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CHAPITRE PREMIER

DE L'ÉDUCATION.

De tous les devoirs que nous avons à remplir, le plus grand et le plus doux est d'élever nos enfants.

Un instinct puissant nous porte à préférer leur bonheur au nôtre. L'amour paternel est à la portée des âmes médiocres; c'est la plus nécessaire, mais la plus commune et la plus facile de toutes les vertus. Ce qui demande un esprit élevé et un grand cœur, n'est pas d'aimer, c'est de savoir aimer.

ce

Il vient un moment de la vie où l'on juge sa vie ; on la fait, pour ainsi parler, comparaître devant soi. On porte une sentence sur soi-même. On voit clairement si on a trop préjugé de sa force; si, au contraire, on a négligé soit de la développer, soit même de l'employer; si on a préféré l'intérêt au devoir; si on a failli à la probité ou à l'honneur. Voilà l'école d'un père. Qui ne sait se juger est incapable d'élever un homme.

La plupart du temps on est emporté par un courant de travail ou de plaisir, qui étourdit et qui absorbe. C'est là le tissu de la vie, ce n'en est pas la

première règle qu'il se donna pour ajuster ses opinions au niveau de la raison. Il faut la retenir dans sa mâle simplicité : « Je résolus de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse occasion de le mettre en doute1. »

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Écoutez aussi Montaigne disant en deux mots presque la même chose : « Il vaut mieux avoir la teste. bien faicte que bien pleine 2. » Et ailleurs : « Nous nous laissons si fort aller sur les bras d'autruy que nous anéantissons nos forces 4. >>

Il ne faut pas se laisser aller sur les bras d'autrui ; il faut être soi-même; il faut apprendre de bonne heure à user de sa liberté, à porter sa responsabilité. Cette loi de la vie humaine, qui est la loi suprême de l'éducation, a été rendue évidente par les écrits de Montaigne, de Locke, de J. J. Rousseau, et de tous les grands hommes qui, parmi les modernes, ont refusé de renfermer toute la politique dans l'immobilité et toute la vertu dans l'obéissance. Platon, Xénophon,

1. Descartes, Discours de la Méthode. Éd. Victor Cousin, Paris, 1824, t. I, p. 136 et 141.

Éd. J. V. Le Clerc, t. I, p. 194.

2. Montaigne, Essais, liv. I, chap. xxv. 3. Ib., chap. xiv, t. I, p. 175. 4. « Le véritable savant et le véritable philosophe ne s'arrête ni à l'autorité des autres, ni à ses préjugés; il remonte toujours, jusqu'à ce qu'il ait trouvé un principe de lumière naturelle et une vérité si claire qu'il ne la puisse révoquer en doute; mais aussi une fois qu'il l'a trouvée, il en tire hardiment toutes les conséquences et ne s'en écarte jamais. (L'abbé Fleury, Traité du choix et de la méthode des études, 1686, chap. XXI.)

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