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que pour ceux qui connaîtront les statuts de cette Université, ses doctrines, son histoire et la façon dont elle s'acquitte de la délicate mission d'examiner les candidats; pour le reste du monde, ils ressembleront exactement aux titres de docteurs américains que s'attribuent, dans leurs enseignes, la plupart des dentistes. Encore faudra-t-il, même pour les savants, s'assurer de la date du diplôme et s'être tenu au courant des modifications survenues.

Si les grades n'emportent aucun droit, ou s'ils ne donnent de droits que dans l'Université qui les a conférés, ils seront inutiles sans être dangereux. Mais peut-on songer à généraliser ces droits et à forcer par exemple une Université fondée par les jésuites à recevoir dans son sein des docteurs reçus par une faculté de libres-penseurs? La supposition même est absurde, et elle suffit pour montrer ce que seraient ces diplômes de toute provenance. Nous aurions bien vite, en matière d'enseignement, une seconde édition de l'histoire des assignats. A l'heure qu'il est, on ne permet pas à tout le monde en France d'être avocat ou médecin. Il faut avoir passé des examens nombreux et difficiles pour avoir le droit de soigner des malades ou de porter la parole devant les tribunaux. Le diplôme de licencié en droit ou de docteur en médecine rassure tout le monde, parce que tout le monde sait que l'État en prend la responsabilité. Supprimez cette garantie, quelle sera la valeur du diplôme? J'ai bien peur qu'elle ne soit égale, au bout de très-peu de temps, à la valeur d'un morceau de papier ou d'un morceau de parchemin.

Enfin, quant aux services publics, on ne peut ni obliger l'État de recevoir un employé parce qu'il a

été doctorifié dans quelque coin ignoré de la république par cinq ennemis de l'État, ni empêcher les administrations de choisir leurs agents, puisqu'elles demeurent responsables. Au nom de quel principe pourrait-on défendre à l'État d'accorder une valeur particulière aux diplômes qu'il aura lui-même délivrés, à la suite d'examens subis devant un jury qu'il a lui-même organisé, constitué et surveillé? Et si ce droit ne peut être enlevé à l'Etat, s'il en use, qui ne voit que ces grades-là seront les seuls grades et que les certificats obtenus ailleurs n'auront tout au plus qu'une valeur de décoration?

La situation de la France est tout exceptionnelle. En Angleterre, les Universités sont fréquentées par un nombre relativement très-restreint de jeunes gens, qu'on peut diviser en deux classes: l'aristocratie de race ou de fortune, qui obéit à une mode, et n'apprend qu'assez peu de chose; quelques scolars, très-studieux, très-instruits, qui deviennent professeurs ou clergymen. Le plus grand nombre de jeunes gens se jettent dans les affaires après avoir suivi les cours des écoles qui répondent à nos colléges; jusqu'ici, ils ne subissaient aucun examen, et c'est seulement depuis quelques années qu'on a imaginé des examens de sortie, conférant le titre purement honorifique d'associé ès arts. L'Allemagne est beaucoup plus formaliste; les examens y ont une valeur très-sérieuse; les Universités y sont suivies beaucoup plus qu'en Angleterre et en France. On y considère l'assiduité aux Universités pendant une période de deux ou trois ans comme le complément indispensable des études. L'examen de maturité, ou de sortie, qu'on subit au sortir du gymnase, et qui correspond

à notre baccalauréat, donne seul accès aux Univer sités, dans lesquelles on ne peut être immatriculé qu'en présentant son certificat ou diplôme. Mais on ne saurait tirer aucune induction du règlement de l'Allemagne pour la réforme des nôtres. L'examen de maturité ou de sortie (abiturienten examen) se fait par les professeurs du gymnase. D'excellents esprits insistent beaucoup sur cette méthode, qui est en effet excellente. Ils soutiennent que les professeurs d'un jeune candidat le jugent beaucoup mieux que des professeurs étrangers; qu'ils le connaissent depuis longtemps; qu'ils savent à fond ce dont il est capable; qu'ils peuvent corriger les accidents inséparables d'un examen, en recourant à leurs souvenirs, à leurs notes. Tout cela est évident. Mais d'abord, si les colléges ou gymnases sont de force inégale, que devient l'examen? Il n'a plus de sens. On est refusé à Schuhlpforta et reçu à Leipzick, avec un examen d'égale force. Cette objection a été prévue par le règlement prussien, qui croit y pourvoir, en introduisant dans le jury d'examen un commissaire, armé du droit de veto, qui réunit les notes et les compositions de chaque candidat, en forme un dossier, et le soumet, avec ses observations, au Conseil supérieur. Je demande s'il est admissible que le commissaire ait plus d'autorité que les professeurs, et si le Conseil peut juger les juges avec compétence. N'est-ce pas là un véritable abus de la centralisation? Ou le commissaire n'est rien, ou il est tout. Dans le premier cas, l'examen dépend trop des gymnases; dans le second, il dépend uniquement du Conseil, qui juge avec moins de lumières et de compétence que nos facultés.

Mais ce qui rend surtout l'organisation de l'Allemagne incompatible avec nos besoins et nos idées, c'est qu'elle accorde à l'État une véritable omnipotence, tandis qu'ici nous lui contestons, même la part d'autorité qu'il ne peut abandonner sans déclarer lui-même sa déchéance. Ceux qui trouvent nos facultés, composées de membres élus et inamovibles, trop peu indépendantes de l'État, n'accepteraient pas le contrôle souverain d'un conseil de fonctionnaires placés sous l'autorité immédiate du ministre. Il faut donc renoncer à nous servir des exemples de nos voisins.

La situation de la Belgique est plus analogue à la nôtre. Le clergé catholique y joue à peu près le même rôle que chez nous, y crée les mêmes difficultés. On a cru y échapper par les jurys mixtes.

Si, au lieu de laisser chaque Université maîtresse de faire des bacheliers, des licenciés et des docteurs, on a recours à la création de jurys mixtes, comme en Belgique, la première question est de savoir dans quelle proportion les concurrents, puisque ce sont des concurrents, contribueront à la formation des jurys. L'État sera-t-il compté pour une unité? ou concourra-t-il à la composition du jury dans la proportion du nombre de ses établissements, ou du nombre de ses élèves, ou du nombre combiné de ses établissements et de ses élèves? Tiendra-t-on compte uniquement de l'enseignement supérieur, ou bien, le premier diplôme, qui est celui du baccalauréat, se rapportant uniquement à l'enseignement secondaire, comptera-t-on, pour établir les droits de l'État, le nombre et la population de ses colléges? Quand l'État, dans ces conditions, sera entré en partage

d'une importante fonction publique, comment définira-t-on désormais l'État et le corps avec qui il partagera? Quelle raison alléguera-t-on pour donner à l'État, dans d'autres occasions, une autorité quelconque sur un corps? Les Universités libres et laïques figureront sans doute, pour leur juste part, dans la composition des jurys; mais, à cause de leur petit nombre, leur présence, importante en théorie, ne modifiera pas sérieusement la pratique ; en sorte que les élèves qu'elles présenteront, au lieu d'être jugés uniquement par l'Université de l'État, le seront par l'Université de l'État et par l'Université catholique : on décidera si c'est là un accroissement de liberté. Il faut aussi savoir si le jury se recrutera lui-même, ou si chaque Université nommera ses représentants, ou si l'État fera les nominations. Dans le premier cas, le jury est tout-puissant; dans le second cas, il est condamné à des luttes politiques et à des jugements politiques, c'est-à-dire iniques, et dans le troisième cas, on voit renaître toutes les objections, fondées ou non, sur les droits de la concurrence et la partialité des jurys d'État.

Enfin, il y a contre les jurys mixtes une objection qui, pour un homme du métier, est absolument irréfutable. Il importe, à tous les points de vue, pour la justice, pour les candidats, pour l'intérêt public, que les examens soient bien faits. Or, c'est un grand art et très-difficile d'accoucher les esprits. Pendant que j'étais examinateur à la Sorbonne, j'ai découvert à côté de moi des hommes dont je ne soupçonnais pas la valeur écrivains et orateurs assez médiocres, ils déployaient dans cette fonction spéciale une variété de connaissances, une sûreté et une promptitude d'es

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