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les ait faits, dit Thrasylle, ils sont excellents. » Et Auguste d'éclater de rire. Ces distractions valaient mieux que celles de Tibère (1).

II

Celui-ci eût été très-capable de parler grec, il ne le voulut jamais. « Sermone Græco, quamquam alioqui promptus et facilis non tamen usquequaque usus est. » Il y mettait une sorte de pruderie. Ayant besoin au Sénat du mot monopolium, il s'excusa d'employer un mot étranger. Il fit effacer d'un décret des sénateurs le mot quλnux, qui s'y trouvait, et le remplaça par un mot latin. Il aimait mieux qu'on eût recours à quelque périphrase plutôt que d'introduire un terme étranger à la langue du pays. Un soldat devait déposer dans une cause; on l'avait interrogé en grec, il lui défendit de répondre autrement qu'en latin. Il faut s'y résigner: Tibère n'aimait pas cette langue. On voit pourtant, à ses scrupules, combien elle gagnait autour de lui, puisqu'elle envahissait déjà les actes publics.

En revanche, Caligula écrivit des comédies en grec (2). Il encourageait les concours où l'on proposait des ouvrages écrits dans les deux langues latine et grecque. Il savait à propos trancher un débat entre ses amis par ces mots : εἷς κοίρανος ἔστω, εἷς βασιλεύς.

Faut-il voir une preuve de son hellénisme dans la fantaisie qui lui faisait apporter à Rome les chefsd'œuvre de la statuaire grecque pour remplacer par sa propre tête, celle des Dieux et des héros, celle même de Jupiter Olympien? (3) Homère pourtant courut avec lui le danger de se voir abolir. Il réclamait pour luimême la liberté que s'était donnée Platon de le bannir de sa république. C'était un dangereux ami que les Grecs avaient là !

(1) Suétone. Vie d'Auguste.

(2) Suétone... inter cætera studiorum monumenta reliquit et comœdias græcas.

3) Suétone. Caligula.

8

Claude, cet érudit étrange, mélange de savoir et de

le

il se faipour grec; niaiserie, avait un grand faible sait gloire de cet amour, il disait que cette langue était supérieure à la langue latine. Elle était la sienne, c'était du moins ce qu'il faisait entendre en félicitant un étranger qui avait parlé devant lui en grec et en latin: « Cum utroque sermone nostro sis peritus. » L'Achaïe lui était particulièrement chère; il la recommandait à la bienveillance des Sénateurs. Souvent, quand il venait quelque ambassade de ce pays, il répondait fort au long aux envoyés. C'était en grec qu'il donnait le mot d'ordre au tribun de garde, quand il avait à se défaire ou d'un ennemi, ou d'un conspirateur :

ἄνδρ' ἐπαμύνασθαι, ὅτε τις πρότερος χαλεπαίνοι.

Enfin il écrivit en grec deux histoires, vingt livres sur les Antiquités Tyrrhéniennes Tuppyvxov, huit sur celles de Carthage Καρχηδονικῶν. Ι voulut que chaque année, à jour fixe, au musée d'Alexandrie, on fit la lecture de ces deux ouvrages; il se considérait lui-même comme un antique, comme un modèle.

On en est bien fàché pour les lettres grecques, mais elles ne firent rien sur le caractère monstrueux de Néron. Elles ne servirent qu'à donner à ses passions et à ses folies un air de baladinage et de dilettantisme qui les rend plus odieuses. On le voit « de cet air mélodra" se dire matique qui n'appartenait qu'à lui ('), tourmenté par par les furies, jouer avec ses remords et citer des vers grecs sur les parricides. Il avait un goût prononcé pour Oreste, pour Edipe, pour Hercule en délire; il aimait à représenter ces personnages sur la la scène. On remarqua qu'une des dernières pièces qu'il que ait chantées en public était Edipe exilé, et mémoire lui fit défaut à ce vers:

θανεῖν μὲ ἀνώγει σύγγαμος, μήτηρ, πατήρ.

(1) Renan. L'Antechrist. p. 127.

Ses souvenirs littéraires n'ont fait que suggérer ou des crimes à son imagination pervertie, ou des citations horribles. Il jouait depuis son enfance l'Incendie de Troie.

Dans un de ses accès de fureur égoïste contre le sort, il s'écria : « Heureux Priam, qui a pu voir de ses yeux son empire et sa patrie périr à la fois." Dans une autre circonstance, entendant citer un vers du Bellerophon d'Euripide, qui signifiait :

Moi mort, puissent la terre et le feu se confondre !

« Oh non! dit-il, mais bien moi vivant! (1) Dicente quodam in sermone communi:

ἐμοῦ θανόντος γαῖα μιχθήτω πυρί,

imo, inquit, quo (@vtos, » et Suétone ajoute : « Planeque ita fecit." Il l'accuse d'avoir incendié Rome, d'avoir, à la lueur des flammes, chanté « äλwow Ilii, la prise d'Ilion avec le costume du Théâtre. Il voulait rebâtir Rome et l'appeler Néropolis.

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A ses derniers moments, près de mourir, il ne cessait de répéter des citations classiques; suivant Dion Cassius (2), il se rappelait ce vers qu'un tragique avait mis dans la bouche d'Edipe:

οἰκτρῶς θανεῖν μ ̓ ἄνωγε σύγγαμος, πατήρ.

Epouse et père veulent que je meure misérablement.

Quand il lui venait quelque honte de sa lâcheté à mourir, il se disait en grec : « Οὐ πρέπει Νέρωνι, οὐ πρέπει. Νήφειν δεῖ ἐν τοῖς τοιούτοις. Αγε, ἔγειρε σαυτόν. » Et il ne parvenait pas à se donner du cœur. Enfin, il entendit le bruit des cavaliers qui accouraient vers sa retraite. A cet instant

(1) Renan. ibid. 144.

(2) Lib. LXIII; 28.

décisif, dont il ne se cache pas l'horreur, c'est un vers de l'Iliade (') qui s'offre à son esprit :

ἵππων μ ̓ ὠκυπόδων ἀμφὶ κτύπος οὔατα βάλλει

Le pas des lourds chevaux me frappe les oreilles.

Ce serait en vérité à faire prendre le grec en horreur ! Rappelons-nous pourtant que cette langue servait aussi aux ennemis de Néron pour marquer ses crimes d'une note d'infamie. On trouva souvent, dit Suétone, des affiches qui portaient ces mots :

Νέρων, Ορέστης, Αλκμαίων, μητροκτόνοι.

Néron, Oreste, Alcméon, meurtriers de leur mère. Ou encore :

Νεόνυμφον Νέρων ἰδίαντε μητέρ ̓ ἀπέκτεινεν.

Néron a tué sa jeune femme, il a tué sa mère.
Légère expiation de tant de crimes!

Galba, Othon, Vespasien laissent surprendre dans leur vie quelques traces d'hellénisme, mais ils n'en firent point, comme Néron, usage pour le crime et la folie. Domitien décora d'une citation grecque le traité qu'il dédia à un de ses amis, sur l'art de soigner la chevelure: " Quamvis libello quem de cura capillorum ad amicum edidit, hoc etiam, simul illum seque consolans, inseruerit, oʊx ópặc wc xảyw xaλóo te μéyao te....... » Une autre fois, comme on le pressait de se marier, il répondit : Μὴ καὶ σὺ γαμῆσαι θέλεις ;. Ce peu d'hellénisme de Domitien peut être compensé par celui d'une corneille fatidique. Quelques mois avant la mort de cet empereur, du haut du Capitole, elle dit en grec: « ἔσται πάντα καλῶς.

...

N'oublions pas qu'il institua un concours quinquennal en l'honneur de Jupiter Capitolin; entre autres exercices, récompensés d'un grand nombre de couronnes,

(1) X, 535.

on distinguait un concours pour la prose grecque et pour la prose latine (1).

Mais ce fut surtout avec les Antonins, avec Marc-Aurèle, que triompha l'hellénisme. On peut dire à sa louange que l'Empire lui dut ses meilleurs princes, comme il lui dut les seuls hommes de talent, historiens, poëtes et philosophes qui, dans leur faiblesse même, relèvent la décadence des mœurs et des esprits.

III.

Même avant l'invasion des barbares, l'étude du grec avait subi un grave déchet. Le christianisme en avait diminué l'importance. A mesure que la doctrine nouvelle augmentait ses progrès, l'esprit prenant une autre direction, c'était autre part que se portait la curiosité. Les chrétiens, qui sortaient des rangs les plus infimes de la société romaine, n'avaient nul goût des lettres grecques; ils ignoraient absolument le monde hellénique. Ceux qui venaient au christianisme en partant des régions supérieures faisaient vite le sacrifice d'études qui leur semblaient trop frivoles et même dangereuses. Les fondateurs de la religion nouvelle se donnaient pour des pêcheurs, pour des ignorants: ils ne comptaient ni sur l'éloquence ni sur la rhétorique pour se faire écouter, ils méprisaient ces moyens humains, non in persuasibilibus humanis, comme dit Saint Paul.

Cet apôtre lui-même et quelques-uns des premiers docteurs du christianisme n'étaient pourtant pas étrangers à la culture des Grecs (2). Saint Paul, en prêchant

(1) Voir Suétone. Vie de Domitien. Egger. Mémoires de Philologie étude du Grec et du latin par les Grecs. p. 270.

(2) Voici ce qu'en dit Saint Jérôme, dans une de ses lettres du liv. II, qui commence ainsi : «Sebesium nostrum suis monitis profecisse... (D. Hieronymi Stridoniensis Epist. Selectæ, et in libros tres distributæ opera D. Petri Casinii Theologi, Parisiis, 1588.) Sed et Paulus Apostolus Epimenidia poetæ abusus versiculo est

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