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le président, doit se faire maintenant par-devant la curie. (Gaïus, 1, 6.)

3o Les tuteurs étaient nommés à Constantinople par le préfet de la ville, dix sénateurs et le préteur. L'interprétation met à leur place « les premiers de la cité avec le juge » (probablement le duumvir), (Int. C. Th. m, 17, 3.)

40 Les testaments doivent être ouverts dans la curie. (Interp., C. Th. iv, 4, 4.)

Les cas de ce genre abondent, et ne permettent pas de douter que, loin de périr avec l'empire, le régime municipal n'eût acquis après l'invasion, dans la Gaule méridionale du moins, plus d'extension et de liberté.

Un second changement considérable s'y laisse aussi entrevoir. Dans l'ancienne municipalité romaine, les magistrats supérieurs, le Duumvir, le Quinquennalis, etc., exerçaient leur juridiction comme un droit personnel, nullement par voie de délégation et en qualité de représentants de la curie; c'était à eux-mêmes, non au corps municipal, que le pouvoir appartenait. Le principe du régime municipal était plus aristocratique que démocratique. Tel avait été le résultat des anciennes mœurs romaines, et spécialement de l'amalgame primitif des pouvoirs religieux et politiques dans les magistrats supérieurs.

Dans le Breviarium, l'aspect du régime municipal change; ce n'est plus en son propre nom, c'est au nom et comme délégué de la curie que le defensor exerce son pouvoir. A la curie en corps appartient la juridiction. Le principe de son organisation devient démocratique; et déjà se prépare ainsi la transformation qui fera, de la municipalité romaine, la commune du moyen âge.

Ce sont là, messieurs, quant à la permanence du droit romain sous les Visigoths, les principaux résultats de l'ouvrage de M. de Savigny. Je ne sais s'il a bien mesuré la portée du dernier, et toutes ses conséquences dans l'histoire de la société moderne; mais il l'a certainement entrevue, et en général ses idées sont aussi précises que son érudition est exacte et étendue. De tous les savants allemands qui se sont occupés de ce sujet, c'est à coup sûr le plus exempt de tout préjugé germanique, celui qui se laisse le moins entraîner au désir d'amplifier la puissance des anciennes institutions ou des mœurs germaines dans la civilisation moderne, et qui fait à l'élément romain la meilleure part. Quelquefois cependant, la préoccupation de l'esprit national, si je puis m'exprimer ainsi, l'a encore trompé, et j'en citerai un singulier exemple. Il dit, à la fin du chapitre sur le régin te municipal sous les Visigoths:

(1) Tom. 1er, p. 265.

(2) Inter., Cod. Theod., tt, 1, 12.

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Ces mots de reliquis sibi similibus signifient évidemment que les cinq juges seront tirés au sort entre leurs pareils, et non entre les pareils de l'accusé. Il n'y a donc là aucune trace de cette idée que les juges doivent être de même rang et de même condition que l'accusé. Les mots nobilissimi viri auraient dû en convaincre M. de Savigny et prévenir son erreur; comment les appliquer en effet à des juges plébéiens?

Passons des Visigoths aux Bourguignons, et recherchons quel a été, chez ces derniers, l'état de la législation romaine à la même époque.

La préface de leur loi barbare contient, vous vous le rappelez, cette phrase:

Nous ordonnons, comme l'ont fait nos ancêtres, de juger entre Romains suivant les lois romaines; et que ceux-ci sa

chent qu'il recevront, par écrit, la forme et la teneur des lois suivant lesquelles ils doivent juger, afin que personne ne se puisse excuser sur l'ignorance (3).

Le Bourguignon Sigismond avait donc, en 517, l'intention de faire ce que le Visigoth Alaric avait fait onze ans auparavant, de recueillir les lois romaines pour ses sujets romains.

En 1566, Cujas trouva dans un manuscrit un ouvrage de droit qu'il publia sous le titre de Papiani

(3) V. la leçon précédente, p. 218.

responsum ou Liber responsorum, et qui n'a pas | gnons, et la suggéra peut-être, quelques personnes cessé de porter ce nom. Il est divisé en 47 ou 48 litres, et offre les caractères suivants :

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Ce sont l'énumération et la composition réglées, au titre correspondant, par la loi des Bourguignons. 3° Enfin deux titres du premier supplément de cette loi (tit. I et XIX) sont textuellement empruntés au Papiani responsum, publié par Cujas.

Il est évident que cet ouvrage n'est autre que la loi annoncée par Sigismond à ses sujets romains, au moment où il publiait la loi de ses sujets barbares.

D'où vient le titre de cette loi? Pourquoi s'appelle-t-elle Papiani responsum? Ne serait-elle en effet que la répétition d'un ouvrage de Papinien, Souvent appelé Papien par les manuscrits? Rien n'est moins probable. M. de Savigny a fort ingénieusement résolu cette question. Il conjecture que Cujas a trouvé le manuscrit de la loi romaine des Bourguignons à la suite d'un manuscrit du Breviarium d'Alaric, sans que rien marquât la séparation des deux ouvrages; et que le Breviarium finissant par un passage du Liber responsorum de Papinien, Cujas a, par inadvertance, attribué ce passage et donné ce titre à l'ouvrage suivant. L'examen de plusieurs manuscrits confirme cette conjecture, et Cujas lui-même s'était douté de l'erreur.

Comme le Breviarium d'Alaric précéda de quelques années seulement la loi des Romains-Bourgui

(1) Tom. 1, p. 13-16.

ont supposé qu'elle n'en était qu'un extrait. C'est une erreur beaucoup plus court et plus incomplet que le Breviarium, le Papiani responsum, puisque ce nom lui est resté, a cependant puisé plus d'une fois aux sources du droit romain, et fournit, à ce sujet, d'importantes indications.

Il tomba probablement en désuétude lorsque le royaume des Bourguignons fut tombé sous le joug des Francs; tout indique que le Breviarium d'Alaric, plus étendu, et qui satisfaisait mieux aux divers besoins de la vie civile, le remplaça progressivement, et devint la loi des Romains dans toutes les contrées de la Gaule qu'avaient possédées les Bourguignons comme les Visigoths.

Restent les Francs. Quand ils eurent conquis, ou à peu près, toute la Gaule, le Breviarium, et quelque temps aussi le Papien continuèrent d'être en vigueur dans les contrées où ils régnaient auparavant. Mais au nord et au nord-est de la Gaule, dans les premiers établissements des Francs, la situation est différente on ne trouve point là de nouveau code romain, aucune tentative de recueillir et de rédiger la loi romaine pour les anciens habitants. Il est certain cependant qu'elle a continué de les régir; voici les principaux faits qui ne permettent pas d'en douter:

1o Les lois salique et ripuaire répètent continuellement que les Romains seront jugés selon la loi romaine. Plusieurs décrets des rois Francs, entre autres un décret de Clotaire ler, en 560, et un de Childebert II, en 595, renouvellent cette injonction et empruntent au droit romain quelques-unes de ses dispositions. Les monuments législatifs des Francs attestent donc sa perpétuité.

2° Un autre genre de monuments non moins authentiques la prouve également; à coup sûr, plusieurs d'entre vous connaissent les formules ou modèles des formes suivant lesquelles se rédigeaient, du vi au x siècle, les principaux actes de la vie civile, les testaments, les donations, les affranchissements, les ventes, etc. Le principal recueil de formules est celui que publia le moine Marculf, vers la fin, à ce qu'il parait, du vir siècle. Plusieurs érudits, Mabillon, Bignon, Sirmond, Lindenbrog, en ont retrouvé d'autres dans de vieux manuscrits. Un grand nombre de ces formules reproduisent, dans les mêmes termes, les anciennes formes du droit romain sur les affranchissements d'esclaves, sur les donations, les testaments, la prescription, etc., et prouvent ainsi qu'il était toujours d'une application habituelle.

3° Tous les monuments de cette époque, dans les pays occupés par les Francs, sont pleins des noms

du régime municipal romain, duumvirs, défenseurs, | fait contraire accompagne la conquête barbare; les

curie, curiales; et présentent ces institutions comme toujours en vigueur.

4° Beaucoup d'actes civils subsistent en effet, des testaments, des donations, des ventes, etc., qui sont passés suivant les formes du droit romain, dans la curie, et inscrits sur ses registres.

5° Enfin les chroniqueurs du temps parlent souvent d'hommes versés dans la connaissance de la loi romaine et qui en font une étude attentive. Au VI siècle, l'Auvergnat Andarchius « était très-savant dans les œuvres de Virgile, les livres de la loi Théodosienne et l'art du calcul (1). » A la fin du VII° siècle, saint Bonet, évêque de Clermont, « était imbu des principes des grammairiens, et savant dans les décrets de Théodose (2). » Saint Didier, évêque de Cahors, de 629 à 654, « s'appliqua, dit sa vie manuscrite, à l'étude des lois romaines. >>

Ce n'étaient point là, à coup sûr, des érudits; il n'y avait alors point d'académie des inscriptions, et on n'étudiait pas le droit romain par curiosité.

Il n'y a donc pas moyen de douter que, chez les Francs comme chez les Bourguignons et les Visigoths, il continua d'être en vigueur, surtout dans la législation civile et le régime municipal. Ceux d'en- | tre vous, messieurs, qui voudraient rechercher les preuves de détail, les textes originaux sur lesquels se fondent les résultats que je viens d'exposer, en trouveront un grand nombre dans l'ouvrage de M. de Savigny (t. 1, p. 267-273; t. II, p. 101-118), et plus encore dans l'Histoire du Régime municipal en France, que vient de publier M. Raynouard (3), ouvrage plein de recherches curieuses et si complètes, sur certaines questions, qu'en vérité on ne peut les taxer que de surabondance.

Vous le voyez, messieurs, le fait que je me proposais de mettre en lumière est indubitable: les monuments de tout genre nous le montrent, à des degrés inégaux, sans doute, chez les différents peuples, mais partout réel et permanent. Son importance est grande, car il annonçait à la Gaule un état social tout différent de celui où elle avait vécu jusqu'alors. Il n'y avait guère plus de cinq siècles qu'elle était tombée au pouvoir des Romains; et déjà il n'y restait plus presque aucune trace de l'ancienne société gauloise. La civilisation romaine a eu cette terrible puissance d'extirper les lois, les mœurs, la langue, la religion nationales, de s'assimiler pleinement ses conquêtes. Toutes les expressions absolues sont exagérées; cependant, à considérer les choses en général, au vr siècle, tout, en Gaule, était romain. Le

(4) Grégoire de Tours, 1. IV, c. XLVII, (2) Acta sanct. Janua,, c. 1, no 3.

Germains laissent à la population vaincue, ses lois, ses institutions locales, sa langue, sa religion. Une invincible unité marchait à la suite des Romains; ici, la diversité s'établit par le fait même et de l'aveu des conquérants. Nous avons reconnu que l'empire de la personnalité, de l'indépendance individuelle, ce caractère de la civilisation moderne, était d'origine germanique; nous en retrouvons ici l'influence; l'idée de la personnalité préside aux lois comme aux actions; l'individualité des peuples, bien que soumis à la même domination politique, est proclamée comme celle des hommes. Il faudra des siècles pour que la notion du territoire l'emporte sur celle de la race, pour que la législation, de personnelle, redevienne réelle, pour qu'une nouvelle unité nationale résulte de la fusion lente et laborieuse des éléments divers.

Cela convenu, messieurs, et la perpétuité de la législation romaine bien établie, que ce mot cependant ne vous fasse pas illusion: on s'y est beaucoup trompé; parce qu'on a vu le droit romain continuer, parce qu'on a rencontré les mêmes noms, les mêmes formes, on en a conclu que les principes, que l'esprit des lois étaient aussi restés les mêmes: on a parlé du droit romain du x° siècle comme de celui de l'empire. Langage plein d'erreur : quand Alaric et Sigismond ordonnèrent un nouveau recueil des lois romaines à l'usage de leurs sujets romains, ils firent exactement ce que firent ailleurs Théoderic et Dagobert, en faisant rédiger pour leurs sujets francs les lois barbares. Comme les lois salique et ripuaire écrivaient d'anciennes coutumes, déjà mal adaptées au nouvel état des peuples germains, de même le Breviarium d'Alaric et le Papiani responsum recueillirent des lois déjà vieillies et en partie inapplicables. Par la chute de l'empire et l'invasion, tout l'ordre social devait changer; les relations des hommes étaient différentes, un autre régime de la propriété commençait; les institutions politiques romaines ne pouvaient subsister; les faits de tout genre se renouvelaient sur toute la surface du territoire. Et quelles lois donne-t-on à cette société naissante, désordonnée, mais féconde? Deux lois anciennes; les anciennes coutumes barbares et l'ancienne législation romaine. Evidemment ni les unes ni les autres ne pouvaient lui convenir; les unes et les autres devaient se modifier, se métamorphoser profondément pour s'adapter aux nouveaux faits.

Quand donc nous disons qu'au vr° siècle le droit romain s'est perpétué, que les lois barbares ont été

(3) 2 vol. in-8°. Paris, chez Sautelet, rue de Richelieu, no 44, et chez Alexandre Mesnier, place de la Bourse.

écrites, quand nous trouvons dans les siècles posté- | que j'essayerai de vous faire assister; les historiens n'en parlent pas; des mots invariables la couvrent; c'est un travail intérieur, un spectacle profondément caché et auquel on n'arrive qu'en perçant beaucoup d'enveloppes, en se defendant de l'illusion que nous fait la similitude des formes et des noms.

rieurs toujours les mêmes mots : droit romain, lois barbares, ne croyez pas que nous parlions du même droit, des mêmes lois. En se perpétuant, le droit romain a changé; après avoir été écrites, les lois barbares se sont dénaturées. Les uns et les autres sont au nombre des éléments essentiels de la société moderne; mais comme des éléments entrent dans une combinaison nouvelle, qui naîtra d'une longue fermentation, et au sein de laquelle ils n'apparaîtront que transformés.

Nous voilà au terme de nos recherches sur l'état de la société civile en Gaule du vr siècle au milieu du vin. Nous étudierons, dans notre prochaine réunion, les changements survenus dans la société religieuse à la même époque, c'est-à-dire l'état et la con

C'est à cette transformation successive, messieurs, stitution de l'Église.

DOUZIÈME LEÇON.

Objet de la leçon. De l'état de l'Église en Gaule du vie siècle au milieu du vine. Analogie de l'état primitif de la société religieuse et de la société civile. De l'unité de l'Église, ou de la société spirituelle. Des deux éléments ou conditions de la société spirituelle : 1o Unité de la vérité, c'est-à-dire de la raison absolue; 20 Liberté des esprits, c'est-à-dire de la raison individuelle. De l'état de ces deux idées dans l'Église chrétienne du vie au vine siècle. Elle adopte l'une et méconnaît l'autre. De l'unité de l'Église dans la législation. et l'Église d'Occident, quant à la poursuite des hérétiques.

-

Conciles généraux.

Différence entre l'Eglise d'Orient Des rapports de l'Église avec l'Etat du vie au vire siècle : 1o Dans l'empire d'Orient; 2o Dans l'Occident, et spécialement dans la Gaule-Franque. Intervention du pouvoir temporel dans les affaires de l'Église, — du pouvoir spirituel dans les affaires de l'État. — Résumé.

MESSIEURS,

Nous rentrons aujourd'hui dans une route où nous avons déjà marché; nous reprenons un fil que nous avons tenu : nous avons à nous occuper de l'histoire de l'Église chrétienne de Gaule depuis l'accomplissement de l'invasion jusqu'à la chute des rois mérovingiens, c'est-à-dire, du vi au milieu du VIIIe siècle.

La détermination de cette période n'est point arbitraire; l'avénement des rois carlovingiens a marqué une crise dans la société religieuse aussi bien que dans la société civile. C'est une date qui fait époque, et à laquelle il convient de s'arrêter.

Rappelez-vous, je vous prie, le tableau que j'ai tracé de l'état de la société religieuse en Gaule avant la chute définitive de l'empire Romain, c'est-à-dire à la fin du iv et au commencement du v° siècle. Nous avons considéré l'Église sous deux points de vue: 1° dans sa situation extérieure, dans ses rapports avec l'État; 2° dans sa constitution intérieure,

dans son organisation sociale et politique. A ces deux problèmes fondamentaux se rallient, nous l'avons vu, toutes les questions particulières, tous les faits.

Ce double examen nous a fait entrevoir, dans les cinq premiers siècles de l'Église, le germe de toutes les solutions des deux problèmes, quelque exemple de toutes les formes, des essais de toutes les combinaisons. Point de système, soit quant aux relations extérieures de l'Église, soit quant à son organisation intérieure, qui ne puisse remonter jusqu'à cette époque, et s'y rattacher à quelque autorité. L'indépendance, l'obéissance, la souveraineté ou les transactions de l'Église avec l'État, le presbytérianisme ou l'épiscopat, l'absence complète du clergé ou sa domination presque exclusive, nous avons tout rencontré, tout aperçu.

Nous venons d'examiner l'état de la société civile après l'invasion, dans les vi et vii° siècles, et nous sommes arrivés au même résultat. Nous y avons également trouvé le germe, l'exemple de tous les

gine.

systèmes d'organisation sociale et de gouvernement; | de temps, de lieu, de domination, de langue, d'orila monarchie, l'aristocratie et la démocratie; les assemblées d'hommes libres; le patronage du chef de bande sur ses guerriers, du grand propriétaire sur les propriétaires inférieurs; la royauté absolue et impuissante, élective et héréditaire, barbare, impériale et religieuse; tous les principes en un mot qui se sont développés dans la vie de l'Europe moderne, nous ont dès lors simultanément apparu.

Remarquable similitude, messieurs, dans les origines et l'état primitif des deux sociétés : la richesse et la confusion y sont pareilles; toutes choses y sont; aucune à sa place et dans sa mesure; l'ordre y viendra avec le développement; en se développant, les éléments divers se dégageront, se distingueront, déploieront chacun ses prétentions et ses forces propres, d'abord pour se combattre, ensuite pour transiger. Telle sera l'œuvre progressive du temps et de l'homme.

C'est à ce travail que nous allons désormais assister nous avons saisi, dans le berceau des deux sociétés, tous les éléments matériels, tous les principes rationnels de la civilisation moderne; nous allons les suivre dans leurs luttes, leurs négociations, leurs amalgames, dans toutes les vicissitudes de leur destinée spéciale et commune. C'est là, à proprement parler, l'histoire de la civilisation; nous n'avons guère fait encore que reconnaître le théâtre de cette histoire, et en nommer les acteurs.

Vous ne vous étonnerez pas, messieurs, qu'en entrant dans une nouvelle ère, nous rencontrions d'abord la société religieuse; elle était, vous le savez, la plus avancée et la plus forte; soit dans la municipalité romaine, soit auprès des rois barbares, soit dans la hiérarchie des conquérants devenus propriétaires, nous avons partout reconnu la présence et l'influence des chefs de l'Église. Du iv au xu siècle, c'est l'Église qui a marché la première dans la carrière de la civilisation. Il est donc naturel que, dans cet intervalle, toutes les fois que nous avons fait une halte et que nous nous remettons en mouvement, ce soit par elle que nous ayons à recom

mencer.

Nous étudierons son histoire du vi au vIII° siècle sous les deux points de vue déjà indiqués, 1° dans ses relations avec l'État; 2° dans sa constitution propre et intérieure.

Mais, avant d'aborder l'une ou l'autre de ces questions, et les faits qui s'y rattachent, je dois appeler votre attention sur un fait qui les domine tous, qui caractérise l'Église chrétienne en général, et a décidé, pour ainsi dire, de sa destinée.

Ce fait, c'est l'unité de l'Église, l'unité de la société chrétienne, indépendamment de toutes les diversités

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Singulier phénomène! C'est au moment où l'empire Romain se brise et disparait que l'Église chrétienne se rallie et se forme définitivement. L'unité politique périt, l'unité religieuse s'élève. Je ne sais combien de peuples divers d'origine, de mœurs, de langage, de destinée, se précipitent sur la scène; tout devient local, partiel; toute idée étendue, toute institution générale, toute grande combinaison sociale s'évanouit; et c'est à ce moment que l'Église chrétienne proclame le plus haut l'unité de sa doctrine, l'universalité de son droit.

Fait glorieux et puissant, messieurs, qui a rendu, du ve au XIe siècle, d'immenses services à l'humanité. L'unité de l'Église a seule maintenu quelque lien entre des pays et des peuples que tout d'ailleurs tendait à séparer; sous son influence, quelques notions générales, quelques sentiments d'une vaste sympathie ont continué de se développer; et du sein de la plus épouvantable confusion politique que le monde ait jamais connue, s'est élevée l'idée la plus étendue et la plus pure, peut-être, qui ait jamais rallié les hommes, l'idée de la société spirituelle, car c'est là le nom philosophique de l'Église, le type qu'elle a voulu réaliser.

Quel sens attachaient à ces mots, messieurs, les hommes de cette époque, et quels progrès avaient-ils déjà faits dans cette voie? Qu'était vraiment, dans les esprits et dans les faits, cette société spirituelle, objet de leur ambition et de leur respect? Comment était-elle conçue et pratiquée? Il faut répondre à ces questions pour savoir ce qu'on dit quand on parle de l'unité de l'Église, et ce qu'on doit penser de ses principes comme de ses résultats.

Une conviction commune, c'est-à-dire, une même idée reconnue et acceptée comme vraie, telle est la base fondamentale, le lien caché de la société humaine. On peut s'arrêter aux associations les plus bornées et les plus simples, ou s'élever aux plus compliquées, aux plus étendues; on peut examiner ce qui se passe entre trois ou quatre Barbares réunis pour une expédition de chasse, ou dans le sein d'une assemblée appelée à traiter des affaires d'un grand peuple; partout et dans tous les cas, c'est dans l'adhésion des individus à une même pensée que consiste essentiellement le fait de l'association : tant qu'ils ne se sont pas compris et entendus, ils ne sont que des êtres isolés, placés les uns à côté des autres, mais qui ne se pénètrent et ne se tiennent point. Un même sentiment, une même croyance, quels qu'en soient la nature ou l'objet, telle est la condition première de l'état social; c'est dans le sein de la vérité seulement, ou de ce qu'ils prennent

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