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à Hellade et Syrien, professeurs grecs en humanités, à Théophile, qui les enseignait en latin, aux sophistes Martin et Maxime et à Léonce, jurisconsulte. Elle accorde encore le même honneur à ceux qui auront professé vingt ans en l'auditoire du Capitole (à Constantinople). Nous chercherions vainement pour les études grecques, à Rome, rien de semblable à ce que Théodose faisait pour les études latines sur le Bosphore (1). Que pouvaient du reste faire les malheureux habitants d'une ville si souvent pillée, et enfin violemment séparée de Constantinople? Tout s'abaisse, Justin, fait empereur à 68 ans, était ignorant jusqu'à ne savoir pas lire.

Nous touchons pour l'Occident à l'époque où les études en général et surtout les études grecques s'affaiblissent beaucoup. On ne peut pas dire que ces dernières disparurent tout-à-fait, mais elles subirent une telle éclipse qu'on a pu croire qu'elles s'étaient tout-àfait éteintes. On en est réduit à transcrire en latin les actes du concile tenu à Constantinople en 553 contre Eutychès, parce que le pape Virgile n'entendait pas grec et n'avait personne autour de lui qui pût le comprendre (3). Il devient de plus en plus rare qu'on cite dans l'église latine quelques hommes instruits dans la langue grecque, comme Fulgence, né dans Carthage et formé par les moines de l'Egypte (3).

le

(1) Tillemont. Les Emp. t. VI. p. 55.

(2) Abrégé de l'Hist. ecclés., 576. On cite encore, à la même époque, un écrivain nommé Planciades Fulgentius, auteur de trois livres de mythologies, mythologiarum, d'un écrit De continentia Virgilii et de vocibus antiquis. Barthe, dans son commentaire sur Stace, t. III, p. 449, en dit ceci : Hæc Fulgentius. Quem scriptorem legendo miseratione temporum adficimur. Tanta enim ruditas a Græca litteratura erat, ut sibi adrogantiæ summæ homo omnia scribere licere crederet, modo vel auctores Græcos, vel voces ejusdem linguæ per caput pedesque attrahere posset in medium, et inde suum negotium curare.

(3) Ibid. 594.

XVII.

En Gaule pourtant il restait plus que des vestiges de l'ancienne civilisation grecque qui avait si longtemps brillé dans cette colonie de la Grèce. Au commencement du VIe siècle, une partie du peuple parlait encore le On le voit par une circonstance de la vie de Saint Cégrec. saire. Sorti du monastère de Lérins, appelé à occuper le siége épiscopal d'Arles, il institua pour les laïques l'usage de chanter, comme les clercs des psaumes et des hymnes. Or les uns chantaient en grec et les autres en latin. Cet évêque illustre exhortait ses fidèles à ne pas se contenter d'entendre lire l'écriture dans l'église, mais à la lire encore dans leurs maisons (1). Il établit aussi un couvent de religieuses. Pour le gouverner il fit venir de Marseille Césarie, sa sœur. Parmi les règles imposées à ces femmes, on remarque l'obligation de transcrire en beaux caractères les livres saints. Elles apprenaient toutes à lire et faisaient tous les jours deux heures de lecture, depuis six heures du matin jusqu'à huit. Il n'est pas probable que Césaire ait interdit les lectures grecques à celles des religieuses qui parlaient cette langue avant d'entrer dans le cloître. Il n'est pas surprenant que des femmes aient dans les monastères poussé loin leurs études; rien n'empêche de croire qu'il n'y eût alors dans Arles quelqu'une de ces religieuses instruites, comme Radegonde la Thuringienne, à qui Fortunat adresse ses compliments

(1) Abrégé de l'Hist. ecclés. t. II, p. 661.

les plus gracieux et qu'il félicite de lire les pères grecs et latins dans son monastère de Poitiers (1).

Césaire n'était point un savant, il s'était même, par zèle religieux, interdit les lettres humaines. Un songe l'en avait éloigné pour toujours. Ayant en effet posé sous son épaule le livre que son maître lui avait donné à lire, il vit dans son sommeil un dragon lui ronger l'épaule et le bras qui touchaient le livre (2). Nous voyons cependant qu'il n'interdisait pas la lecture à ses moines; il faut même reconnaître en lui une liberté d'esprit qui n'était pas ordinaire dans l'église latine: trouvant dans Arles l'emploi de la langue grecque établi dans une partie de la population, il toléra que chacun se servît de sa langue naturelle et il laissa les laïques chanter à l'instar des clercs, soit en grec, soit en latin, des proses et des antiennes, en alternant à la manière de l'église grecque. Fut-il lui même étranger à la connaissance du grec? Il serait téméraire de l'affirmer, puisqu'on remarque des passages entiers d'Origène dans ses homélies. Il se complaît dans les interprétations mystiques de l'écriture sainte. Il a pour modèles et pour guides Saint Ambroise sans doute et Saint Augustin, mais il est curieux de lui entendre dire que Gédéon est une image anticipée du Christ, parce que Gédéon prend

(1) Voici le passage:

Cujus sunt epulæ, quidquid pia regula pangit,
Quidquid Gregorius, Basiliusque docent:
Acer Athanasius, quod lenis Hilarius edunt,
Quod tonat Ambrosius Hieronymusque coruscat,

Sive Augustinus fonte fluente rigat:

Sedulius dulci, quod Orosius edit acutus,

Regula Cæsarii linea nata sibi est.

Les rédacteurs de l'Histoire littéraire de la France disent à ce propos: « L'on doit inférer de là qu il faut qu'on y (dans les monastères) cultivât la langue grecque, pour y lire ainsi les pères grecs, puis qu'il ne paraît pas que ceux que nous venons de nommer eussent encore tous été traduits en latin; aussi a-t-on vu sur le siècle précédent que, dans le monastère où fut élevé le savant Mamert Claudien, on cultivait effectivement le grec. t. III p. 31. (2) Ampère. t. II. p. 220,

avec lui trois cents hommes pour combattre, et que le nombre trois cents est exprimé en grec par une lettre qui a la forme de la croix (1).

Un de ces rois barbares qui semblaient devoir détruire à jamais les lettres, Théodoric, au début du VIe siècle, leur rendit en Italie un moment de vie et de splendeur. Ce prince, dont le sauvage caractère ne manquait pas de grandeur, voulut, à peine établi dans Ravenne, régler sa Cour sur le modèle de celle des empereurs. Il eut un préfet du prétoire, un préfet de Rome, un questeur, un maître des offices, une hiérarchie de fonctionnaires payés par le trésor et dont les titres rappelaient ceux des grands dignitaires de Dioclétien ou de Théodose. Il écrivait à l'empereur Anastase : « Vous êtes l'honneur de tous les royaumes... notre gouvernement est une imitation du vôtre... autant nous marchons après vous dans cette voie, autant nous y précédons les autres nations de l'univers.- Vos estis regnorum omnium pulcherrimum decus... regnum vestrum imitatio nostra... Qui quantum vos sequimur, tantum gentes alias anteimus (*). »

Egalement soucieux du lustre que donne la culture des lettres, il s'appliqua à relever les écoles et à les maintenir. Cassiodore, fils d'un ancien ministre d'Odoacre, devint l'agent actif de ses desseins. Il le chargea d'imprimer une direction aux esprits, et l'on vit Amalasonte (3), la fille du roi, recevoir par ses soins, une éducation toute romaine. Autour de lui, de beaux esprits rivalisaient de flatteries et de faconde, c'étaient l'évêque Ennodius, le philosophe Boèce, avec Symmaque, son

(1) Ampère. t. II, p. 229.

(2) Cassiodore. Variarum Epistolarum, I.

(3) Amalasuntha Ostrogotorum regina, Theodorici filia, græce et latine eruditissima fuit. - Martin Crusius, Germanogræcia. Le même, Annales Suevici, p. 221: Amalasuntha Domina corporis et animi donis ornatissima; græcæ et latinæ ac plurimarum linguarum doctissima.

beau-père, et l'historien Goth Jornandès. Ennodius, évêque de Pavie, fut l'un des plus beaux ornements du règne de Théodoric. Il mourut vers 516, après avoir célébré ce prince dans un panégyrique. On est surpris qu'à cette époque, un évêque ait gardé tant d'affection pour les souvenirs de la mythologie. Ennodius était gaulois, on ne voit pas qu'il ait puisé directement aux sources des Grecs, mais il est plein des souvenirs de leurs fables. Quels sujets choisit-il de préférence dans ses déclamations? Ceux qui paraissent se rattacher plus étroitement à la Grèce; par exemple, ce sont : Les Paroles de Junon quand elle vit Anthée égaler en force Hercule; ou bien, Le discours De Thétis sur le corps d'Achille. Ecrivant à un autre évêque, il compare leur amitié à celle d'Oreste et de Pylade, de Castor et de Pollux. S'il demande à son ami Pomérius des explications sur la Bible, sur les patriarches et les prophètes, il termine en parlant de la toile de Pénélope. Il écrit à Boèce une lettre toute pleine de Cicéron, de Démosthène et de Scipion. Il va même jusqu'à demander à la mythologie grecque les souvenirs les plus difficiles à rappeler en termes précis pour en faire une épigramme sur Pasiphaé (1).

Peut-être tout cet attirail de grécité n'était-il chez Ennodius qu'une parure d'or faux et de fausse érudition puisée à des sources latines. Cassiodore était plus instruit, son savoir en grec était réel. On le voit par ses écrits. Arrivé aux plus grands honneurs sous Théodoric, Athalaric, Théodat et Witige, il eut toutes les qualités d'un homme d'Etat. Il se servit de son influence sur ces princes pour sauver les restes de l'antiquité. Né dans la Calabre, non loin des villes de la Grande Grèce, où Pythagore avait enseigné, où, après

(1) Ampère. t. II, p. 216.

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