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très-certainement, sous une forme ou sous une autre, | systèmes, aux prises sur l'Escaut comme sur la Taelle aurait fait la révolution de 1688. Mais cette crise arriva par des causes supérieures même à l'état intérieur de l'Angleterre. Elle a été européenne aussi bien qu'anglaise. C'est ici que la révolution d'Angleterre se rattache par les faits mêmes, et indépendamment de l'influence qu'a pu exercer son exemple, au cours général de la civilisation européenne.

mise. La ligue était si forte contre Louis XIV qu'on y vit entrer, soit publiquement, soit d'une manière cachée mais très-réelle, des souverains à coup sûr très-étrangers aux intérêts de la liberté civile et religieuse. L'empereur d'Allemagne, le pape Innocent XI, soutenaient Guillaume III contre Louis XIV. Guillaume passa en Angleterre moins pour servir les intérêts intérieurs du pays que pour attirer l'Angleterre tout entière dans la lutte contre Louis XIV. Il prit ce nouveau royaume comme une force nouvelle dont il avait besoin et dont son adversaire avait jusque-là disposé contre lui. Tant que Charles II et Jacques II avaient régné, l'Angleterre avait appartenu à Louis XIV; c'était lui qui en avait disposé, et l'avait sans cesse opposée à la Hollande. L'Angleterre fut donc arrachée au parti de la monarchie pure et universelle, pour devenir l'instrument et l'appui le plus fort du parti de la liberté religieuse. C'est là le côté européen de la révolution de 1688; c'est par là qu'elle a pris place dans l'ensemble des événements de l'Europe, indépendamment du rôle qu'elle a joué par son exemple et de l'influence qu'elle a exercée sur les esprits dans le siècle suivant.

Pendant qu'en Angleterre éclatait la lutte que je viens de vous retracer, la lutte du pouvoir absolu contre la liberté religieuse et la liberté civile, une Jutte du même genre s'engageait sur le continent, bien différente quant aux acteurs, quant aux formes, quant au théâtre, mais au fond la même et pour la même cause. La monarchie pure de Louis XIV tentait de devenir la monarchie universelle; au moins elle donnait lieu de le craindre; en fait, l'Europe le craignait. Il se fit une ligue en Europe pour résister à cette tentative entre des partis politiques, et le chef de cette ligue fut le chef du parti de la liberté religieuse et de la liberté civile en Europe, Guillaume, prince d'Orange. La république protestante de la Hollande, avec Guillaume pour chef, entreprit de résister à la monarchie pure représentée et conduite par Louis XIV. Ce n'était pas de la liberté civile et religieuse dans l'intérieur des États, mais de leur indépendance extérieure qu'il s'agissait en appa-sentiel de cette révolution, c'est bien la tentative rence. Louis XIV et ses adversaires ne croyaient nullement débattre entre eux la question qui se débattait en Angleterre. La lutte se passait, non entre des partis, mais entre des États; elle se faisait par la guerre et la diplomatie, non par des mouvements politiques et des révolutions. Mais au fond, c'était la même question qui s'agitait.

Lors donc que Jacques II recommença en Angleterre le débat du pouvoir absolu et de la liberté, ce débat tomba au milieu de la lutte générale qui avait lieu en Europe entre Louis XIV et le prince d'Orange, représentants l'un et l'autre des deux grands

Vous le voyez, messieurs, comme je vous l'ai dit en commençant, le véritable sens, le caractère es

d'abolir le pouvoir absolu dans l'ordre temporel comme dans l'ordre spirituel. Ce fait se retrouve dans toutes les phases de la révolution, dans sa prémière période jusqu'à la restauration, dans la seconde jusqu'à la crise de 1688, et soit qu'on la considère dans son développement intérieur ou dans ses rapports avec l'Europe en général.

Il nous reste à étudier sur le continent le même grand événement, la lutte de la monarchie pure et du libre examen, ou du moins ses causes et ses approches. Ce sera l'objet de notre prochaine et dernière réunion.

QUATORZIÈME LEÇON.

Objet de la leçon. Différence et ressemblance entre la marche de la civilisation de l'Angleterre et celle du continent. Prépondérance de la France en Europe dans les xvne et xvme siècles.

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Au XVIe siècle par le gouvernement français. · De ses guerres. De sa diplomatie. De son admiDe la France au xvme siècle. · Caractères essentiels

MESSIEURS,

J'ai essayé, dans notre dernière réunion, de déterminer le véritable caractère, le sens politique de la révolution d'Angleterre. Nous avons reconnu qu'elle était le premier choc des deux grands faits auxquels est venue aboutir, dans le cours du XVI siècle, toute la civilisation de l'Europe primitive, la monarchie pure d'un côté et le libre examen de l'autre. Ces deux puissances en sont venues aux mains pour la première fois en Angleterre. On a voulu en induire une différence radicale entre l'état social de l'Angleterre et celui du continent; on a prétendu qu'aucune comparaison n'était possible entre des pays de destinée si diverse; on a affirmé que le peuple anglais avait vécu dans une sorte d'isolement moral analogue à son isolement matériel.

Il y a eu, il est vrai, entre la civilisation anglaise et la civilisation des États continentaux une différence grave et dont il importe de se bien rendre compte. Vous avez déjà pu l'entrevoir dans le cours de nos leçons. Le développement des différents principes, des différents éléments de la société, s'est fait en Angleterre en quelque sorte simultanément et de front, beaucoup plus du moins que sur le continent. Lorsque j'ai tenté de déterminer la physionomie propre de la civilisation européenne comparée aux civilisations anciennes et asiatiques, j'ai fait voir que la première était variée, riche, complexe; qu'elle n'était jamais tombée sous la domination d'aucun principe exclusif; que les divers éléments de l'état social s'y étaient combinés, combattus, modifiés, avaient été continuellement obligés de transiger et de vivre en commun. Ce fait, messieurs, caractère général de la civilisation européenne, a été surtout celui de la civilisation anglaise: c'est en An

gleterre qu'il s'est produit avec le plus de suite et d'évidence; c'est là que l'ordre civil et l'ordre religieux, l'aristocratie, la démocratie, la royauté, les institutions locales et centrales, le développement moral et politique ont marché et grandi ensemble, pêle-mêle pour ainsi dire, sinon avec une égale rapidité, du moins toujours à peu de distance les uns des autres. Sous le règne des Tudor, par exemple, au milieu des plus éclatants progrès de la monarchie pure, on voit le principe démocratique, le pouvoir populaire percer et se fortifier presque en même temps. La révolution du xvII° siècle éclate; elle est à la fois religieuse et politique. L'aristocratie féodale n'y paraît que fort affaiblie et avec tous les symptômes de la décadence: cependant elle est encore en état d'y conserver une place, d'y jouer un rôle important et de se faire sa part dans les résultats. Il en est de même dans tout le cours de l'histoire d'Angleterre ; jamais aucun élément ancien ne périt complétement, jamais aucun élément nouveau ne triomphe tout à fait; jamais aucun principe spécial ne s'empare d'une domination exclusive. Il y a toujours développement simultané des différentes forces, transaction entre leurs prétentions et leurs intérêts.

Sur le continent la marche de la civilisation a été beaucoup moins complexe et moins complète. Les divers éléments de la société, l'ordre religieux, l'ordre civil, la monarchie, l'aristocratie, la démocratie, se sont développés non pas ensemble et de front, mais successivement. Chaque principe, chaque système, a eu en quelque sorte son tour. Il y a tel siècle qui appartient, je ne voudrais pas dire exclusivement, ce serait trop, mais avec une prédominance très-marquée, à l'aristocratie féodale, par exemple; tel autre au principe monarchique;

tel autre au principe démocratique. Comparez le | duites sur la scène continentale avec bien plus de moyen âge français avec le moyen âge anglais, les hardiesse, d'étendue, de liberté. Toutes les expéx1o, x1° et xm° siècles de notre histoire, avec les riences politiques, pour ainsi dire, ont été plus siècles correspondants au delà de la Manche; vous larges et plus achevées. Il en est résulté que les idées trouverez en France à cette époque la féodalité pres-politiques, je parle des idées générales, et non du que absolument souveraine, la royauté et le prin- bon sens appliqué à la conduite des affaires; que cipe démocratique à peu près nuls. Allez en Angle- les idées, dis-je, les doctrines politiques se sont terre, c'est bien l'aristocratie féodale qui domine; élevées bien plus haut et déployées avec bien plus mais la royauté et la démocratic ne laissent pas de vigueur rationnelle. Chaque système s'étant en d'être fortes et importantes. La royauté triomphe quelque sorte présenté seul, étant resté longtemps en Angleterre sous Élisabeth, comme en France sous sur la scène, on a pu le considérer dans son enLouis XIV; mais que de ménagements elle est con- semble, remonter à ses premiers principes, destrainte de garder! que de restrictions, tantôt aristo- cendre à ses dernières conséquences, en démêler cratiques, tantôt démocratiques, elle a à subir! En pleinement la théorie. Quiconque observera un peu Angleterre aussi chaque système, chaque principe attentivement le génie anglais sera frappé d'un a eu son temps de force et de succès; jamais aussi double fait d'une part, de la sûreté du bon sens, complétement, aussi exclusivement que sur le con- de l'habileté pratique; d'autre part, de l'absence d'itinent le vainqueur a toujours été contraint de to-dées générales et de hauteur d'esprit dans les queslérer la présence de ses rivaux et de leur faire à chacun sa part.

A cette différence dans la marche des deux civilisations sont attachés des avantages et des inconvénients qui se manifestent en effet dans l'histoire des deux pays. Nul doute, par exemple, que ce développement simultané des divers éléments sociaux n'ait beaucoup contribué à faire arriver l'Angleterre, plus vite qu'aucun des États du continent, au but de toute société, c'est-à-dire à l'établissement d'un gouvernement à la fois régulier et libre. C'est précisément la nature d'un gouvernement de ménager tous les intérêts, toutes les forces, de les concilier, de les faire vivre et prospérer en commun or, telle était d'avance, par le concours d'une multitude de causes, la disposition, la relation des divers éléments de la société anglaise un gouvernement général et un peu régulier a donc eu là moins de peine à se constituer. De même l'essence de la liberté, c'est la manifestation et l'action simultanées de tous les intérêts, de tous les droits, de toutes les forces, de tous les éléments sociaux. L'Angleterre en était donc plus près que la plupart des autres États. Par les mêmes causes, le bon sens national, l'intelligence des affaires publiques ont dû s'y former plus vite; le bon sens politique consiste à savoir tenir compte de tous les faits, les apprécier et faire à chacun sa part; il a été en Angleterre une nécessité de l'état social, un résultat naturel du cours de la civilisation.

Dans les États du continent, en revanche, chaque système, chaque principe ayant eu son tour, ayant dominé d'une façon plus complète, plus exclusive, le développement s'est fait sur une plus grande échelle, avec plus de grandeur et d'éclat. La royauté et l'aristocratie féodale, par exemple, se sont pro

:

tions théoriques. Soit qu'on ouvre un ouvrage anglais d'histoire, ou de jurisprudence, ou sur toute autre matière, il est rare qu'on y trouve la grande raison des choses, la raison fondamentale. En toutes choses, et notamment dans les sciences politiques, la doctrine pure, la philosophie, la science proprement dite, ont beaucoup plus prospéré sur le continent qu'en Angleterre; leurs élans du moins ont été beaucoup plus puissants et hardis. Et l'on ne peut douter que le caractère différent du développement de la civilisation dans les deux pays n'ait grandement contribué à ce résultat.

Du reste, quoi qu'on puisse penser des inconvénients ou des avantages qu'a entraînés cette différence, elle est un fait réel, incontestable, et le fait qui distingue le plus profondément l'Angleterre du continent. Mais de ce que les divers principes, les divers éléments sociaux se sont développés là plus simultanément, ici plus successivement, il ne s'ensuit point qu'au fond la route et le but n'aient pas été les mêmes. Considérés dans leur ensemble, le continent et l'Angleterre ont parcouru les mêmes grandes phases de civilisation; les événements y ont suivi le même cours; les mêmes causes y ont amené les mêmes effets. Vous avez pu vous en convaincre dans le tableau que j'ai mis sous vos yeux de la civilisation jusqu'au xvI° siècle; vous le reconnaîtrez également en étudiant les xvII et xvII° siècles. Le développement du libre examen et celui de la monarchie pure, presque simultanés en Angleterre, s sont accomplis sur le continent à d'assez longs intervalles, mais ils se sont accomplis; et les deux puissances, après avoir successivement dominé avec éclat, en sont également venues aux mains. La marche générale des sociétés a donc, à tout prendre, été la même; et quoique les différences soient réel

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Dès qu'on jette un coup d'œil sur l'histoire de l'Europe dans les xvII et xvin' siècles, il est impossible de ne pas reconnaitre que la France marche à la tête de la civilisation européenne. En commençant ce cours, j'ai déjà insisté sur ce fait, et j'ai essayé d'en indiquer la cause. Nous le retrouvons ici plus éclatant qu'il n'a jamais été.

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les, la ressemblance est encore plus profonde. Un | français qui agit sur l'Europe, qui marche à la tête rapide tableau des temps modernes ne vous laissera de la civilisation générale. Dans le second, ce n'est aucun doute à ce sujet. plus au gouvernement français, c'est à la société française, à la France elle-même qu'appartient la prépondérance. C'est d'abord Louis XIV et sa cour, ensuite la France et son opinion qui gouvernent les esprits, qui attirent les regards. Il y a eu, dans le XVII° siècle, des peuples qui, comme peuples, ont paru plus avant sur la scène, ont pris plus de part aux événements que le peuple français. Ainsi, pendant la guerre de trente ans, la nation allemande; dans la révolution d'Angleterre, le peuple anglais, ont joué dans leur propre destinée un bien plus grand rôle que les Français ne jouaient à cette époque dans la leur. Au xvIII° siècle pareillement, il y a eu des gouvernements plus forts, plus considérés, plus redoutés, que le gouvernement français. Nul doute que Frédéric II, Catherine II, MarieThérèse, n'eussent en Europe plus d'activité et de poids que Louis XV. Cependant, aux deux époques, c'est la France qui est la tête de la civilisation européenne, d'abord par son gouvernement, ensuite par elle-même; tantôt par l'action politique de ses maîtres, tantôt par son propre développement intellectuel.

Pour bien comprendre l'influence dominante dans le cours de la civilisation en France, et par conséquent en Europe, il faut donc étudier, au xv° siècle, le gouvernement français, au xvin® la société française. Il faut changer de terrain et de spectacle à mesure que le temps change la scène et les acteurs.

Le principe de la monarchie pure, de la royauté absolue, avait dominé en Espagne sous CharlesQuint et Philippe II, avant de se développer en France sous Louis XIV. De même le principe du libre examen avait régné en Angleterre au XVIIe siècle, avant de se développer en France au XVIII. Cependant la monarchie pure n'était pas partie d'Espagne, ni le libre examen d'Angleterre pour envahir l'Europe. Les deux principes, les deux systèmes demeuraient en quelque sorte confinés dans le pays où ils avaient éclaté. Il a fallu qu'ils passassent par la France pour étendre leurs conquêtes; il a fallu que la monarchie pure et la liberté d'examen devinssent françaises pour devenir européennes. Ce caractère communicatif de la civilisation française, ce génie social de la France qui s'est produit à toutes les époques, a donc brillé surtout à celle dont nous nous occupons en ce moment. Je n'insisterai point sur ce fait; il vous a été développé avec autant de raison que d'éclat, dans les leçons où vous avez été appelés à observer l'influence de la littérature et de la philosophie française, au xvm siècle. Vous avez vu comment la France philosophique avait eu, en Quand on s'occupe du gouvernement de Louis XIV, fait de liberté, plus d'autorité sur l'Europe que quand on essaye d'apprécier les causes de sa puisl'Angleterre libre. Vous avez vu comment la civili-sance, de son influence en Europe, on ne parle sation française s'était montrée beaucoup plus active, beaucoup plus contagieuse que celle de tout autre pays. Je n'ai donc nul besoin de m'arrêter sur les détails du fait; je ne m'en prévaux que pour y puiser le droit de renfermer en France le tableau de la civilisation européenne moderne. Il y a eu sans Cette prépondérance a eu, je crois, des bases doute, entre la civilisation française à cette époque plus profondes, des motifs plus sérieux. Il ne faut et celle des autres États de l'Europe, des différences pas croire que ce soit uniquement par des victoires, dont il faudrait tenir grand compte, si j'avais au- par des fêtes, ni même par les chefs-d'œuvre du jourd'hui la prétention d'en exposer vraiment l'his- génie, que Louis XIV et son gouvernement aient toire; mais je vais si vite que je suis obligé d'o-joué à cette époque le rôle qu'on ne peut leur conmettre, pour ainsi dire, des peuples et des siècles. J'aime mieux concentrer un moment votre attention sur le cours de la civilisation française, image imparfaite, et pourtante image du cours général des choses en Europe.

guère que de son éclat, de ses conquêtes, de sa magnificence, de la gloire littéraire du temps. C'est aux causes extérieures qu'on s'adresse et qu'on attribue la prépondérance européenne du gouvernement français.

tester.

Plusieurs d'entre vous peuvent se souvenir, et vous avez tous entendu parler de l'effet que fit en France, il y a vingt-neuf ans, le gouvernement consulaire, et de l'état où il avait trouvé notre pays. Au L'influence de la France en Europe se présente, dehors l'invasion étrangère imminente, de contidans les xvii et xvIII° siècles, sous des aspects très-nuels désastres dans nos armées; au dedans la disdifférents. Dans le premier, c'est le gouvernement solution presque complète du pouvoir et du peuple;

point de revenus, point d'ordre public; en un mot, | tête de leurs armées, chercher au loin des États et

une société battue, humiliée, désorganisée, telle était la France à l'avénement du gouvernement consulaire. Qui ne se rappelle la prodigieuse et heureuse activité de ce gouvernement, cette activité qui en peu de temps assura l'indépendance du territoire, releva l'honneur national, réorganisa l'administration, remania la législation, fit, en un mot, renaître en quelque sorte la société sous la main du pouvoir?

Eh bien! messieurs, le gouvernement de Louis XIV, quand il a commencé, a fait pour la France quelque chose d'analogue; avec de grandes différences de temps, de procédés, de formes, il a poursuivi et atteint à peu près les mêmes résultats.

Rappelez-vous l'état où la France était tombée après le gouvernement du cardinal de Richelieu et pendant la minorité de Louis XIV; les armées espagnoles toujours sur les frontières, quelquefois dans l'intérieur; le danger continuel d'une invasion; les discussions intérieures poussées au comble, la guerre civile, le gouvernement faible et décrié au dedans comme au dehors. Il n'y a jamais eu de politique plus misérable, plus méprisée en Europe, plus impuissante en France que celle du cardinal Mazarin. En un mot, la société était dans un état moins violent peut-être, mais cependant assez analogue au nôtre avant le 18 brumaire. C'est de cet état que le gouvernement de Louis XIV a tiré la France. Ses premières victoires ont fait l'effet de la victoire de Marengo elles ont assuré le territoire. et relevé l'honneur national. Je vais considérer ce gouvernement sous ses principaux aspects, dans ses guerres, dans ses relations extérieures, dans son administration, dans sa législation, et vous verrez, je crois, que la comparaison dont je parle, et à laquelle je ne voudrais pas attacher une importance puérile, je fais assez peu de cas des comparaisons historiques, vous verrez, dis-je, que cette comparaison a un fond réel, et que je suis en droit de m'en servir.

Parlons d'abord des guerres de Louis XIV. Les guerres de l'Europe ont été dans l'origine, vous le savez, et j'ai eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler, les guerres, dis-je, ont été de grands mouvements de peuples; poussées par le besoin, la fantaisie ou toute autre cause, des populations entières, tantôt nombreuses, tantôt de simples bandes, se transportaient d'un territoire dans un autre. C'est là le caractère général des guerres européennes jusqu'après les croisades, à la fin du x siècle.

des aventures. Ils quittent leur pays, ils abandonnent leur propre territoire, et s'enfoncent, les uns en Allemagne, les autres en Italie, d'autres en Afrique, sans autres motifs que leur fantaisie personnelle. Presque toutes les guerres du xv et mêute d'une partie du xvr siècle sont de cette nature. Quel intérêt, et je ne parle pas d'un intérêt légitime, mais quel motif seulement avait la France à ce que Charles VIII possédât le royaume de Naples? Evidemment c'était une guerre qui n'était dictée par aucune considération politique; le roi croyait avoir des droits personnels sur le royaume de Naples, et dans un but personnel, pour satisfaire son désir personnel, il allait entreprendre la conquête d'un pays éloigné, qui ne s'adaptait nullement aux convenances territoriales de son royaume, qui ne faisait au contraire que compromettre au dehors sa force, au dedans son repos. Il en est de même de l'expédition de Charles-Quint en Afrique. La dernière guerre de ce genre est l'expédition de Charles XII contre la Russie. Les guerres de Louis XIV n'ont point eu ce caractère; ce sont les guerres d'un gouvernement régulier, fixé au centre de ses États, travaillant à conquérir autour de lui, à étendre ou à consolider son territoire; en un mot, des guerres politiques. Elles peuvent être justes ou injustes, elles peuvent avoir coûté trop cher à la France; il y a mille considérations à développer contre leur moralité ou leur excès; mais en fait elles portent un caractère incomparablement plus rationnel que les guerres antéricures; ce ne sont plus des fantaisies ni des aventures; elles sont dictées par des motifs sérieux; c'est telle limite naturelle qu'on veut atteindre, telle population qui parle la même langue et qu'on veut s'adjoindre, tel point de défense qu'il faut acquérir contre une puissance voisine. Sans doute l'ambition personnelle s'y mêle; mais examinez l'une après l'autre les guerres de Louis XIV, celles surtout de la première partie de son règne, vous leur trouverez des motifs vraiment politiques; vous les verrez conçues dans un intérêt français, dans l'intérêt de la puissance, de la sûreté du pays.

Les résultats ont mis le fait en évidence. La France d'aujourd'hui est encore, à beaucoup d'égards, telle que les guerres de Louis XIV l'ont faite. Les provinces qu'il a conquises, la Franche-Comté, la Flandre, l'Alsace, sont restées incorporées à la France, Il y a des conquêtes sensées, comme des conquêtes insensées : Louis XIV en a fait de sen

Alors commence un autre genre de guerres pres-sées; ses entreprises n'ont point ce caractère de déque aussi différentes des guerres modernes : ce sont des guerres lointaines, entreprises non plus par les peuples, mais par les gouvernements qui vont, à la

raison, de caprice, jusque-là si général; une politique habile, sinon toujours juste et sage, y a présidé. Si je passe des guerres de Louis XIV à ses rela

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