistolarum, lib. IX, ep. 21.-Rome alors avait des étudiants en grand nombre, et l'on s'y inquiétait moins de la désertion des écoles que de leur encombrement, puisqu'on voit Théodoric accorder par rescrits à de jeunes Syracusains la faveur d'y prolonger leur séjour. C'était maintenir les prescriptions de Valentinien qui assujettissait les étudiants à se faire inscrire au bureau du Cens.

y touchât, horloges au soleil, portiques bien disposés pour le repos, il faut mettre au premier rang la bibliothèque, enrichie de toutes sortes de manuscrits qu'on allait chercher jusqu'en Afrique. On voit par son livre des Institutions divines (Institutionum ad divinas lectiones), comment il entendait que ses moines fissent leur plus grande occupation de la lecture des pères, réunis dans sa bibliothèque. Il leur recommande, parmi les ouvrages des mains, le travail des copistes. « Du lieu où le copiste est assis, leur dit-il, par la propagation de ses écrits, il visite de nombreuses provinces.... Mais gardez-vous de confondre le mal avec le bien par une téméraire altération des textes. Lisez ceux des anciens qui ont traité de l'orthographe, Velius Longus, Curtius Valerianus, Martyrius sur l'emploi du B et du V, Eutychès sur l'aspiration. Phocas sur la différence des genres: car j'ai mis tout mon zèle à recueillir leurs écrits. Eutychès et Phocas, ces deux noms prouvent assez que les grammairiens grecs n'étaient pas absents de cette bibliothèque. Cassiodore prouve mieux encore par ses écrits eux-mêmes qu'il attachait du prix à la connaissance de la langue grecque (1). Son livre sur l'or

[ocr errors]

(') Notes extraites de Cassiodore. De Divinis lectionibus, p. 386, Paris, 1600: Latini codices veteris novique testamenti, si necesse fuerit, Græcorum auctoritate corrigendi sunt: unde et nobis post Hebræum fontem translatio cuncta pervenit. Ideoque vobis et Græcum Pandectem reliqui, comprehensum in libris 75, qui continet quaterniones, in armario supradicto octavo. Ubi et alios Græcos diversis opusculis necessarios congregavi, ne quid sanctissimæ instructioni vestræ necessarium deesse videretur, qui numerus duobus miraculis consecratur...

Ibid. 389. Unde enim doctissimus Aristoles peri hermenias suas ad liquidum producere potuisset.

1bid. 394. Ut est Josephus, pene secundus Livius, in libris antiquitatum Judaicarum late diffusus, quem pater Hieronymus, scribens ad Lucinum Beticum, propter magnitudinem prolixi operis, a se perhibet non potuisse transferri. Hunc tamen ab amicis nostris, qui est subtilissimus et multiplex, magno labore in libris viginti duobus converti fecimus in latinum. P. 394 vo. Post historiam vero Eusebii apud Græcos Socrates, Zozomenus et Theodoricus sequentia conscripserunt, quos a viro Epiphanio disertissimo in uno corpore duodecim libris fecimus, Deo auxiliante, trans

[ocr errors]

thographe (de Orthographia liber) abonde en citations de mots grecs, en observations précises, en rapprochements techniques qui supposent une étude de la langue grecque poussée assez avant. Ce n'est pas lui qui l'eût proscrite, puisque tous ses efforts avaient été de faire refleurir l'enseignement théologique à Rome, à l'exemple des écoles chrétiennes de Nisibe et d'Alexandrie, puisqu'il établit la nécessité des lettres profanes pour l'interprétation des textes sacrés : "Car les saints pères, dit-il, n'ont point méprisé les sciences, et Moïse,

ferri ne insultet habere se facunda Græcia necessarium, quod vobis judicet esse subtractum.

[merged small][ocr errors][merged small]

P. 405 vo.- Orthographos antiquos legant Velium Longum, Curtium Valerianum, Papirianum, Adamantium Martyrium, de v et b, ejusdem de primis, mediis, atque ultimis syllabis, ejusdem de b littera trifariam in unum posita, et Eutichen de aspiratione, sed et Focam de differentia generis. Quos ego quantum potui studiosa curiositate collegi.

P. 407. Quod si vobis non fuerit Græcarum litterarum nota facundia, imprimis habetis Herbarium Dioscoridis, qui herbas agrorum... Post hæc legite Hippocraten atque Galenum latina lingua conversos.

Le traité de Schematibus, indique une connaissance solide du grec. - On y trouve : Prolepsis, zeugma, hypozeuxis, syllepsis, anadiplosis, anaphora, epanalepsis, epizeuxis, paronomasia, Paromœon, homoeoteleuton, homœoptoton, polyptoton, hyrmos, polysyntheton, dialyton... Carientismos, parcemia, sarcasmos, asteismos. Dans le traité de Ortographia, on rencontre beaucoup de mots grecs: Cassiodore blâme à propos de crotalizo, qu'on écrivait crotalisso, et de malacizo, écrit malacisso, ceux qui n'écrivent pas selon l'orthographe grecque : « Sed viderint illi qui cum verbis integris Græcorum uti non erubuerunt, erubescendum crediderunt litteras græcas intermiscere. Nobis satius alieno bene uti, quam ineleganter nostra apponere. > (p. 426, vo p. 427.) Item aliud est Cilonem aliud Chilonem. Cilones vocantur homines angusti capitis et longi, et h asperationem non habet; Chilones vero, cum h asperatione scripti, a brevioribus labiis homines vocitantur, quod est a Græco vocabulo derivatum лαρà тà xɛíλn : unde Achillem quoque ferunt esse nominatum. Ψελλιστής, ἄσωτος, βληχηθμός, μόριον, σεῦτλον, ὀξύταριον (sic), υδαρής, ἐλέφας, ἀναίσθητος, ἀφύης, οικογένης. Battualia, quae vulgo battalia dicuntur... inde etiam battuatores toùç 6acaviotaç dici puto. (p. 436, v°) Virum bonum alii herobium tanquam sit pws avaбεбшxúc.

Dans le traité de Grammatica, à la Préface, il dit du mot ars: Alii dicunt a Græcis hoc tractum esse vocabulum áñò tõs̟ άpetés, id est a virtute doctrinæ. Dans le De Rhetorica, beaucoup de mots grecs, de même, dans le De Dialectica. De Arithmetica (p. 206, v.) Hunc (Nicomachum) primum Madaurensis Apuleius, deinde magnificus vir Boëtius latino sermone translatum Romanis contulit lectitandum.

le fidèle serviteur de Dieu, fut instruit de toute la sagesse des Egyptiens (1). »

Dans le traité des Sept Arts (de Septem Disciplinis), il traite successivement de la grammaire, de la rhétorique, de la dialectique, etc., et ne s'en tient pas aux ressources des livres latins. Désireux de faire participer ses compatriotes aux travaux historiques des Grecs, il fit traduire par un de ses amis, nommé Epiphane, les trois historiens grecs Socrate, Sozomène et Théodoret, recueillis en un seul corps divisé en douze livres. C'était la continuation de l'histoire de Rufin, qui avait traduit les dix livres d'Eusèbe et y en avait ajouté un onzième. C'est là ce que Cassiodore appelle lui-même l'Histoire tripartite. Depuis ce temps, les latins n'en ont plus connu d'autre (2).

On voit que les rapports n'étaient pas rompus entre l'Occident et l'Orient, et qu'il y avait encore en Italie des hommes capables de traduire le grec. Il est vrai de dire que ces hellénistes étaient presque toujours des étrangers. Témoin ce moine Denys, Scythe d'origine, qui, suivant Cassiodore, traduisait à livre ouvert, en latin, tous les livres grecs qu'on lui soumettait. De même, il traduisait en grec les livres latins, et il avait l'air de lire les traductions qu'il improvisait avec une si merveilleuse facilité (3).

Mais pourtant il fallait que la langue de l'église primi

(1) Ozanam. t. II. p. 396.

(2) Abrégé de l'Hist. eccl. p. 634.

(3) Dionysius Monachus, Scytha natione, sed moribus omnino Romanus, in utraque lingua valde doctissimus..... qui, petitus a Stephano episcopo Salonitano, ex græcis exemplaribus canones ecclesiasticos moribus suis, ut erat planus atque disertus, magnæ eloquentiæ luce composuit, quos hodie usu celeberrimo ecclesia Romana complectitur.... Alia quoque multa ex græco transtulit in latinum... Qui tanta latinitatis et græcitatis peritia fungebatur, ut quoscumque libros græcos in manibus acciperet latine sine offensione transcurreret, iterumque latinos attico sermone legeret ut crederes hoc esse conscriptum quod os ejus inoffensa velocitate fundebat.De Divinis lectionibus. p. 398.

tive commençât à n'avoir plus autant d'adeptes, puisqu'on recourait au secours des traductions. Cassiodore a donc, quoiqu'il fût lui-même très-versé dans la connaissance de la littérature hellénique, contribué à en faire déchoir l'usage. Une traduction met forcément le texte original dans l'oubli, quand la langue de ce texte est difficile et commence à perdre le caractère d'un idiome courant.

XVIII.

On peut en dire autant de Boèce, que Cramer appelle avec Cassiodore les derniers des Grecs (1).

Boèce en effet est le dernier représentant de la philosophie païenne à Rome; il est le dernier représentant du véritable hellénisme en Occident. Il n'était pas simplement frotté de grec, comme on pourrait le dire de beaucoup de ceux dont nous avons rappelé les noms, il possédait à fond la littérature hellénique: il en avait abordé toutes les sources, et M. Judicis de la Mirandole, dans sa préface à la traduction de la Consolation Philosophique de Boèce (1861), croit avoir prouvé que ce philosophe n'était pas chrétien. Il a aussi réfuté une autre erreur qui le faisait vivre dix-huit ans à Athènes dans l'intimité de Proclus (VI).Cassiodore le félicite au contraire d'avoir fréquenté les écoles athéniennes sans s'être éloigné de son pays, et d'avoir ainsi rendu romaine la philosophie de la Grèce: « Sic enim Atheniensium scholas longe positas introisti; sic palliatorum choris miscuisti togam, ut Græcorum dogmata doctrinam feceris esse romanam (*)».

66

(1) De Græcis Medii Ævi studiis pars I. p. 16-22. Sundiæ, 1848. (2) Variar. epist. Lib. I. ep. 42.

« AnteriorContinuar »